Le génie de l’Etat et du citoyen dépensiers à l’aveuglette

Samedi 12 Aout 2017

Par Mamadou Sy Albert
 
Le Sénégal a injecté à l’occasion des dernières législatives de juillet 2017 près de cinquante milliards de nos francs dans la production des cartes biométriques. Au-delà de la  controverse publique relevant de la mauvaise organisation des élections affectant la distribution hasardeuse de ces cartes et ses effets collatéraux sur tout le processus électoral, il existe une autre dimension aussi importante que les acteurs politiques occultent, sciemment ou non, pour des raisons politiciennes.
 
Il semble établi que la dépense publique dépasse très largement le coût réel de la production de ce type de cartes sur le marché africain. Certains pays du continent noir plus lotis que le Sénégal ont dépensé bien moins que la somme engloutie par notre pays pour un nombre de cartes plus élevé que les besoins sénégalais avec un coût bien moindre.
 
Non seulement la société qui a gagné ce marché de gré à gré des cartes biométrique n’a pas livré  totalement jusqu’au jour des élections le nombre des cartes correspondants aux inscrits potentiels du fichier électoral, mais elle a produit des cartes dont la qualité technique laisse fortement à désirer de l’avis de nombreux experts électoraux.
 
Dans ces conditions d’une dépense aussi importante qu’il faudra évaluer naturellement, on peut penser que la puissance publique a dépensé de l’argent public sans tenir compte du respect des règles élémentaires de la passation des marchés publics : transparence des appels d’offre, choix entre plusieurs concurrents suivant des critères techniques et financiers et le respect des engagements du fournisseur dans les délais requis par la commande publique.
 
A côté de cette dépense publique alimentant des interrogations légitimes au sujet de sa passation, les pouvoirs publics ont également dépensé des sommes importantes pour la mobilisation des équipes techniques. Dans ce sillage, le transport du matériel électoral, la motivation du personnel dédié aux opérations des élections des législatives et la mobilisation des forces de sécurité publique et de défense sans oublier les services centraux de l’Etat ont naturellement nécessité des moyens financiers significatifs durant des jours et des jours.
 
Des écarts de qualité
 
Si on établit un rapport du coût-efficience et efficacité entre cet argent dépensé pour le personnel technique et de sécurité publique et le résultat global de l’organisation de ces  joutes électorales, on peut se rendre compte de l’écart de qualité du service-coût entre cette dépense non encore estimée financièrement et les résultats chaotiques du scrutin. La violence, les impairs dans l’acheminement du matériel électoral et la protection de certains centres de vote saccagés, par exemple à Touba, la ville Sainte de la Mouridiya, et les contentieux post-électoraux résultant de l’impartialité de certains responsables, n’a pas réellement atteint les résultats attendus de l’action publique.
 
Ces exemples de dépense publique n’ayant pas atteint leurs objectifs clairement déclinés ne sont point rares dans les dysfonctionnements et les défaillances de l’administration publique nationale et locale. Ils sont légion dans la pratique de notre administration depuis des décennies et des décennies. Nous sommes présentement à l’heure de l’hivernage. Nous le savions. Pourtant, dès les premières pluies tant attendues dans la capitale depuis quelques semaines, les rues sont envahies par les eaux de pluie en dépit des efforts consentis par le gouvernement et les maires en matière d’investissements touchant l’état comatique des routes, le curage et le pavage des principales allées de la Région de Dakar. Les citoyens découvrent d’une pluie à l’autre, les manquements multiformes d’une urbanisation de façade.
 
Eternel recommencement
 
La canalisation fait défaut. Les eaux de pluie stagnent. La circulation est quasi impossible dans de nombreux quartiers de la ville et de sa périphérie. L’impression d’un éternel recommencement demeure partagée par les populations qui ne savent plus à quoi servent  la planification,  la dépense publique nationale et locale. Nous ne parvenons pas encore à définir nos véritables priorités et à mieux dépenser nos maigres ressources financières.
 
Ce mal profond est au cœur de toute notre société. Il suffit simplement de regarder attentivement le comportement du Sénégalais pour se faire une idée de son incapacité à décliner sa priorité et à dépenser sa dépense quotidienne suivant ses priorités tenant compte de ses revenus. Il est à l’image de la puissance publique. Il vivote d’une fête de korité ou de tabaski à l’autre, d’une rentrée scolaire à la suivante.
 
La crise économique affectant la dépense quotidienne place ainsi l’écrasante majorité de la population dans la logique de la survie au quotidien à l’image de la puissance publique dépensant aveuglément sans jamais atteindre son objectif. On dépense  mais on n’atteint aucun des objectifs sur le long terme. Cette logique infernale de la dépense publique ou familiale hasardeuse a fini par faire du Sénégalais un dépensier à l’aveuglette défiant toute rationalité économique et sociale.
 
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