Positionnement à l'égard du Rassemblement national, passe d'armes entre l'Intérieur et la Justice... Le gouvernement de Michel Barnier s'est déjà pris les pieds mardi dans les multiples contradictions de cette coalition bancale entre la droite et le centre.
Si le nouveau Premier ministre a donné à ses troupes le mot d'ordre "plus de travail et moins de communication", Bruno Retailleau occupe pour l'instant le terrain médiatique pour marteler sa volonté de "rétablir l'ordre".
Le ministre de l'Intérieur veut appliquer une ligne à droite toute sur l'immigration et la politique pénale, quitte à hérisser une partie de ses nouveaux partenaires du camp présidentiel, en plus de l'opposition de gauche.
Dès lundi soir, le ténor du parti Les Républicains (LR) est allé sur les plates-bandes du ministre de la Justice Didier Migaud en appelant à "changer une politique pénale qui, depuis très longtemps, a laissé s'installer ce droit à l'inexécution des peines".
Réplique immédiate du garde des Sceaux, qui se trouve aussi être la seule prise venue de la gauche d'un gouvernement qui penche à droite: Bruno Retailleau "doit savoir que la justice est indépendante dans notre pays" et "ça n'est pas toujours exact" de prétendre que la justice "ne condamne pas suffisamment".
La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a relativisé ce que le successeur de Gérald Darmanin a appelé lui-même de "grand classique" entre Intérieur et Justice. "On n'est pas un gouvernement de clones. C'est normal qu'il y ait des échanges", a-t-elle plaidé.
Les deux hommes doivent se rencontrer prochainement.
Mais mardi matin, c'est aussi la présidente macroniste de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui est montée au créneau sur l'exécution des courtes peines.
"Si c'est pour aller incarcérer ces personnes dans des maisons d'arrêt surpeuplées à 180% de détention, ça ne marchera pas" pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion, a-t-elle prévenu.
- "Rappel" des "règles" -
Elle a aussi mis en garde contre un "contournement" du Parlement si le gouvernement choisissait de réformer par décret l'Aide médicale d'Etat pour les étrangers en situation irrégulière, comme l'envisage le nouveau ministre.
"Il n'y a pas de contournement, il y a la Ve République, il y a différents articles qui renvoient au domaine législatif ou au domaine réglementaire", a répondu M. Retailleau.
Le principe même de revenir sur l'AME est contestée par une partie de la coalition au pouvoir comme par la gauche. Ce "n'est pas un sujet d'attractivité pour l'immigration mais un enjeu de santé publique", a répliqué la députée Agnès Firmin Le Bodo, du parti Horizons d'Edouard Philippe.
Toutes ces questions seront abordées vendredi à un séminaire gouvernemental préalable à la déclaration de politique générale de Michel Barnier le 1er octobre devant le Parlement.
Le Premier ministre doit y préciser ses intentions, notamment en matière de réduction des dépenses et de probables hausses d'impôts ciblées, jusqu'ici un tabou absolu pour la macronie.
Il poursuivait sa préparation mardi après-midi en entamant des rencontres avec les partenaires sociaux. Après la dirigeante de la CFDT Marylise Léon, il devait recevoir le président du Medef Patrick Martin en présence du ministre de l'Economie Antoine Armand.
Ce dernier, ex-député macroniste, a fait l'objet du premier rappel à l'ordre formel du chef du gouvernement, trois jours seulement après sa nomination.
Il a d'abord déclaré mardi sur France Inter qu'il était ouvert à collaborer avec tous les partis "dans l'arc républicain", dont il a exclu le Rassemblement national. Réaction outrée de la cheffe des députés du parti d'extrême droite, Marine Le Pen, qui en a appelé publiquement à Michel Barnier.
Ce dernier a été nommé par Emmanuel Macron après avoir eu l'assurance que le RN n'additionnerait pas ses voix à la gauche pour le censurer immédiatement. Mais de fait, son sort est en partie entre les mains du parti lepéniste.
Le Premier ministre avait dit dès sa nomination qu'il "respecte" Marine Le Pen et qu'il entendait la rencontrer. Il a donc appelé son jeune ministre de l'Economie "pour lui rappeler les règles", "à savoir le respect des électeurs" et "des responsables politiques représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat", selon son entourage.
Et Antoine Armand a été contraint de rectifier le tir en promettant de recevoir "prochainement" tous les partis représentés au Parlement, dont le RN. [AFP]