Le président Sall favorable au "dialogue inclusif" au Burundi

Vendredi 29 Avril 2016

Le mandat et le médiateur

Alors que les antagonismes politiques prennent de l’embonpoint, plaçant le pays sous la menace de fractures dangereuses, le président Macky Sall est appelé à promouvoir le «dialogue inclusif» dans la crise burundaise, en compagnie de quelques pairs africains. Une posture incongrue au moment où c’est justement son jeu solitaire au cœur de la Constitution sénégalaise qui met le pays dans une situation de tensions depuis le 16 février.


Il fait toujours bon de voir son Président de la république, surtout dans une Afrique ravagée par les divergences politiques qui finissent par la violence, jouer les bons offices quand un pays doit faire face à des troubles annonciateurs de déstabilisation durable. La «mission de haut niveau» conduite par un «Comité» de chefs d’Etat mis en place par l’Union africaine sur le Burundi procède de cette logique d’intervention politique concertée. Elle est composée des présidents Mohamed Ould Abdelaziz (Mauritanie), Jacob Zuma (Afrique du Sud), Ali Bongo Ondimba (Gabon) et Macky Sall (Sénégal), et du Premier ministre éthiopien Hailé Mariam Desalegn.
Le mandat assigné aux pairs est de créer les conditions d’un «dialogue inclusif» visant à mettre un terme aux affrontements sanglants qui opposent le pouvoir burundais et l’opposition politique et armée, suite à la décision du président Pierre Nkurunziza de se représenter à un troisième mandat, suivie de sa victoire à l’élection présidentielle.
 
On parle bien ici de «Dialogue inclusif», c’est-à-dire de cette posture d’ouverture et d’écoute qui réunit des adversaires politiques autour d’une table, le but étant de les pousser à se parler et à trouver par eux-mêmes et/ou avec l’aide de bonnes volontés les solutions à leurs différends.
Pour la crédibilité d’une telle démarche, l’idéal est donc que les médiateurs soient eux-mêmes irréprochables. Mais comme nul n’est parfait dans ce bas-monde, encore moins dans les marigots politiques du continent, on fait avec les «moins pires».
Alors, on s’interroge sur la pertinence que le Président Macky Sall soit de la partie hic et nunc, même si l’Union africaine a constitué ce «comité» depuis la fin du mois de janvier dernier au cours de son 26e sommet à Addis-Abeba. A l’heure actuelle, il y a au moins deux raisons qui auraient dû pousser le chef de l’Etat sénégalais à ne pas honorer ce rendez-vous.
D’abord, il n’est pas certain que le président Sall soit un fervent adepte du «dialogue inclusif» dans son propre pays, au regard de la situation incongrue dans laquelle il se débat depuis l’annonce de sa décision personnelle de faire un mandat de sept ans contre une promesse quinquennale. Car au-delà même du sujet clivant qu’est le mandat, le fait est que c’est sans concertations aucunes, dans le secret douillet de son cabinet, qu’il a décidé de modifier le visage constitutionnel du Sénégal. Jamais il n’a eu l’idée de convier publiquement les acteurs politiques et de la société civile à des rencontres «inclusives» autour de réformes constitutionnelles qui dépassent sa propre personne. Le même jeu solitaire a présidé à l’adoption du «référentiel» absolu de la stratégie nationale de développement économique et social, le Plan Sénégal Emergent (PSE).
 
Exercice de banalisation
 La deuxième raison découle de la première, elle interroge l’attitude même du chef de l’Etat face à ce qui se passe actuellement ici, au Sénégal. Il est naturellement loisible à Macky Sall de voyager comme il veut, quand il veut, peut-être même par le moyen qu’il préfère. D’ailleurs, il ne s’en prive pas, et ça ne fait pas de mal ! Mais aller jouer les médiateurs à Bujumbura, dans le contexte qui est le nôtre, trahit chez le président de la république quelques traits de personnalité inhérents à un certain type de gouvernance : déni de réalité, légèreté, arrogance.
Que cherche à démontrer Macky Sall ? L’idée derrière cet appel du petit large vers Bujumbura, c’est de suggérer à l’opinion et à la communauté internationale que ce qui se passe au Sénégal est banal ; et que même dans le cas contraire, la situation est sous contrôle. Or, le pays vit certainement l’une des plus grandes fractures politiques de son histoire. Ce n’est pas rien, pour la «vitrine de la démocratie en Afrique». Des fractures politiques, naissent toujours ou souvent les aventures non souhaitables pour aucun pays dans le monde.
Aujourd’hui, le Sénégal a besoin d’un chef qui mesure avec rigueur et sérieux la gravité d’une situation rendue hasardeuse par l’explosion des antagonismes, un homme capable d’agir dans le sens de l’intérêt national contre son propre agenda politique. De ce type d’homme d’Etat, on en rêve, si bien sûr le rêve est encore permis chez nous !
Malgré tout, souhaitons bonne chance au Président de la république (et à ses pairs du comité), en espérant seulement que le très rusé Pierre Nkurunziza n’ait pas l’idée de le renvoyer à ses propres histoires intérieures. Parce que là, on en serait à la totale…
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