Le président kényan tance la justice après l'annulation de sa réélection

Samedi 2 Septembre 2017

Le président kényan Uhuru Kenyatta a vertement critiqué samedi la Cour suprême, au lendemain de l'annulation historique de sa réélection, et exclu tout remaniement en profondeur de la controversée Commission électorale, chargée d'organiser le nouveau scrutin d'ici le 31 octobre.

Les juges de la Cour suprême ont "décidé qu'ils avaient plus de pouvoirs que plus de 15 millions de Kényans qui ont fait la queue pour voter". "Cela ne peut pas durer, et nous nous pencherons sur ce problème, après les élections. Il y a un problème et nous devons le régler", a mis en garde M. Kenyatta, 55 ans, s'adressant à des représentants de son parti réunis au palais présidentiel.

"Je pense que la robe qu’ils portent les conduit à penser qu'ils sont plus intelligents que le reste des Kényans", a-t-il poursuivi.

M. Kenyatta a une nouvelle fois appelé à la paix samedi, mais le bâtonnier de l'Ordre des avocats du Kenya, Isaac Okero, a pour sa part qualifié ces nouvelles déclarations de "menaçantes" et donc "inappropriées".

Le président a par ailleurs exclu tout remaniement en profondeur de la Commission électorale (IEBC), épinglée par la Cour suprême pour sa gestion des élections et dans laquelle l'opposition a dit avoir perdu toute confiance. "La Cour s'est prononcée, nous l'avons accepté. A présent, que l'IEBC fasse son boulot, qu'elle annonce la date de l'élection, et Raila (Odinga), rendez-vous aux urnes!".

Une douce euphorie régnait jusque-là au Kenya depuis l'annulation vendredi de l'élection du 8 août par la Cour suprême, qui a décelé des "irrégularités" dans la transmission des résultats ayant selon elle compromis l'intégrité du scrutin, une première en Afrique.

Dès vendredi après-midi, le "courage" de la Cour suprême a été salué par de nombreux analystes politiques comme un exemple pour un continent traversé de nombreuses crises électorales, et comme preuve de la "maturation" démocratique du pays. Les partisans de l'opposition étaient en liesse, désormais assurés que la justice n'est pas invariablement contre eux, sous le regard de forces de l'ordre opérant avec retenue.

Un "grand jour" pour le pays, a abondé samedi la presse kényane, d'autant que le président Kenyatta annonçait dans la foulée respecter le jugement et appelait à la paix, malgré un profond désaccord exprimé avec la décision. Le contraste était grand avec les manifestations et émeutes violemment réprimées (au moins 21 morts) qui avaient suivi la proclamation de la victoire de M. Kenyatta avec 54,27% des voix.

Mais les déclarations du président samedi ont donné le ton d'une campagne qui s'annonce de nouveau acrimonieuse et d'une bataille féroce autour de la commission électorale.

- 'Erreurs humaines' -

Candidat malheureux en 1997, 2007 et 2013, M. Odinga, 72 ans, avait dans un premier temps exclu un recours en justice, avant de s'y résoudre face aux pressions de certains poids lourds de sa coalition et de la communauté internationale. Il a finalement obtenu gain de cause, et appelé au départ des dirigeants de l'IEBC.

Devant les juges, les avocats de l'opposition ont pointé du doigt des procès-verbaux de bureaux de vote et circonscriptions, les seuls à faire légalement foi, non signés ou ne présentant pas les signes d'authentification prévus par l'IEBC. Cette dernière avait elle reconnu quelques "erreurs humaines commises par inadvertance", mais les considérait comme marginales.

De nombreuses questions restent toutefois en suspens. Le jugement complet de la Cour suprême, censé détailler ce qu'elle reproche à l'IEBC, doit être publié d'ici au 22 septembre. Le président de l'IEBC, Wafula Chebukati, s'était défendu vendredi d'avoir commis la moindre faute, mais il n'était pas parvenu à apaiser les critiques.

"Les institutions chargées de gérer (les élections, NDLR) se sont pathétiquement montrées incapables d'exécuter leur mandat", a tancé samedi le Daily Nation dans son éditorial. "Il est difficile d'imaginer comment (l'IEBC) va conduire les élections durant les 60 prochains jours", le délai prévu par la Constitution.

Le Kenya a une longue histoire d'élections contestées. En 2007-2008, M. Odinga avait rejeté la victoire de Mwai Kibaki et le pays avait plongé dans les pires violences politico-ethniques depuis son indépendance en 1963 (plus de 1.100 morts et 600.000 déplacés).

En 2013, la Cour suprême - alors dans une autre composition - avait été critiquée pour la manière dont elle avait débouté M. Odinga, en usant d'une jurisprudence discutable et en multipliant les arguties procédurales.

A l'approche d'un nouveau scrutin présidentiel qui doit être organisé dans un laps de temps très réduit, le quotidien The Standard concluait samedi: "ce dont le Kenya a le plus besoin en ce moment, c'est d'une élection légale, juste et transparente".
 
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