Leadership – Khadijetou Bâ (chargée de programme Yiaga, Abuja): une passion chronique pour l’Afrique

Jeudi 1 Juin 2017

Spécialiste de la bonne gouvernance, experte en processus électoral, diplômée en droit, économie et gestion entre Nice et Paris, cette mauritanienne de 28 ans incarne, d’une certaine manière, cette Afrique qui se réveille et qui veut prendre son destin en mains. Par l’engagement démocratique de sa jeunesse. Portrait d’une activiste afroptimiste dont la devise est: «Afrique, Justice sociale, Développement.


C’est à Marrakech, la ville ocre du royaume marocain, que nous faisons connaissance avec Khadijetou Bâ, en décembre dernier, à l’occasion de la sixième édition de «Atlantic Dialogue» organisée par le German Marshall Fund (GMF) des Etats-Unis d’Amérique. Khadijetou Bâ est l’une des 42 «Emerging Leaders» sélectionnés sur un stock de 1500 candidatures à travers le monde par GMF.
 
A bientôt 28 ans, cette Mauritanienne courtoise et charmante est déjà dotée d’une expérience professionnelle non négligeable. Des pérégrinations universitaires et professionnelles aux quatre coins de l’Afrique, en Europe et aux Etats-Unis semblent avoir forgé en elle une stature de leader.
 
C’est en mars 2016 qu’elle pose ses baluchons à Abuja, au Nigeria, comme chargée de programme de la Youth Initiative for Advocacy, Growth ans Advancement (YIAGA). Cette organisation de la société civile, opérant en Afrique de l’Ouest, intervient dans la conception et la mise en œuvre de projets dans trois domaines : élections et réformes électorales, développement de la jeunesse, participation politique et engagement parlementaire.
 
Sur ce plan, Khadijetou Bâ est une activiste sans frontières, au service de l’autonomisation de la jeunesse et de la bonne gouvernance. Quand elle a eu l’occasion, rare, de travailler avec le Sénat et la Chambre des Représentants de la République Fédérale du Nigeria, elle en a profité.
 
En rédigeant aux côtés des élus nigérians un mémoire-plaidoyer en faveur d’un accès plus précoce des jeunes aux fonctions politiques et électives, notamment à travers les candidatures indépendantes.
 
«Les jeunes ont des idées novatrices pour apporter des solutions à nos problèmes», explique-t-elle. Ensuite, «la bonne gouvernance, en garantissant une répartition juste et rationnelle des ressources, contribue au déblocage du potentiel de dynamisme que porte la jeunesse.»
 
«L’AFRIQUE ME REND SI HEUREUSE!»
C’est entre juin et septembre 2012, avec le Programme des Nations-unies pour le développement (Pnud), que Khadijetou Bâ entame sa carrière à Nouakchott: une pige de quatre mois en qualité de stagiaire. Puis elle rebondit à New York en février de l’année suivante, mais comme assistante spéciale de la Mission permanente de la Mauritanie à l’Onu.
 
Sa mission terminée, elle atterrit à Dakar et collabore étroitement avec le secrétariat permanent de la Coalition du secteur privé contre la corruption, avec pour mission de vendre un pacte d’intégrité, notamment aux pouvoirs publics.
 
Le rapport particulier qu’elle entretient avec les questions liées à la bonne gouvernance et au développement, Khadijetou Bâ le tient en partie de son cursus universitaire: de Sophia Antipolis (Nice) à Paris Nanterre, elle collectionne les diplômes qui la rattachent aux problématiques économiques et sociales, aux marchés et à la concurrence, au droit et à la régulation.
 
Ses compétences, elle les oriente en général dans les processus visant à rendre plus attractif cet environnement des entreprises qui assure l’essor du secteur privé. Mais ça ne marche pas toujours ainsi, constate-t-elle, «avec les défis non encore résolus que représentent, par exemple, l’extrémisme violent et les migrations meurtrières» pour la jeunesse africaine.
 
L’Afrique, c’est la grande passion de Khadijetou Bâ. Une sorte de binôme qui la suit comme son ombre. «Je l’aime tellement ! Elle me rend si heureuse, mais en même temps elle est un sujet de frustration», se confie-t-elle.
 
Côté pile: «nous avons une population jeune et créative, une énorme masse de terres arables, nous avons presque toutes les ressources naturelles existantes, une culture captivante, un marché potentiel.» Côté face: «des fois nous manquons de génie avec ces coûts d’affaires très élevés ; nous n’avons pas assez d’infrastructures et lorsque nous en construisons, nous n’en faisons pas la maintenance correctement ; nous avons de gros problèmes d’énergie et de connectivité, nous avons besoin de visa pour nous déplacer…»
 
De l’analyse faite de la situation actuelle du continent, et au regard de ses expériences accumulées dans les grandes institutions internationales comme l’ONU ou la Banque africaine de développement (BAD), Khadijetou Bâ en a tiré une conviction forte. «L’Afrique a deux problèmes fondamentaux: leadership et identité», dit-elle.
 
LE VRAI SENS DU LEADERSHIP
Pour le leadership, son diagnostic est sans ambages. «Dès qu’ils arrivent au pouvoir, nos dirigeants semblent oublier la notion d’intérêt public ou général. Certains d’entre eux ont du mal à hiérarchiser les problèmes qu’ils doivent affronter, et naturellement ils ont du mal à leur trouver des solutions impactantes. D’autres ne peuvent rien faire en raison de la nature des transactions qu’elles négocient avec nos anciens maîtres coloniaux ou avec les multinationales», explique-t-elle. Non sans se demander, avec malice, le degré de véracité concernant la maxime: «les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent.» 
 
Leadership ! Le concept lui tient à cœur autant pour son côté idéologique que pour l’espoir qu’il peut aider à construire. Mais elle en sa propre définition. «Dans la perspective qui est la mienne, le leadership est la capacité d’un individu ou d’un groupe de personnes de permettre à d’autres individus d’atteindre leur but dans des conditions d’incertitudes. C’est pourquoi la durabilité est la clé du succès dont un leadership peut se prévaloir.» 
 
L’autre handicap de l’Afrique identifié par Khadijetou Bâ fait référence à l’identité. «Nous ne nous souvenons pas de qui nous sommes. Nous ne savons pas qui nous sommes ni ni même qui nous sommes supposés être. Porter des vêtements traditionnels le vendredi ou lors de cérémonies ne signifie pas que l’on connait les valeurs fondamentales que l’on est censé avoir», soutient la jeune experte.
 
«Regardez nos sociétés d’aujourd’hui: le mensonge y est omniprésent, le vol est répandu, et pourtant tout semble normal. De là, découlent les causes profondes de nos problèmes actuels.» La sanction est alors immédiate. «(…) En conséquence, nous importons aveuglément des systèmes de gouvernance dont nous ignorons s’ils sont adaptés à nos pays, et en même temps, nous poursuivons un modèle de développement qui n’est pas forcément adapté à nos réalités», se désole-t-elle.
 
Membre de l’Architecture de la gouvernance africaine (AGA) mise en place par l’Union africaine et dont l’objectif est de concrétiser les principes de bonne gouvernance et de démocratie, Khadijetou Bâ en appelle à une nouvelle conscience africaine.

«(Aux élections), votons pour ceux qui demandent les suffrages sur la base de leurs capacités et de leurs (bonnes) intentions, et non plus par affinités ethniques ou religieuses», plaide-t-elle. Ou encore: «générons nos propres richesses en améliorant la mobilisation des ressources domestiques.»
 
 
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