Les 7,3 millions d’électeurs sénégalais appelés aux urnes ce 17 novembre 2024 pour élire une 15e Assemblée nationale tiennent entre leurs mains le destin immédiat du Sénégal. Il s’agit, en effet, de clarifier les rapports de force entre des protagonistes politiques dont l’adversité s’est peu à peu transformée en un gigantesque malentendu générateur de violences et porteur de menaces sur la stabilité du pays. L’élection présidentielle du 24 mars, largement remportée en un tour de main par Bassirou Diomaye Faye, n’aura pas suffi pour installer le calme et la sérénité dans le paysage politique après la sanglante gouvernance de Macky Sall. Et ce, pour une raison à la fois simple et fondamentale: gouverner ce pays exige un contrôle sur ses 165 députés. La paralysie de l’institution au lendemain de la présidentielle est une des causes de sa dissolution en septembre. D’où l’urgence d’une clarification sans équivoque et intégrale.
Ces législatives anticipées surviennent dans un contexte lourd compliqué par une situation économique et financière incertaine contre laquelle il va falloir comme solution plus que les revenus espérés du pétrole et du gaz. La question du chômage, notamment chez des jeunes plus exigeants que de coutume après les promesses et engagements du nouveau pouvoir, est amplifiée par le casse-tête migratoire et ses répercussions potentielles à l’interne. La montée en flèche de revendications catégorielles héritées de l’ancien régime vient s’agréger à des mouvements protestataires imputables aux options du régime. Aux frontières, les incertitudes sécuritaires, fruit de l’expansion du terrorisme et des groupes criminels dans l’immense bande sahélienne, appellent à la vigilance.
Face à une telle configuration, les électeurs sénégalais ont un devoir collectif à assumer : éloigner toute ambigüité dans leur choix pour l’Assemblée nationale afin de prémunir le pays et ses institutions de tout blocage ou tentative de déstabilisation. Sous le régime démocratique qui est le nôtre, plusieurs options sont sur table.
Donner une majorité suffisante à Pastef pour mettre en oeuvre sa « Vision 2050 ». Cela serait logique et rationnel au regard de la rupture pour laquelle plus de 54 % des électeurs ont renvoyé Macky Sall, Amadou Ba et leurs alliés dans l’opposition au sortir de la présidentielle de mars 2024. Dans ce cas, le débat politique en serait clarifié et un rapport de force établi de droit et de facto. Le duo de l’exécutif Diomaye-Sonko aurait alors les coudées franches pour faire ses preuves et tourner définitivement la page de l’ancien régime et des « pleurnicheries ». Toutefois cette option comporterait un risque, celui de perpétuer le monolithisme parlementaire dans tout ce qu’il a de grotesque : soutien aveugle au président de la République et au gouvernement. La tragédie Benno Bokk Yaakaar est encore fraîche dans les mémoires.
Équilibrer les forces dans l’hémicycle en laissant au pouvoir une marge de manoeuvre pour gouverner tout en lui imposant la contrainte de tenir réellement compte des points de vue de l’opposition. Ce schéma se rapprocherait des résultats des élections du 31 juillet 2022 lorsque Benno Bokk Yaakaar est légèrement arrivée en tête devant Yewwi askan Wi. L’occasion était bonne pour les acteurs de prouver leur maturité démocratique par l’usage de compromis politiques dynamiques dans la gestion du pouvoir parlementaire. En fin de compte, c’est la gendarmerie qui a fini par faire la loi dans l’hémicycle.
Imposer une cohabitation au président Bassirou Diomaye Faye. Cela reviendrait à mettre le premier ministre Ousmane Sonko sur la touche pour un bout de temps. Ce serait alors un gigantesque séisme politique et institutionnel jamais vu dans l’histoire du Sénégal depuis 1960. Macky Sall, Amadou Ba, Khalifa Sall, Serigne Moustapha Sy, Barthélémy Dias, Thierno Alassane Sall, Bougane Guèye Dany et consorts tiendraient alors une formidable revanche contre leur plus redoutable adversaire-ennemi de ces dernières années. Mais la sociologie politique et les pratiques qui en découlent le permettent-elles ?
Eclater le parlement par un émiettement des votes. Ce résultat ne servirait à rien sauf à ne donner le pouvoir à personne pour le donner à tout le monde. L’Assemblée nationale deviendrait forcément un repaire de deals et de compromissions politiciennes qui sauvegarderaient plus les intérêts individuels et partisans que le fonctionnement démocratie et éthique du parlement. Elle se rapprocherait davantage du parlementarisme israélien ou italien dont la caractéristique essentielle partagée est l’instabilité et la recherche permanente de majorités vivant sur un fil de rasoir. Impensable pour notre pays mais sait-on jamais.
Incontestablement, Pastef est le favori de ces législatives anticipées. Parti de pouvoir, il a fait étalage de sa puissance populaire et démonstrative au long d’une campagne partiellement heurtée et violente, mais en droite ligne d’une élection présidentielle pliée en deux temps trois mouvements. La dynamique politique au Sénégal est de son coté, renforcée par les appels opportunistes et clientélismes de dignitaires et responsables de l’ancien régime en sa faveur.
Le pari fait par son chef, Ousmane Sonko, de privilégier une liste autonome au détriment de la vieille combine des coalitions hétéroclites pourrait récolter les fruits d’une rupture par l’audace et l’innovation. Mais souverains et matures, ce sont les électeurs du 17 novembre 2024, d’ici et de la diaspora, qui détermineront seuls les ambitions pour leurs pays en tenant compte des enjeux ci-dessus évoqués et, surtout, d’un passé encore vivace dans la mémoire collective nationale.