Les Sénégalais à la recherche de la confiance perdue : le Dépôt sacré à la lumière du Coran et des hadiths (suite et fin)

Dimanche 26 Février 2017

Par Ahmadou Makhtar Kanté
 
Invitation au refus de la banalisation de l’irresponsabilité
Nombre de versets qui exhortent au respect des dépôts en font une des vertus cardinales des vrais croyants. Oui, le Coran établit un lien entre foi, respect de ce qui est dû à autrui et salut dans l’au-delà. Voici certains versets particulièrement éloquents en la matière. En déclinant les mérites des vrais croyants dès le premier verset de la sourate éponyme « Ils sont certes bienheureux les croyants », le Coran dit : «… et qui gardent les dépôts confiés à eux et honorent leurs engagements » (Coran, 23 : 8) Le même verset figure identiquement à lui-même dans la sourate 70 : «… et qui gardent les dépôts confiés à eux et honorent leurs engagements » (Coran, 70 : 32).
 
Autant le respect des dépôts est valorisé et fait entrer ceux qui en font montre dans le groupe des vrais croyants et des vertueux, autant une trahison, en connaissance de cause, grande ou petite et sous quelque forme que ce soit de ceux-ci (les dépôts) est condamnée par le Coran. Voici des versets qui révèlent clairement combien tout responsable qui se veut honnête avec lui-même et avec autrui et notamment le musulman, devrait être profondément travaillé par le souci voire le scrupule de bien s’occuper des dépôts dont il a la charge et la crainte de décevoir Dieu et les ayants-droit ainsi que de mentir à sa vocation originelle et authentique : « Ô vous qui croyez. Ne trahissez pas Allah et le Messager et ne trahissez pas les dépôts dont vous avez la garde alors que vous savez» (Coran, 8 : 27) ; « (…) Et remplissez l’engagement, car on sera interrogé au sujet des engagements » (Coran, 17 : 34) ; « Ô les croyants ! Remplissez fidèlement vos engagements (…) » (Coran, 5 : 1)
 
En matière de hadiths, en voici deux qui sont particulièrement parlants pour notre sujet : « Les signes distinctifs de l'hypocrite sont au nombre de trois : Lorsqu'il parle, il ment. Lorsqu'il tient une promesse, il la viole. Et lorsqu'on lui confie quelque chose, il trahit(Boukhari et Mouslim) ; « Quatre caractéristiques font de la personne qui les incarne un vrai hypocrite. Celui chez qui se trouve une d’elles montre un penchant pour l’hypocrisie, jusqu'à ce qu’il s’en débarrasse : Si on lui confie quelque chose, il trahit. S’il parle, il ment. S’il tient une promesse, il la viole. Et s’il se querelle avec quelqu’un, il transgresse (selon les oulémas il faut comprendre : il invente, déforme, etc., pour dénigrer son vis-à-vis avec des arguments infondés) ». (Boukhari et Mouslim)
 
Le hadith très connu des musulmans qui utilise la métaphore du berger, sans qu’on puisse que le grand nombre soit à la hauteur des exigences de son application, dit ceci : « Chacun de vous est un berger et à chaque berger il sera demandé des comptes sur ce dont il avait la garde (…) » (Boukhari et Mouslim).
 
A la lumière du Coran, l’exercice d’une responsabilité pour être exemplaire doit être guidée par l’envie à nulle autre pareille d’obtenir l’agrément de Dieu par le bel agir. D’autre part, le responsable lucide peut s’aider de la crainte de mériter le courroux de Dieu par manque de respect aux dépôts, par mépris vis-à-vis des ayants-droit ainsi que par banalisation de la honte (« niak diom » en wolof). Etant entendu qu’il n’est pas question des fautes non commises en connaissance de cause comme le dit le verset déjà cité.
 
C’est dire que la trahison des dépôts dans quelque domaine que ce soit, dans la relation à Dieu comme dans celle à soi et aux autres est la source des tribulations que l’humanité vit. Cette trahison du Dépôt sacré et des dépôts, la plus grande et dramatique que l’humanité puisse commettre est à la base de toutes formes d’injustices, de corruption, d’abus, d’oppression et de spoliation qui font le lit des conflits actuels et des révoltes à venir si on ne change pas de cap.
 
Si nous parlons de notre cher pays, le Sénégal, à l’aune de ce qui vient d’être dit, le tableau n’est pas reluisant. En effet, l’état de nos familles est-il en phase avec le dépôt sacré de sa protection qui incombe aux parents ? Le pouvoir exécutif est-il à la hauteur du dépôt à lui confié par le peuple ? De même que le pouvoir judiciaire et législatif. Chacun dans son secteur d’activité et sa sphère d’influence agit-il en faveur de l’intérêt de tous ?
 
Nous voulons parler des marabouts, de l’église, des partis et mouvements dits de l’opposition, des médias, des organisations de la société civile, du médecin, de l’infirmier, de la sage-femme, de l’enseignant, de l’imam, du prêtre, du chef traditionnel, du leadeur d’opinion, du directeur d’agence ou de banque, du chef de projet ou de programme, du conseiller, de l’ambassadeur, du gouverneur et du préfet, du vendeur, du chauffeur, du réparateur, de l’élu local, du chef de quartier, du douanier, du policier, du gendarme, du garde-frontière, de l’agent des impôts et domaines, du contrôleur des comptes publiques, de l’inspecteur du travail, de l’avocat, du vigile, du pharmacien, etc.
 
Avons-nous aujourd’hui des gouvernants qui mettent en place des mécanismes de même récompense pour les mêmes mérites, de même sanction pour les mêmes fautes et de mêmes chances pour tous les citoyens devant les opportunités qu’offre le pays ? 
La réponse que nous donnons est que sur la base de quelques faits flagrants dont les auteurs ne peuvent être fiers, un sentiment assez partagé semble indiquer que les sénégalais sont à la recherche de responsables qui sauraient leur redonner confiance en eux-mêmes et en leur pays. Ils sont dans l’attente de responsables équitables, honnêtes, compétents, justes et dédiés à une administration exemplaire de leurs biens communs matériels ou non.
 
Mais une autre question corollaire de la précédente et indissociable d’elle est la suivante : de quelle sorte d’ayants-droit est le peuple ? N’est-ce pas lui qui produit des responsables qui deviennent ses fossoyeurs ? N’est-ce pas lui qui réclame non pas la justice mais sa part du « gâteau » que le vainqueur, par tous les moyens, de l’arène politique confisque et en fait un objet de chantage, d’appât et de mise au pas de toute personne qui serait tentée par des velléités de protestation contre un système injuste ? Est-ce que le peule ayant-droit accomplit ses devoirs de ne pas lui-même trahir des dépôts, chacun au niveau de responsabilité qui est le sien ? Sinon, est-il en droit de revendiquer et de mériter des dirigeants et autres responsables qui soient fidèles à leurs engagements envers lui ? Ce qui est un paradoxe inquiétant c’est que plus on parle et crie un désir d’éthique et d’introspection et plus le pays est gagné par une crise aigüe de confiance entre les citoyens et entre les citoyens et les responsables des biens communs.
 
C’est dire que si tout émerge alors que les valeurs qui fondent la cohésion et le bon vivre ensemble notamment la valeur responsabilité se noie, c’est un avenir sombre qui se dessine à l’horizon. Pour éviter un tel scénario, il faut tirer profit du meilleur de notre histoire, de nos cultures et de nos personnalités les plus marquantes et les plus exemplaires dans leur rapport au bien commun ainsi que de ce qui se passe chez les autres pour faire advenir le sursaut qui hésite à naitre.
 
Aujourd’hui, les sénégalais se doivent de relever urgemment le défi de la banalisation de l’irresponsabilité. Ce défi, même Dieu le Tout Puissant ne le relèvera pas à notre place car Il a énoncé Sa loi immuable dans le Coran : « En vérité, Allah ne change point l’état d’un peuple avant qu’il (ce peuple) ne change ce qui est en lui-même » (Coran, 13 : 11). Excellente motivation pour ne pas faire partie de ceux qui veulent tout changer sauf eux-mêmes.   
Imam, écrivain et conférencier, amakante@gmail.com
 
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