BEYROUTH/ANKARA (Reuters) - Les forces gouvernementales syriennes se sont déployées lundi à l'intérieur de territoires que tenaient les rebelles kurdes dans le nord du pays, exploitant à leur tour le retrait des forces américaines.
Leur déploiement intervient moins de 24 heures après l'annonce par Washington du rappel des quelque 1.000 soldats américains qui étaient encore stationnés dans le nord de la Syrie, où l'offensive de l'armée turque en est à son sixième jour.
Face à la progression des troupes d'Ankara, et dans le cadre d'une médiation russe, les Kurdes ont conclu avec Damas un accord permettant ce redéploiement des forces gouvernementales syriennes. Il s'agit d'une "mesure d'urgence" pour enrayer la progression des troupes turques et "protéger la frontière du danger turc", a expliqué lundi le responsable kurde Aldar Xelil.
Les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), la colonne vertébrale des Forces démocratiques syriennes (FDS), jugent que Donald Trump les a trahis en donnant un "feu vert" à l'offensive du président turc Recep Tayyip Erdogan.
"Quand les Américains ont abandonné la région et ont donné leur feu vert à l'offensive turque, nous avons été obligés d'explorer une autre voie, celle des pourparlers avec Damas et Moscou, pour trouver une issue et faire cesser ces attaques turques. Il s'agit d'un accord militaire préliminaire. Les aspects politiques n’ont pas été discutés et le seront ultérieurement", a précisé Badran Jia Kurd, membre de l'administration kurde.
En vertu des conditions négociées entre Damas et les Kurdes, les forces gouvernementales syriennes doivent se déployer dans la zone frontalière avec la Turquie depuis la ville de Manbij jusqu'à la localité de Derik, à quelque 400 km à l'Est.
Selon la presse officielle syrienne, l'armée de Damas est entrée dans Manbij ce lundi soir.
Le déploiement des forces de Damas est une victoire majeure pour le président Bachar al Assad et son allié russe, qui occupe une position plus centrale que jamais dans le conflit syrien.
ERDOGAN MINIMISE LE RISQUE D'AFFRONTEMENT TURCO-SYRIEN
Selon les médias publics syriens, les soldats syriens, épaulés par l'armée russe, sont entrés dans la ville de Tel Tamer, un point stratégique sur la route M4 qui court d'Ouest en Est à une trentaine de kilomètres au sud de la frontière turque, et se trouve pour l'essentiel à l'extrémité Sud de la bande de territoire dont la Turquie veut faire une "zone de sécurité".
La télévision syrienne a montré par la suite des images d'habitants saluant l'arrivée des forces de Damas à Aïn Issa, également située sur la route M4, qui commande l'embranchement menant vers Rakka.
L'ancienne capitale du "califat" proclamé par les djihadistes du groupe Etat islamique a été reprise il y a deux ans par les combattants kurdes que les Etats-Unis soutenaient depuis 2014 et la "bataille de Kobané".
Mais le rappel soudain des derniers soldats américains encore stationnés dans le nord de la Syrie, qui constitue un revirement stratégique majeur, a totalement rebattu les cartes.
A Ankara, Erdogan a minimisé lundi le risque d'un affrontement turco-syrien, soulignant que son homologue russe Vladimir Poutine avait opté pour une "approche positive".
Donald Trump explique que son objectif est d'extraire les Etats-Unis de ces guerres "sans fin" dont il a hérité.
L'offensive turque qui a suivi son annonce vise à éloigner les miliciens kurdes de la frontière et transférer dans cette "zone de sécurité" une partie des millions de Syriens réfugiés sur son territoire. Elle a été accueillie par un concert de critiques internationales.
Réunis à Luxembourg, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne se sont entendus lundi sur un régime de sanctions économiques à l'encontre de la Turquie pour ses forages gaziers dans les eaux territoriales de Chypre.
Ils sont également convenus de limiter les exportations d'armes vers la Turquie, sans toutefois aller jusqu'à prononcer un véritable embargo contre un pays membre de l'Otan.
La présidence turque a annoncé dans la soirée que le président turc Recep Tayyip Erdogan avait téléphoné à son homologue français Emmanuel Macron pour lui expliquer que l'opération menée par les troupes d'Ankara dans le nord-est de la Syrie visait à promouvoir la paix et la stabilité dans la région et dans le monde.
ÉVASION DE DJIHADISTES DÉTENUS PAR LES KURDES
L'un des risques majeurs identifiés par les capitales occidentales porte sur le sort des milliers de djihadistes et de leurs proches détenus par les Kurdes depuis la chute territoriale de l'EI.
D'après le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, les combattants kurdes des YPG ont vidé au moins une des prisons où étaient enfermés ces djihadistes. "Lorsque nous y sommes arrivés, nous avons vu qu'elle avait été vidée par les YPG et que les militants de l'Etat islamique qui y étaient avaient été enlevés", a-t-il dit lundi à Ankara.
Le ministre turc n'a pas précisé le nombre de détenus concernés. Aucun commentaire n'a pu être obtenu dans l'immédiat auprès des forces kurdes.
Sur Twitter, Donald Trump a pour sa part écrit lundi que les Kurdes pourraient relâcher certains djihadistes pour inciter les Etats-Unis à se réinvestir dans la région. Ces détenus, ajoute-t-il, pourraient être "aisément recapturés par la Turquie ou les nations européennes, d'où viennent nombre d'entre eux, mais il leur faudra pour cela agir vite".
D'après l'administration kurde, 785 ressortissants étrangers affiliés à l'EI se sont enfuis au cours du week-end d'un camp de détention à Aïn Issa. Un bilan ramené à une centaine de captifs par l'Observatoire syrien pour les droits de l'homme (OSDH).