Doudou Ndir, président de la Cena
Par Maurice Soudieck DIONE (*)
Les ratés de l’arbitrage des Législatives du 30 juillet 2017, marquées par de graves dysfonctionnements qui les discréditent, s’apprécient d’abord par rapport aux manquements de la Commission électorale nationale autonome (CENA), structure permanente dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, et dont les membres sont protégés d’une immunité couvrant leurs opinions et décisions ; elle est en principe un acteur, un régulateur et un censeur, eu égard aux prérogatives colossales que lui confère la loi.
En effet, aux termes de l’article L 5 du Code électoral : « La CENA contrôle et supervise l’ensemble des opérations électorales et référendaires. Elle veille, en particulier, à leur bonne organisation matérielle et apporte les correctifs nécessaires à tout dysfonctionnement constaté. La CENA fait respecter la loi électorale de manière à assurer la régularité, la transparence, la sincérité des scrutins en garantissant aux électeurs, ainsi qu’aux candidats en présence, le libre exercice de leurs droits ».
L’article L 6 précise et renforce : « La CENA est obligatoirement présente à tous les niveaux de conception, d’organisation, de prise de décision et d’exécution depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. En cas de non-respect des dispositions législatives et réglementaires relatives aux élections ou référendums par une autorité administrative, la CENA, après une mise en demeure, peut prendre des décisions immédiatement exécutoires d’injonction, de rectification, de dessaisissement, de substitution d’action dans le cadre des opérations électorales et référendaires, nonobstant son pouvoir de saisine des juridictions compétentes ».
Mais, en dépit des pouvoirs énormes qui lui sont octroyés, la CENA a choisi de s’aplatir, en usurpant les fonctions des évêques et marabouts, pour cosigner des communiqués et autres publicités priant pour la paix ! Or, sa mission est d’user effectivement de ses prérogatives pour contrôler l’action de l’administration et assurer la clarté et la loyauté du jeu électoral ; meilleur gage d’apaisement des tensions et passions.
Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) également n’a pas véritablement joué son rôle. Car, alors même qu’il n’était pas et ne pouvait pas être candidat (article 38 de la Constitution), le Président Sall s’est personnellement impliqué dans la campagne, à travers des publireportages permanents sur Internet, dans les médias privés et plus tapageusement encore à la Radiotélévision sénégalaise (RTS), pourtant un média de service public ; créant ainsi de fortes ruptures d’égalité avec ses concurrents, dans le silence et l’indifférence totale du CNRA compétent pour réguler tous les médias quel que soit leur statut juridique (article 2 de la loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006), mais qui n’a pas pris ses responsabilités pour arrêter ces agissements, en violation flagrante de la loi. L’article L 61 alinéa 5 du Code électoral dispose en effet : « Pendant la campagne, sont interdites : 1) L’utilisation à des fins de publicité électorale de tout procédé de publicité commerciale, par la voie de la presse, de la radiodiffusion et de la télévision ». Le même texte précise en son dernier alinéa : « Les médias publics ou privés de l’audiovisuel, de la presse écrite ou utilisant tout autre support qui traitent de la campagne sont tenus au respect rigoureux des règles d’équité et d’équilibre dans le traitement des activités des candidats ou listes de candidats pendant la campagne électorale ».
Le CNRA et la CENA sont donc des drôles d’arbitre, qui ne sifflent ni hors-jeu, ni penalty, ni coup franc ; ne décernent ni carton jaune, ni carton rouge et se contentent d’être de passifs et oisifs observateurs, malgré les pouvoirs exorbitants dont ils disposent, qui leur imposent le devoir d’être au cœur du processus électoral et de veiller à l’égalité, à l’équité et à la sincérité du jeu.
La justice, maillon essentiel pour départager les protagonistes de la compétition, perd de son autorité et de sa crédibilité, avec la curiosité juridique complètement surréaliste des « avis-décisions » du Conseil constitutionnel, depuis la rétraction du Président Sall quant à la réduction de son mandat de 7 à 5 ans. L’avis n’est pas une décision : l’avis émet une opinion, la décision tranche un litige. Il n’y a donc aucune synonymie possible entre avis et décision au plan terminologique ; les mots ont un sens ! Juridiquement, l’avis conforme, celui-là donc qui lie le décideur ne se présume pas ; il est expressément prévu par le texte.
Au plan épistémologique, assimiler avis et décision bafoue le principe logique de non contradiction : une armoire sur laquelle il est inscrit chaise ne transforme pas l’armoire en chaise ! L’ « avis-décision » n° 8/2017 du Conseil constitutionnel du 26 juillet 2017 modifiant les articles L 53 et L 78 du Code électoral relativement aux documents de vote est plus que problématique.
Comment une juridiction peut-elle modifier une loi précise et claire comme de l’eau de roche ? C’est une violation flagrante et manifeste des principes de la séparation et de l’indépendance des pouvoirs, ainsi que du parallélisme des formes. Le juge en aucune manière ne peut se substituer au législateur, c’est la raison pour laquelle les arrêts de règlement sont interdits, car le rôle du juge n’est pas d’édicter des règles de portée générale, mais d’appliquer le droit à un litige donné qui oppose des parties ; et cette application doit être contextualisée et spécifiée par rapport aux circonstances de l’espèce.
L’organisation catastrophique des Législatives du 30 juillet 2017 a tristement consacré un recul démocratique de plus de 20 ans, rappelant les élections locales chaotiques de novembre 1996, au sortir desquelles l’opposition s’était réunie autour du Collectif des 19, pour réclamer une CENI (Commission électorale nationale indépendante), jugée « inutile et dangereuse » par le Parti socialiste. Le Président Abdou Diouf, dans une posture de transcendance créa alors l’Observatoire national des élections (ONEL) en septembre 1997, confié au Général Mamadou Niang, qui avec beaucoup moins de pouvoirs que la CENA, abattit un travail excellent ; dans la foulée, Abdou Diouf nomma au ministère de l’Intérieur une personnalité indépendante, le Général Lamine Cissé, chargé d’organiser des élections libres, démocratiques et transparentes.
Le chef de l’État Macky Sall, chef de parti et chef de la coalition au pouvoir, a catégoriquement refusé de perpétuer cet usage salutaire de nommer un ministre sans coloration politique pour organiser les élections, au motif que le Sénégal a dépassé ce stade. Aujourd’hui le constat est amer, têtu comme un fait : même les pays en transition sont épargnés d’élections aussi désorganisées que celles du 30 juillet dernier ! Qu’à cela ne tienne, après coup, le président de la République félicite son ministre de l’Intérieur, principal responsable du chaos électoral : l’essentiel, c’est qu’on a gagné ! Certes, mais comment ? Tout en étant minoritaire tout de même, en termes de suffrages exprimés, avec 49,48% des voix pour 125 députés sur 165 !
Cette mascarade est une régression et un écrasement inacceptables des acquis de la démocratie sénégalaise, de nature à créer de dangereuses situations conflictuelles ; ramenant à la mémoire collective les épisodes particulièrement dramatiques et sanglants des violences de 1988, de l’assassinant du juge constitutionnel Me Babacar Sèye le 15 mai 1993, de l’assassinat de six policiers le 16 février 1994 lors d’une manifestation ; en plus de la dizaine de morts dans la crise politique de 2011-2012, c’est-à-dire hier seulement ! Gel gâchis de ne pas tirer les leçons de l’histoire et de l’expérience !
Les rideaux sont donc tombés sur la farce électorale de mauvais goût, les phares de la raison démocratique sont éteints par l’obsession du second mandat, les règles du jeu politique sont piétinées ; la justice est soupçonnée de complicité, le CNRA et la CENA plutôt que d’être des arbitres, sont devenus d’impénitents spectateurs indolents ; seule, l’omnipotence présidentielle règne, sans partage ! Le droit est mort… vive le roi ! En attendant le réveil et le vote des démocrates ; la nuit a beau être longue, le jour finit toujours par se lever !
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
Les ratés de l’arbitrage des Législatives du 30 juillet 2017, marquées par de graves dysfonctionnements qui les discréditent, s’apprécient d’abord par rapport aux manquements de la Commission électorale nationale autonome (CENA), structure permanente dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, et dont les membres sont protégés d’une immunité couvrant leurs opinions et décisions ; elle est en principe un acteur, un régulateur et un censeur, eu égard aux prérogatives colossales que lui confère la loi.
En effet, aux termes de l’article L 5 du Code électoral : « La CENA contrôle et supervise l’ensemble des opérations électorales et référendaires. Elle veille, en particulier, à leur bonne organisation matérielle et apporte les correctifs nécessaires à tout dysfonctionnement constaté. La CENA fait respecter la loi électorale de manière à assurer la régularité, la transparence, la sincérité des scrutins en garantissant aux électeurs, ainsi qu’aux candidats en présence, le libre exercice de leurs droits ».
L’article L 6 précise et renforce : « La CENA est obligatoirement présente à tous les niveaux de conception, d’organisation, de prise de décision et d’exécution depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. En cas de non-respect des dispositions législatives et réglementaires relatives aux élections ou référendums par une autorité administrative, la CENA, après une mise en demeure, peut prendre des décisions immédiatement exécutoires d’injonction, de rectification, de dessaisissement, de substitution d’action dans le cadre des opérations électorales et référendaires, nonobstant son pouvoir de saisine des juridictions compétentes ».
Mais, en dépit des pouvoirs énormes qui lui sont octroyés, la CENA a choisi de s’aplatir, en usurpant les fonctions des évêques et marabouts, pour cosigner des communiqués et autres publicités priant pour la paix ! Or, sa mission est d’user effectivement de ses prérogatives pour contrôler l’action de l’administration et assurer la clarté et la loyauté du jeu électoral ; meilleur gage d’apaisement des tensions et passions.
Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) également n’a pas véritablement joué son rôle. Car, alors même qu’il n’était pas et ne pouvait pas être candidat (article 38 de la Constitution), le Président Sall s’est personnellement impliqué dans la campagne, à travers des publireportages permanents sur Internet, dans les médias privés et plus tapageusement encore à la Radiotélévision sénégalaise (RTS), pourtant un média de service public ; créant ainsi de fortes ruptures d’égalité avec ses concurrents, dans le silence et l’indifférence totale du CNRA compétent pour réguler tous les médias quel que soit leur statut juridique (article 2 de la loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006), mais qui n’a pas pris ses responsabilités pour arrêter ces agissements, en violation flagrante de la loi. L’article L 61 alinéa 5 du Code électoral dispose en effet : « Pendant la campagne, sont interdites : 1) L’utilisation à des fins de publicité électorale de tout procédé de publicité commerciale, par la voie de la presse, de la radiodiffusion et de la télévision ». Le même texte précise en son dernier alinéa : « Les médias publics ou privés de l’audiovisuel, de la presse écrite ou utilisant tout autre support qui traitent de la campagne sont tenus au respect rigoureux des règles d’équité et d’équilibre dans le traitement des activités des candidats ou listes de candidats pendant la campagne électorale ».
Le CNRA et la CENA sont donc des drôles d’arbitre, qui ne sifflent ni hors-jeu, ni penalty, ni coup franc ; ne décernent ni carton jaune, ni carton rouge et se contentent d’être de passifs et oisifs observateurs, malgré les pouvoirs exorbitants dont ils disposent, qui leur imposent le devoir d’être au cœur du processus électoral et de veiller à l’égalité, à l’équité et à la sincérité du jeu.
La justice, maillon essentiel pour départager les protagonistes de la compétition, perd de son autorité et de sa crédibilité, avec la curiosité juridique complètement surréaliste des « avis-décisions » du Conseil constitutionnel, depuis la rétraction du Président Sall quant à la réduction de son mandat de 7 à 5 ans. L’avis n’est pas une décision : l’avis émet une opinion, la décision tranche un litige. Il n’y a donc aucune synonymie possible entre avis et décision au plan terminologique ; les mots ont un sens ! Juridiquement, l’avis conforme, celui-là donc qui lie le décideur ne se présume pas ; il est expressément prévu par le texte.
Au plan épistémologique, assimiler avis et décision bafoue le principe logique de non contradiction : une armoire sur laquelle il est inscrit chaise ne transforme pas l’armoire en chaise ! L’ « avis-décision » n° 8/2017 du Conseil constitutionnel du 26 juillet 2017 modifiant les articles L 53 et L 78 du Code électoral relativement aux documents de vote est plus que problématique.
Comment une juridiction peut-elle modifier une loi précise et claire comme de l’eau de roche ? C’est une violation flagrante et manifeste des principes de la séparation et de l’indépendance des pouvoirs, ainsi que du parallélisme des formes. Le juge en aucune manière ne peut se substituer au législateur, c’est la raison pour laquelle les arrêts de règlement sont interdits, car le rôle du juge n’est pas d’édicter des règles de portée générale, mais d’appliquer le droit à un litige donné qui oppose des parties ; et cette application doit être contextualisée et spécifiée par rapport aux circonstances de l’espèce.
L’organisation catastrophique des Législatives du 30 juillet 2017 a tristement consacré un recul démocratique de plus de 20 ans, rappelant les élections locales chaotiques de novembre 1996, au sortir desquelles l’opposition s’était réunie autour du Collectif des 19, pour réclamer une CENI (Commission électorale nationale indépendante), jugée « inutile et dangereuse » par le Parti socialiste. Le Président Abdou Diouf, dans une posture de transcendance créa alors l’Observatoire national des élections (ONEL) en septembre 1997, confié au Général Mamadou Niang, qui avec beaucoup moins de pouvoirs que la CENA, abattit un travail excellent ; dans la foulée, Abdou Diouf nomma au ministère de l’Intérieur une personnalité indépendante, le Général Lamine Cissé, chargé d’organiser des élections libres, démocratiques et transparentes.
Le chef de l’État Macky Sall, chef de parti et chef de la coalition au pouvoir, a catégoriquement refusé de perpétuer cet usage salutaire de nommer un ministre sans coloration politique pour organiser les élections, au motif que le Sénégal a dépassé ce stade. Aujourd’hui le constat est amer, têtu comme un fait : même les pays en transition sont épargnés d’élections aussi désorganisées que celles du 30 juillet dernier ! Qu’à cela ne tienne, après coup, le président de la République félicite son ministre de l’Intérieur, principal responsable du chaos électoral : l’essentiel, c’est qu’on a gagné ! Certes, mais comment ? Tout en étant minoritaire tout de même, en termes de suffrages exprimés, avec 49,48% des voix pour 125 députés sur 165 !
Cette mascarade est une régression et un écrasement inacceptables des acquis de la démocratie sénégalaise, de nature à créer de dangereuses situations conflictuelles ; ramenant à la mémoire collective les épisodes particulièrement dramatiques et sanglants des violences de 1988, de l’assassinant du juge constitutionnel Me Babacar Sèye le 15 mai 1993, de l’assassinat de six policiers le 16 février 1994 lors d’une manifestation ; en plus de la dizaine de morts dans la crise politique de 2011-2012, c’est-à-dire hier seulement ! Gel gâchis de ne pas tirer les leçons de l’histoire et de l’expérience !
Les rideaux sont donc tombés sur la farce électorale de mauvais goût, les phares de la raison démocratique sont éteints par l’obsession du second mandat, les règles du jeu politique sont piétinées ; la justice est soupçonnée de complicité, le CNRA et la CENA plutôt que d’être des arbitres, sont devenus d’impénitents spectateurs indolents ; seule, l’omnipotence présidentielle règne, sans partage ! Le droit est mort… vive le roi ! En attendant le réveil et le vote des démocrates ; la nuit a beau être longue, le jour finit toujours par se lever !
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis