Les ravages du capital foncier

Lundi 18 Juillet 2016

La boulimie foncière. C’est sous ce visage ravageur que les Sénégalais découvrent une volonté publique étatique inouïe de mettre la main sur la terre. Une logique infernale d’accaparement. En moins d’une décennie, Dakar n’a plus ni des espaces destinés à des activités socio-éducatives pour la jeunesse, ni des espaces pour accueillir des infrastructures économiques de base. Tout a été vendu au centimètre près dans la capitale économique et ses périphéries.

Pendant ce temps marquant l’irruption de transactions immobilières et financières les plus douteuses en ville et sur les côtés sénégalaises, les régions de l’intérieur vivent presque un drame silencieux avec la réforme foncière mettant fin au droit séculaire coutumier. Les terres les plus fertiles, celles qui sont susceptibles de permettre aux paysans, éleveurs et pêcheurs de produire, de vivre et de penser un jour accéder à l’autosuffisance alimentaire, sont subitement mises entre les mains de multinationales, responsables politiques, paysans du dimanche et prête-noms ou sociétés écran.

Nouveaux riches contre pauvres paysans et anciens propriétaires terriens féodaux et aristocrates. Une révolution pour le capital ou une contre-révolution sociale, si on se place du côté des victimes de ce marchandage foncier du siècle jetant les paysans dans un cycle de perte de leur précieux patrimoine culturel et de leur environnement. La boulimie foncière emporte toute la terre non immatriculée des paysans. MENTALITE DE BRADAGE Les lignes de la mentalité des élus locaux vont aussi bouger. Face aux collectivités locales sans moyens financiers propres, sans budget, les responsables de la gouvernance locale ne cherchent pas trop loin.

Il faut vendre tout bout de terre disponible dans les périmètres municipaux. Les élus se mettront naturellement à l’heure de la boulimie foncière rurale. Certains se taillent la part du lion en distribuant la terre en fonction des liens politiques, familiaux, religieux et ethniques. D’autres bradent des biens communautaires aux commerçants et hommes d’affaires les mieux offrants. Les jeunes ruraux et urbains, contraints de quitter les terroirs d’origine, sont les principales victimes de cette ruée vers la terre. Naguère, le commerce faisait partie de l’activité de toute nouvelle ville. La puissance publique et la puissance locale ont toujours accordé aux commerçants des espaces propres accessibles aux populations.

Chaque ville sénégalaise compte à ce titre ses riches commerçants. De véritables pionniers du développement local et des marchés locaux. Tel n’est plus le cas avec la boulimie du capital foncier. De nos jours, la mairie de ville cherche avant tout des espaces urbains à rentabiliser immédiatement, de l’argent à recycler ou placer dans l’immobilier avec des prix qui flambent d’une année à l’autre. La traque contre les ambulants est partout décrétée. Ils sont pourchassés. L’absence d’espaces susceptibles d’être alloués à ces acteurs bannis des centres-villes et des grandes artères commerçantes a fait de ces commerçants des vendeurs à la sauvette. DAMNES DE LA TERRE Dans le meilleur des cas, ces damnés de la terre, expropriés de leurs espaces naturels, jalonnent les quartiers à la recherche d’une clientèle éparpillée dans la banlieue dakaroise.

La guerre entre les élus locaux et les commerçants ambulants rythme de nombreux conflits à Dakar et dans les capitales régionales. Les pouvoirs locaux ont sacrifié les ambulants et le petit commerce pour se mettre au service des détenteurs de titres fonciers capables de monter des projets de commerce ou sportifs et culturels les plus attrayants pour les investisseurs, pour les banques et pour les assureurs.

L’État a détruit progressivement ce secteur des ambulants en rendant l’exercice de cette pratique quasi impossible. Ce conflit manifeste entre les élus locaux, l’État et les opérateurs économiques informels cache mal le chômage des jeunes des villes. La boulimie foncière a rasé tous les terrains sportifs. Moins d’écoles publiques. Plus de salles de cinéma. Plus de lieux de loisirs. Les maires préfèrent construire des cantines ou des centres commerciaux à vendre ou à louer que de bâtir des établissements de formation et d’éducation ou des entreprises de dimension communale. La boulimie financière a tout prévu sauf l’avenir et un environnement pour les jeunes.

Les jeunes revendiquent des droits légitimes : droit à l’emploi, droit à des cadres de vie décents et à des infrastructures de base favorisant la participation à la gouvernance locale et nationale. Bien des maires traumatisés par la recherche de surface foncière, de garanties bancaires, de cantines à louer n’ont plus de jardins publics ou des foyers éducatifs. Ils préfèrent mettre la main sur la terre domaniale communale et ériger des cantines en vue de renforcer les capacités financières des collectivités locales. APPETIT DES MULTINATIONALES La boulimie foncière a pratiquement fait sauter le verrou du domaine national. Elle a déstabilisé la terre qui est le cœur de l’organisation des communautés de base traditionnelles.

Demain, les multinationales, les groupes privés nationaux et internationaux seront les maîtres de la terre, de l’eau et de la production alimentaire. Le peuple subira la loi de la propriété privée, de l’exploitation de la terre en fonction des besoins et des objectifs stratégiques des propriétaires. Ils disposent de moyens financiers, contrôlent les circuits de la transformation des produits agricoles, agro-industriels et le trafic du commerce. Les paysans seront demain les ambulants de la terre. Ils devront se soumettre aux nouveaux maîtres de la terre pour se nourrir ou quitter à jamais leurs terroirs.     Mamadou Sy Albert
 
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