Les usines de lait pour la Chine se multiplient en France, eldorado ou mirage pour les éleveurs ?

Vendredi 28 Juillet 2017

De la Normandie à la Bretagne en passant par la Loire, les usines de lait destinées au marché chinois se multiplient, mais certains agriculteurs restent méfiants face à cette nouvelle manne.

"La production laitière chinoise est très inférieure au marché: la production en Chine est à peu près équivalente à la production française avec une population vingt fois supérieure", explique à l'AFP Christian Mazuray, ex-président d'Entremont et actuel directeur général de Synutra France, filiale d'un groupe chinois dont le siège est aux États-Unis, et à l'origine de l'ouverture de trois usines de lait pour enfants en moins d'un an en France.

Dans une Europe où la consommation de lait est en berne, et les producteurs en mal de revenus, l'Empire du milieu, qui s'est mis à boire du lait de vache dans les années 2000 pour devenir récemment premier importateur mondial, fait donc figure d'Eldorado aux yeux des groupes français qui se sont alliés à Synutra ou à Health and Happiness (H&H, ex Biostime), l'autre acteur laitier chinois présent en France.

La première usine de lait destinée en grande partie à la Chine a été ouverte chez Isigny-Sainte-Mère, en juin 2015. Une usine financée aux deux tiers par la coopérative et au tiers par H&H, avec l'embauche de 150 personnes à Isigny-sur-mer (Calvados), selon la coopérative qui exporte dans 50 pays. H&H est devenu le premier actionnaire d'Isigny en prenant 20% du capital, mais sans droit de vote.

- Trois usines en un an –

Synutra a répliqué en lançant à Carhaix (Finistère) en septembre 2016 sur 16 hectares "la plus grande laiterie d'Europe" (320 salariés), puis en juin dernier, sur 13 hectares, l'usine des Maîtres laitiers du Cotentin (MLC) à Méautis (Manche), avec déjà une centaine de salariés et la promesse de monter à 230 emplois.

Et ils testent avec Candia actuellement une nouvelle usine à La Talaudière (Loire), qui doit commencer à expédier ses briquettes en Chine à partir d'août. 80 embauches sont annoncées, dont 25 déjà effectives.

Si les emplois sont au rendez-vous, s'agit-il d'un véritable espoir pour les éleveurs français ou d'un mirage ? Les avis divergent.

Pour Gaëtan Moyroud, directeur de l'usine de La Talaudière, qui estime que la Chine n'atteindra jamais l'autosuffisance malgré la volonté de Pékin d'augmenter la production locale, les éleveurs qui ont du terrain disponible "vont même pouvoir augmenter leur production" grâce à la nouvelle usine.

Mais certains agriculteurs interrogés par l'AFP sont plus circonspects, comme Brigitte Rest qui élève 130 vaches avec trois associés à Motreff (Finistère).

- Méfiance et dépendance –

L'usine Synutra de Carhaix, "c'est positif. Depuis avril, on vend 10% de notre lait 15 euros plus cher les 1.000 litres (pour un prix qui tourne autour de 300 euros les 1.000 litres ndlr). Mais tout le monde se méfie de la Chine et ne veut pas en devenir dépendant, si jamais ils arrêtent", affirme l'éleveuse, membre du conseil d'administration de la FDSEA.

Et les contraintes fiscales françaises peuvent aussi refroidir les investisseurs, affirme Synutra France qui vient de suspendre son projet de deuxième usine de lait à Carhaix: la société n'apprécie pas que l’État français lui réclame les cotisations sociales des cinq ingénieurs chinois qui ont surveillé le chantier de la première usine, précise M. Mazuray.

"On peut investir dans n'importe quel pays européen excédentaire en lait", prévient-il, citant l'Allemagne, les Pays-Bas ou le Danemark.

Si l'usine Synutra de Carhaix a signé un contrat de 10 ans avec Sodiaal, cela reste cependant "très court. Quand un agriculteur s'agrandit, il emprunte pour 25 ans", réagit de son côté Jean Cabaret, producteur de lait bio et membre de la Confédération paysanne.

Interrogé par l'AFP, H&H, en contrat pour 15 ans avec Isigny, se montre en revanche très enthousiaste et veut augmenter les quantités fournies.

Mais le marché mondial du lait reste très compétitif, et les leaders de l'industrie laitière chinoise Yili et Mengniu misent eux sur la Nouvelle Zélande et l'Australie, plutôt que l'Europe.
 
Nombre de lectures : 136 fois