Par Adama Gaye
L’homme et la machine : histoire vieille depuis que la technologie a fait irruption dans la vie du premier, la seconde, par son imprévisibilité, prenant souvent le dessus. C’est, ès-qualité d’unique machine de radiothérapie du pays, la leçon que vous rappelez à la nation sénégalaise en vous éclipsant brutalement. Votre mort vous donne un supplément d’âme en vous élevant à un statut justiciable de cette démarche épistolaire.
Vous écrire? Ça peut sembler bizarre, admettons-le. Mais même celles et ceux que vous avez laissés derrière vous conviendront que votre départ a laissé un vide qu’aucun être humain ne peut remplir. S’adresser à vous, plus qu’à ces médecins, universitaires méritants, dont j’ai fait la connaissance ces dernières années quand, par un concours de circonstances, je suis devenu un habitué de ce service de cancérologie de l’hôpital Aristide Le Dantec, à Dakar, où vous sévissiez de votre vivant, prend, dès lors, une pertinence incontestable. Elle l’est sans doute pour ces dizaines voire des centaines de pauvres, désespérés, cancéreux qui savaient que sans vous leurs maigres espoirs s’effondraient d’un seul coup…
Quiconque y venait en ces temps où vous étiez encore de ce bas monde pouvait, en effet, détecter le seul brin d’espoir qui les maintenait encore en vie. Leur rêve était de passer à travers les rayons auxquels vous les soumettiez pour contenir ces cellules folles en leurs corps déterminées à les précipiter dans un processus inéluctable vers la fin de leur existence.
Par terre, modestement vêtus, parce que détournés désormais des mondanités de la vie, sur des nattes ordinaires, ils étaient là, souvent seuls, rarement accompagnés. Le cadre était sans aspérités. L’homme et la machine s’y côtoyaient dans un ballet macabre. Le premier escomptant sur les miracles du second, bien que tous ceux qui se trouvaient dans ce service connaissaient les limites du dieu technique sur qui leurs rêves reposaient. Certes, le coaching de ce remarquable personnel médical qui représentait le lien entre malade et machine ajoutait au lifting moral. Je revois encore l’un d’eux, en son modeste bureau, où seul un vieux téléphone fixe incarnait le…luxe.
Plus que la machine, comme gardée en un lieu secret, c’est ce médecin, professeur de médecine, si je ne m’abuse, qui me semblait être l’interface. Son nom : Doudou Diouf. Visage poupin, d’une noirceur d’ébène, symbole de ses racines sérères, il avait toujours un mot de réconfort pour quiconque pénétrait dans son domaine, et sa douce gentillesse irradiait sur ses plus jeunes collègues.
Répète : «j’ai le cancer, et je vais le combattre», faisait-il déclamer à ses patient (e) s dès qu’il les prenait en charge quand la maladie venait à leur être révélée. On peine à s’imaginer que ce médecin, loin encore d’un âge avancé, pouvait porter sur ses frêles épaules les angoisses de ces cancéreux venus des quatre coins du pays dans une ultime
course pour sauver leur… peau.
Le cancer est une maladie mortelle. Son diagnostic équivaut à un verdict fatal surtout dans nos pays où la pauvreté sanitaire est l’autre nom, en plus dévastateur, du sousdéveloppement. Je l’ai su quand j’ai découvert les minables conditions de ce service de cancérologie de l’un des fleurons de notre carte sanitaire. Ce fut en une matinée où, passé voir un certain Professeur Dème, agrégé en cancérologie, j’avais dû faire un chèque pour soutenir un congrès des cancérologues qui devait se tenir à Dakar, il y a trois ans. Voir comment des universitaires de sa dimension opéraient suffisait à comprendre la faillite sanitaire de notre pays.
Puis, parcourant le continent, en me rendant dans des services hospitaliers autrement mieux équipés, là où existent les rares machines de radiothérapie modernes, celles dites 3D conformationnelle, la question qui m’est toujours revenue était de savoir pourquoi le Sénégal a-t-il à ce point un ordre de priorités décalé de ses réalités dans des secteurs si névralgiques ? Quand des investisseurs ou des professionnels de la santé m’ont fait part de leur souci de se déployer au Sénégal, le manque de répondant rencontré m’a paru encore plus que regrettable : criminel !
Il a fallu que tu rendes l’âme pour que la vérité éclate au grand jour. Hélas, cela a aussi signifié que l’espoir s’est envolé pour ces cancéreux maintenant alignés dans un couloir glacial – celui de la mort ! Cruelle réalité enfin découverte par un public et, plus grave, par un pouvoir qui pourtant a inscrit sur son principal logiciel de développement, son Plan Sénégal Emergent, la question du tourisme sanitaire. Son but, y proclame-t-il fièrement, est de faire de Dakar un lieu vers lequel les malades atteints des pandémies les plus dangereuses viendraient se soigner.
Question : pourquoi la santé est-elle laissée à ce point à l’abandon, en plus d’être onéreuse, tandis que les personnels qui y officient, parmi les plus talentueux de notre nation, sont si marginalisés, privés des moyens de faire leur métier ?
Sonner l’alarme, c’est rappeler que le rêve enchanté de l’émergence ne sera jamais une réalité tant que les priorités seront aussi désordonnées.
Chuuut : le dire peut valoir de la part du commandant-en-chef des oisifs-errants une damnation verbale, lui qui préfère s’en aller aux antipodes participer à une cérémonie de remise de la médaille au meilleur ministre de la Santé du monde, le sien, waaoouh !
Je devine ta moue dubitative, Machine, et tu imagines le dépit des cancéreux sénégalais...
L’homme et la machine : histoire vieille depuis que la technologie a fait irruption dans la vie du premier, la seconde, par son imprévisibilité, prenant souvent le dessus. C’est, ès-qualité d’unique machine de radiothérapie du pays, la leçon que vous rappelez à la nation sénégalaise en vous éclipsant brutalement. Votre mort vous donne un supplément d’âme en vous élevant à un statut justiciable de cette démarche épistolaire.
Vous écrire? Ça peut sembler bizarre, admettons-le. Mais même celles et ceux que vous avez laissés derrière vous conviendront que votre départ a laissé un vide qu’aucun être humain ne peut remplir. S’adresser à vous, plus qu’à ces médecins, universitaires méritants, dont j’ai fait la connaissance ces dernières années quand, par un concours de circonstances, je suis devenu un habitué de ce service de cancérologie de l’hôpital Aristide Le Dantec, à Dakar, où vous sévissiez de votre vivant, prend, dès lors, une pertinence incontestable. Elle l’est sans doute pour ces dizaines voire des centaines de pauvres, désespérés, cancéreux qui savaient que sans vous leurs maigres espoirs s’effondraient d’un seul coup…
Quiconque y venait en ces temps où vous étiez encore de ce bas monde pouvait, en effet, détecter le seul brin d’espoir qui les maintenait encore en vie. Leur rêve était de passer à travers les rayons auxquels vous les soumettiez pour contenir ces cellules folles en leurs corps déterminées à les précipiter dans un processus inéluctable vers la fin de leur existence.
Par terre, modestement vêtus, parce que détournés désormais des mondanités de la vie, sur des nattes ordinaires, ils étaient là, souvent seuls, rarement accompagnés. Le cadre était sans aspérités. L’homme et la machine s’y côtoyaient dans un ballet macabre. Le premier escomptant sur les miracles du second, bien que tous ceux qui se trouvaient dans ce service connaissaient les limites du dieu technique sur qui leurs rêves reposaient. Certes, le coaching de ce remarquable personnel médical qui représentait le lien entre malade et machine ajoutait au lifting moral. Je revois encore l’un d’eux, en son modeste bureau, où seul un vieux téléphone fixe incarnait le…luxe.
Plus que la machine, comme gardée en un lieu secret, c’est ce médecin, professeur de médecine, si je ne m’abuse, qui me semblait être l’interface. Son nom : Doudou Diouf. Visage poupin, d’une noirceur d’ébène, symbole de ses racines sérères, il avait toujours un mot de réconfort pour quiconque pénétrait dans son domaine, et sa douce gentillesse irradiait sur ses plus jeunes collègues.
Répète : «j’ai le cancer, et je vais le combattre», faisait-il déclamer à ses patient (e) s dès qu’il les prenait en charge quand la maladie venait à leur être révélée. On peine à s’imaginer que ce médecin, loin encore d’un âge avancé, pouvait porter sur ses frêles épaules les angoisses de ces cancéreux venus des quatre coins du pays dans une ultime
course pour sauver leur… peau.
Le cancer est une maladie mortelle. Son diagnostic équivaut à un verdict fatal surtout dans nos pays où la pauvreté sanitaire est l’autre nom, en plus dévastateur, du sousdéveloppement. Je l’ai su quand j’ai découvert les minables conditions de ce service de cancérologie de l’un des fleurons de notre carte sanitaire. Ce fut en une matinée où, passé voir un certain Professeur Dème, agrégé en cancérologie, j’avais dû faire un chèque pour soutenir un congrès des cancérologues qui devait se tenir à Dakar, il y a trois ans. Voir comment des universitaires de sa dimension opéraient suffisait à comprendre la faillite sanitaire de notre pays.
Puis, parcourant le continent, en me rendant dans des services hospitaliers autrement mieux équipés, là où existent les rares machines de radiothérapie modernes, celles dites 3D conformationnelle, la question qui m’est toujours revenue était de savoir pourquoi le Sénégal a-t-il à ce point un ordre de priorités décalé de ses réalités dans des secteurs si névralgiques ? Quand des investisseurs ou des professionnels de la santé m’ont fait part de leur souci de se déployer au Sénégal, le manque de répondant rencontré m’a paru encore plus que regrettable : criminel !
Il a fallu que tu rendes l’âme pour que la vérité éclate au grand jour. Hélas, cela a aussi signifié que l’espoir s’est envolé pour ces cancéreux maintenant alignés dans un couloir glacial – celui de la mort ! Cruelle réalité enfin découverte par un public et, plus grave, par un pouvoir qui pourtant a inscrit sur son principal logiciel de développement, son Plan Sénégal Emergent, la question du tourisme sanitaire. Son but, y proclame-t-il fièrement, est de faire de Dakar un lieu vers lequel les malades atteints des pandémies les plus dangereuses viendraient se soigner.
Question : pourquoi la santé est-elle laissée à ce point à l’abandon, en plus d’être onéreuse, tandis que les personnels qui y officient, parmi les plus talentueux de notre nation, sont si marginalisés, privés des moyens de faire leur métier ?
Sonner l’alarme, c’est rappeler que le rêve enchanté de l’émergence ne sera jamais une réalité tant que les priorités seront aussi désordonnées.
Chuuut : le dire peut valoir de la part du commandant-en-chef des oisifs-errants une damnation verbale, lui qui préfère s’en aller aux antipodes participer à une cérémonie de remise de la médaille au meilleur ministre de la Santé du monde, le sien, waaoouh !
Je devine ta moue dubitative, Machine, et tu imagines le dépit des cancéreux sénégalais...