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MOUHAMADOU MBODJ (FORUM CIVIL) : «On laisse entrevoir une politique discriminatoire dans le traitement des candidatures»

Samedi 6 Mai 2017

«Je voudrais juste dire que pour la révision constitutionnelle  du 20 mars 2016, contrairement à beaucoup d’acteurs, le Forum civil avait dit qu’il y avait deux groupes. Un premier très jubilatoire dans ses postures indiquant que c’est une énorme révision, et un second très négationniste. Nous avions dit qu’il y avait que quinze points qui ouvraient des dynamiques de transformations importantes.
 
Nous avions dit ‘’oui’’, mais que c’était insuffisant. Dans certains droits surtout relatifs à l’intoxication relatifs aux homosexuels, il y avait des contre-vérités puisque c’était des droits qui concernaient les ressources naturelles. C’est un droit qui donnait aux citoyens l’opportunité de faire certaines dénonciations. Ce qui n’a jamais existé dans le pays.
 
Donc, c’était des avancées, mais insuffisantes du point de vue des attentes surtout qu’il y avait les candidatures indépendantes. Nous sommes dans le cadre d’un pays qui a un modèle jacobin de gouvernance publique avec une hyper centralisation en ce qui concerne le présidentialisme. En réalité, il concentre tous les pouvoirs. L’hégémonie du politique dans la conquête et la conservation du pouvoir avait poussé Abdou Diouf à tenter dans les années 80 une première ouverture avec les candidatures indépendantes autorisées à se présenter à l’élection présidentielle.
 
Le tournant Mamadou Lô
En première instance, on avait la candidature de Me Mamadou Lô qui avait dépassé des ténors politiques avec le nombre de voix engrangés. Il a prouvé que les indépendants pouvaient aller aux élections malgré tout ce qui se disait concernant de probables influences étrangères, la menace sur la survie des partis et autres. Et il avait réussi à avoir un résultat honorable. Le Forum civil s’était approprié du dossier lors d’un séminaire tenu en 1998 avec un consultant, Ismaïla Madior Fall, qui avait fait un rapport exhaustif.
 
Il faut rappeler qu’après Mamadou Lô, les candidats indépendants auront des possibilités sur la partie législative. C’est-à-dire, un espace limité d’autorisation sur la liste nationale. Pour les locales, il y avait des possibilités pour leur participation, mais le ministre de l’Intérieur de l’époque, le général Mamadou Niang, nous avait montré l’impossibilité pour les indépendants d’y participer.
 
Harmonisation et discrimination
A son arrivée, Macky Sall a harmonisé en levant tous les obstacles sur les types de scrutin auxquels les candidats indépendants pourraient participer. Maintenant, c’est récemment, dans la revue du Code électoral qu’on est allé dans les détails. Et derrière ces détails, on laisse entrevoir une politique discriminatoire dans le traitement des candidatures.  Ce qui pose un problème du point de vue de la Constitution. Il y a des exigences spécifiques qu’on a mises uniquement sur les candidatures indépendantes. Ce qui n’est pas le cas pour les partis ou coalitions de partis politiques. C’est un élément de discrimination. Je pense qu’au-delà des manœuvres politiques, c’est une nouveauté.
 
Mais on aurait pu se baser sur des experts dont le pays dispose pour créer ce cadre de dialogue. Il va falloir lever les discriminations. Nous sommes arrivés à un moment où sévit une profonde crise dans les partis politiques et dans leurs relations avec les citoyens. Peut-être que cette réforme pourrait relancer l’intérêt des citoyens dans le jeu politique avec de nouveaux acteurs qui peuvent remobiliser la confiance des citoyens. Il faut le prendre ainsi car, on ne peut pas chercher une chose et son contraire. Si cette réforme innovante cherche à revigorer la représentation politique au Sénégal, on devrait éviter de mettre trop de barrières devant l’entrée des candidatures indépendantes.  
 
Réforme déjà affaiblie
En vérité, nous avons besoin d’une autre production intellectuelle pour voir comment positionner les candidatures indépendantes afin qu’elles aient autant d’avantages que les politiques portés par des partis. La seule confiance qui vaille en démocratie, c’est la confiance des électeurs qui donne de la légitimité. Mais corser ainsi la dose pour les indépendants, c’est  affaiblir une réforme déjà contestée. Et pour le moment, le candidat indépendant ne bénéficie d’aucun statut. Ce qui doit être clarifié. C’est d’une importance capitale.
 
Il faut inviter ceux qui ont été candidats indépendants, les écouter car ils ont leur mot à dire sur la manière de relancer les candidatures indépendantes. Également, Mamadou Lô, avec son parcours intéressant aurait pu nous gratifier d’un livre sur l’expérience vécue. Ce n’est pas trop tard surtout qu’il y a encore Me Mame Adama Guèye. En fait, cela dépasse les individualités. C’est le début d’une réflexion à partager avec les citoyens.
 
Il est attendu d’eux une codification de leur expérience. Le ministre de l’Intérieur aurait pu les associer plus largement, prendre des experts indépendants et recourir même à l’expérience d’Ismaïla Madior Fall qui a travaillé sur ces questions. C’est pour le Sénégal et pas pour la compétition électorale. Il n’est pas trop tard pour bien faire.
 
Définir un statut pour la société civile
Il y a un acteur non partisan qui vient enrichir l’offre politique. Mais on ne peut pas les classer dans la catégorie de la société civile classique qui, délibérément, s’est autolimitée à la démocratie directe. Elle ne cherche pas le pouvoir. Des fois, on entend même des gens dire des candidats indépendants qu’ils sont de la société civile. Le candidat indépendant a les mêmes droits que les autres alors que la société civile est une organisation apolitique, du point de vue du droit. Donc, ces nouveaux acteurs ont besoin de statut et ne devraient plus être enfermés dans les cercles de la société civile. Les partis politiques ont un statut et vont probablement bénéficier d’un financement.
 
Il est urgent de définir un nouveau statut pour les indépendants au même titre que les formations politiques. Disons tout simplement que ce sont de nouveaux acteurs qui ont besoin de statut et que l’on ne devrait pas enfermer dans les statuts de la société civile. Ils veulent faire de la politique sans être un parti. Alors, définissons avec eux un statut d’un acteur intermédiaire qui a de nouvelles compétences dont celles de représenter les citoyens. Cela va aider à mieux réguler le jeu politique et social.
 
Financement pour les indépendants
De la même manière que les partis, il faudra aussi des financements pour les indépendants. Sur quelle base ? La loi doit nous le dire. Il ne faut pas les prendre comme des gens qu’il faut rajouter dans les listes. D’ailleurs, pour la revue du Code électoral, ils n’ont été convoqués qu’à la fin. C’est vraiment manquer de respect aux gens. Ils sont des acteurs dans la représentation politique. Partout où il y a dialogue politique, ces gens doivent être conviés.
 
Je comprends que c’est une première expérience, mais il faudra aller dans le sens d’une réunion spécifique de tous les acteurs pour commencer à réfléchir sur leur statut. Si tout est bien fait, cela pourra être une bonne réponse par rapport à la crise de l’orientation politique car, les gens ne font plus confiance aux politiciens traditionnels. Donc, l’Etat a intérêt à les crédibiliser et non les classer comme des marginaux.» 
 
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