MOUHAMADOU MBODJ (FORUM CIVIL) (suite & fin) : «L’Ofnac n’a pas besoin de s’engager dans des champs déjà balisés…»

Lundi 4 Juillet 2016

Dans cette seconde et dernière partie du Grand Entretien avec le coordonnateur général du Forum civil, il est question du replacement politique que tentent les acteurs, mais aussi et surtout sur la nécessité de définir une doctrine nationale sur l’anti-corruption par tous les acteurs. ​

En écoutant le Président parler d’une libération de Karim Wade, on a senti quelqu’un sûr de lui...

Comme dit Hegel, «comprendre avant d’agir». La base de légitimation politique et historique du Macky de 2012 face à Wade, c’est son engagement de rupture avec les traditions de la gouvernance néo-patrimoniale d’Abdoulaye Wade. S’il va dans le Pds, sa base électorale ne le suivra pas dans cette affaire là. Il n’y aura pas d’automaticité ! C’est comprendre qu’il est lui-même en train de préparer sa propre défaite. On ne gouverne pas contre son peuple, on ne gouverne pas contre son électorat. L’histoire est pleine d’exemples là-dessus. C’est un basculement vers toutes sortes de violences possibles dans un tel contexte.
 
Il tente un repositionnement en perspective de l’agenda électoral.
Il faut détacher les jeux d’acteurs politiques de l’histoire (car) c’est l’histoire qui est englobante, qui transcende les liens entre les générations d’hier, d’aujourd’hui et de demain. C’est sur l’histoire qu’il faut aller chercher ses propres défis, et non sur le jeu des acteurs, sur des petits calculs d’épiciers politiques, sur des probables pistes et possibilités de réélection pour les législatives. Le même peuple qui lui a donné une majorité présidentielle, une majorité parlementaire et une majorité dans la gouvernance locale, peut le refaire. Les 62% de l’électorat qui n’ont pas voté au référendum peuvent se réveiller tout d’un coup, dépités, fâchés par une renonciation de ce type et retrouver l’engouement de ce qu’ils savent faire le mieux depuis Abdou Diouf : punir.
 
Il est dans une tentative visible d’opérer un rapprochement avec le Pds.
Je ne crois pas que ce replacement des engagements de Macky Sall du côté des libéraux puisse le servir dans sa tentative d’affermir ses liens avec sa majorité originelle. L’histoire demande à Macky Sall de changer le pays, de changer de paradigmes de gouvernance, de nourrir l’espoir de plusieurs générations, que le potentiel de richesses qui s’affirme dans le pétrole, le gaz, soit une manne réorientée vers les attentes des populations. Le peuple ne le suivra pas s’il ne prend pas cette direction. Sur la scène politique, beaucoup d’acteurs ont été en position de responsabilité, les Sénégalais savent ce qu’ils ont donné et ce qu’ils n’ont pas pu donner. (…) L’enjeu d’avant 2012 qui avait conditionné la tenue des Assises nationales sur le besoin de renouveau de la superstructure est toujours là. Il se peut que cette situation réveille un intérêt dans le bassin de ceux qui avaient fait les Assises. Il se peut, avec les candidatures indépendantes, qu’on ait un bouillonnement de propositions et de listes qui vont sortir, et qu’une énorme coalition en émerge.
 
Pds et Benno Bokk Yaakaar sont-ils encore fiables pour le Président Sall ?
Les bases historiques du lien entre le Pds et son électoral traditionnel ont été remises en cause. Il y a un effritement de cette base de façon progressive de 2012 à aujourd’hui, des Locales à maintenant. Faisons une comparaison sur les valeurs absolues, pas relatives, soit le nombre de votants réels. Tous les acteurs ont vu leur base de légitimité s’effriter : de Idrissa Seck à Abdoulaye Wade, parce que le Pds est une myriade d’organisations avec des crises successives depuis la première alternance. Le Ps a arrêté l’hémorragie grâce au séminaire de Savana en prenant des mesures de sauvegarde. Le Pds n’a jamais fait cela. Ils ont organisé un pseudo congrès à la grande salle du Cices ; on a placé Oumar Sarr et la décision a été contestée immédiatement. Pape Diop est parti, ainsi que Abdoulaye Baldé, Aliou Sow, Fada… Sur quelles fractions du Pds on compte pour gagner une nouvelle majorité parlementaire ? L’Afp est en crise, Gackou est partie avec une bonne partie de l’appareil et des jeunes.

Le Ps est en crise bloquée, une crise qui ne s’exprime pas encore en termes d’implosion. Ça se joue à l’intérieur par des évitements et des compromis pour différer cette implosion.
 
Jusqu'à quand cette situation va-t-elle perdurer ?
L’interpellation majeure de l’acte de replacement du Pds dans le champ de la majorité va obliger, forcer, sommer le Parti socialiste de régler le problème de sa cohésion politique. Ça va s’accélérer ! Qu’est-ce qu’il restera de tout cela ? Qui peut garantir que le recollage de ces mille morceaux permettra quoi que ce soit au regard de la défiance des citoyens vis-à-vis de ce type de pratique ? C’est un champ d’incertitudes qu’il est impossible de mesurer et par rapport auquel il est risqué de faire des projections. Si Ousmane Tanor Dieng est prévu pour aller au Haut conseil des collectivités locales, il ne sera pas la tête de liste pour les législatives de 2017. Moustapha Niasse non plus, il a déjà dit que l’accord avec Macky Sall se limite à ce mandat. Alors, la difficulté essentielle, c’est de trouver la figure marquante capable d’être le point de ralliement d’une nouvelle coalition parlementaire. Est-ce que c’est cette difficulté qui a précipité les événements que nous subodorons comme une sorte de renouvellement de l’accord avec le Pds ?
 
Le rapport de l’Ofnac a été rendu public le 24 mai dernier. Comment l’avez-vous accueilli ?
C’est une nouvelle expérience sur un sujet difficile. Cette question n’est pas difficile en soi, c’est comment nous la percevons, sa centralité dans le fonctionnement de l’Etat et de la société : la corruption et les modes d’enrichissement illicite de l’élite. Senghor n’a jamais abordé frontalement le problème, Abdou Diouf l’a tenté dès le départ et a dû faire face à une résistance extraordinaire des gens de sa propre famille politique. Résultat des courses : même le bureau du juge en charge des dossiers a été incendié. Diouf a gelé les lois sans les abroger…
 
Et Macky Sall les a ressuscitées…
Abdou Diouf, comme Macky, était déterminé à aller dans la bonne direction. Mais le niveau de résistance auquel le premier a fait face, le second le retrouve aujourd’hui dans son propre camp. Sur l’Ofnac, Macky Sall n’est pas soutenu. On a une société corrompue, un Etat corrompu, et on n’a pas une force émergente, massive qui soutient cette initiative. Il n’y a que la société civile qui a soutenu cette réforme, en accompagnant Abdou Diouf et Macky Sall. Alors, dans un contexte hostile à une réforme, la stratégie d’implantation de la réforme doit tenir compte de cette contrainte. On ne peut pas faire comme si on était dans un pays normal, en faisant un rapport, on va chercher le gars dans l’après-midi…
 
Nafi Ngom, présidente de l’Ofnac, a-t-elle bien agi ?
Quand on fait un premier exercice, on se retrouve face à ce niveau de résistance. La dame a entendu tous les noms d’oiseaux, notamment sur les réseaux sociaux, de manière non justifiée. Malgré l’équation des moyens, j’estime que l’Ofnac a réussi à sortir un premier rapport. (…) La loi dit que dès que le rapport est déposé chez le procureur, vous êtes dessaisi. Pourquoi aller dans les médias après ?
 
La loi autorise l’Ofnac à rendre public ledit rapport «par tous moyens appropriés», pour reprendre le texte.
D’accord. Mais la loi dit aussi qu’on est dans un Etat de droit. Elle dit que dans sa méthode, elle ne fait pas le principe du contradictoire. Dans le rendu sur le Coud, c’est un audit, comme font l’Ige et la Cour des comptes.
 
Un audit ou plutôt une enquête ?
Ils ont demandé la comptabilité et tous les comptes, c’est ce que l’on a vu dans le rapport et entendu dans les explications aux média… Je ne reproche rien, je constate. Je vais vous dire ce que j’ai constaté et ce que je propose. C’est positif.
 
Allez-y !
Il faut sauver la réforme sur l’Ofnac et le préserver des tentatives de destruction par les voyous gagnants qui contrôlent le système de gouvernance publique.

C’est la première responsabilité du chef de l’Etat. Il n’est pas question de réexaminer le rapport qui relève exclusivement de la responsabilité de l’Ofnac et qui a été déjà remis au procureur. Mais il faut commencer à discuter pour concilier les positions en prévision du prochain rapport.
 
En quoi faisant ?
Un atelier de conciliation est nécessaire. C’est quoi la doctrine de l’anti-corruption au Sénégal ? Comment concilier le travail de tous les organes engagés dans ce champ ? L’Ofnac est le dernier arrivé, il essaie quelque chose certes. Il n’a pas de leadership à assumer ni à affermir. Il doit être le pivot dans une démarche systémique car la corruption est une réalité systémique. Et dans les théories de lutte contre la corruption, la plus populaire et la plus acceptée est le système national d’intégrité (Sni). Quand la corruption atteint un niveau critique dans notre pays, cela veut dire qu’elle fonctionne en réseau, en système. Chacun a son groupe à lui, et vous le voyez dans la presse… La réforme est bonne, l’enjeu est énorme pour sauver plus d’argent et le réinvestir dans le secteur public. Les victimes, ce sont les jeunes qui n’ont pas d’emploi, les femmes qui comptent sur le service public de la santé, l’éducation… Dans des moments comme ceux-là, on laisse la procédure suivre son cours, et à la période la meilleure, aller vers un atelier de conciliation. Cela ne veut pas dire rencontrer les gens incriminés, ils ne sont pas concernés ! Cela veut dire rencontrer tous les organes qui travaillent sur la corruption.
 
En gros, cette démarche mène à quoi ?
Il faut refonder la base doctrinale de l’anti-corruption dans notre pays. Les juges sont concernés au premier plan. A un séminaire récent, on leur a demandé : pourquoi vous classez les rapports ? Dans le même groupe, j’ai eu des réponses totalement différentes. D’où la nécessité de renforcer ces échanges. Le Sni, c’est de dire : ceux qui produisent la corruption et ceux qui permettent de lutter contre sont institutionnellement identifiables. Il faut leur donner une base d’action commune pour faire reculer le phénomène. L’administration publique est le pilier central qui produit la corruption passive. Il y a le secteur privé national et international, pilier essentiel. Si ces deux piliers ne produisent plus de corruption, l’Ofnac n’aura plus de travail. Il ne faut pas donc que l’on se trompe dans l’analyse sur l’agencement des priorités. L’Ofnac est le pivot animateur du Système national d’intégrité… Mais il faut écouter aussi les autres acteurs. C’est en cela que la nécessité d’obtenir un consensus sur une doctrine claire de l’anti-corruption me semble essentielle. Par exemple, est-ce qu’on maintient le principe du contradictoire si on met à côté des investigations sur la corruption des éléments d’audit ? Ce principe, c’est les prémisses du droit de la défense.
 
Vous préconisez une sainte alliance…
Si chacun veut jouer solo, on bloque le pays, on bloque la réforme, et ce n’est pas intelligent. Nous avons mis, nous du Forum, seize ans pour porter cette réforme, et personne ne nous y a aidés, avec Abdou Diouf, Mamadou Lamine Loum, etc. Nous y avons mis notre énergie, des ressources, toute notre crédibilité pour la faire passer. Nous continuons de la défendre et nous ne la laisserons à personne. Qu’on nous comprenne bien ! La Cour des comptes doit être dans le Sni, de même que la Centif, l’Ige. Il faut une synergie des acteurs pour créer une mutualisation des efforts et des ressources. L’argument du manque de moyens brandi par l’Ofnac pourrait être comblé par une démarche comme celle-là. Si l’Ige fait un audit classique et trouve au bout du compte des éléments de corruption, elle peut transférer à l’Ofnac qui mobilise des enquêteurs. On ne dépensera pas beaucoup d’argent ! Le travail de sensibilisation de l’Ofnac peut être confié à la société civile qui l’a toujours fait d’ailleurs alors que l’Ofnac n’existait pas. L’Ofnac n’a pas besoin de s’engager dans des champs déjà balisés pour montrer qu’il existe.
 
Il demande un peu plus de moyens
Quand on demande des moyens, il faut peut-être restreindre ces champs là, et se concentrer sur les investigations dans l’administration publique, dans le secteur primaire. Il faut que l’Ofnac opère un repositionnement stratégique. Voilà les questions de fond. Si on a le cadre doctrinal, on peut après élaborer la stratégie quinquennale en partant des mesures de la corruption sur tous les segments. Le Maroc vient de le faire, avec une équipe globale qui travaille en synergie de tous les acteurs, en intégrant même la question du «Doing Business». Je ne cois pas à un champion isolé, dernier arrivé de la chaîne, qui peut tout régler ! Il faut modestement jouer sa partition et laisser tous les autres joueur la leur.   
 
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