Le Président Macky Sall du Sénégal a annoncé sur un ton solennel et empreint de visibles regrets qu’il ne sera pas candidat à une troisième élection présidentielle, prenant manifestement au dépourvu ses nombreux partisans et courtisans ; il a surtout décontenancé les artisans d’une république dont la fonction présidentielle rime, malheureusement en Afrique, avec les humeurs ô combien versatiles du Chef de l’État, se confond avec sa personne pour finir par s’identifier à sa famille politique si ce n’est sa famille tout-court à l’état-civil.
Sur l’essentiel, Macky Sall aura dommageablement trainé pour annoncer qu'il ne sera pas candidat en 2024 ; les dégâts, que son silence calculé a entraînés, sont colossaux.
En effet, tout ce temps pour donner une réponse que beaucoup attendaient en signe d’apaisement d’un Sénégal en feu : quasiment depuis plus de deux ans ; avoir attendu tant de destructions de biens publics et privés, tant de procès suspicieux et d’emprisonnements d’opposants de premier plan et de manifestants et surtout, tant de morts dans des conditions qui frisent des meurtres gratuits de jeunes citoyens ; avoir attendu tant de pourquoi sans réponse qui desservent la République, si louée démocratique du Sénégal, compromettent la très haute fonction présidentielle au Sénégal, affaiblissent la diplomatie et la souveraineté sénégalaises trainées dans les caniveaux des réseaux sociaux comme étant à la solde de la France et finalement décrédibilisent la parole donnée par ce même Macky Sall qui, du temps de son prédécesseur, Abdoulaye Wade, se fendait largement en déclarations sans ambages anti troisième mandat etc.
Dégâts babyloniens
Impassible et impavide devant les dégâts babyloniens que provoquaient son silence et ses non-dits, au motif léger en fin de compte qu’il ne souhaitait pas mettre le pays en campagne électorale dès l’entame de son second mandat, c’est peu jaser que ce faisant Macky Sall a ruiné son image et sa position de Président de tous les Sénégalais. Qu’il annonce, le cœur visiblement gros de regrets, qu’il n’est pas partant pour un troisième mandat, tout en précisant qu’il y avait droit selon les dispositions constitutionnelles, ne peut que susciter dans ces conditions un légitime et populaire ouf de soulagement. Qu’il s’en aille après son second mandat a finalement de quoi satisfaire la rue, les opposants, le microcosme des présidentiables et la majorité silencieuse. Sa posture à valeur de ruse, consistant à dire qu’il ne souhaitait pas mettre le pays en campagne électorale dès l’entame de son second mandat, aura finalement été un mauvais sujet de distraction politique et un perfide élément déclencheur d’une campagne présidentielle prématurée et sauvage, contraires aux habitudes politiques locales.
Parce qu’il se sera pendant plus de deux ans, macabrement prêté au jeu du chat et de la souris sur une question dont la réponse constituait un enjeu de politique intérieure et était essentielle pour la paix sociale, il aura fini par promouvoir un discours au vitriol dans l’arène politique, décrédibiliser le système démocratique de son pays et fragiliser son tissu social. N’est-ce pas trop cher jouer pour participer à une troisième élection présidentielle, qu’il a plus de chance de perdre que de gagner eu égard au recul important de son électorat au lendemain des dernières législatives ? En réalité, le Président Macky Sall a surfé à fond sur ce qui était possible pour demeurer éligible et en a abusé au point d’oublier ce qui était décent pour lui-même, ses proches et surtout pour la République.
Aveuglé par ce qui est possible, quoi qu’il en coûte, pour prolonger ses baux de premier magistrat, le Président Macky Sall a cru pouvoir s’affranchir de ce qui est politiquement décent et socialement inondé de bon sens. Il s’est ainsi accroché au fait que la Constitution, prolongée par une décision légale faisant jurisprudence, a autorisé son prédécesseur, également ivre de pouvoir présidentiel à l’africaine, à se présenter devant les électeurs une troisième fois ; si ce fut fait de la sorte par le passé, au mépris de l’esprit restrictif de la Constitution sur le nombre de mandats présidentiels consécutifs, assumés par un même citoyen, et au détriment d’une rue qui s’était embrasée avec mort d’hommes contre la position de juges constitutionnels accommodants etc., alors, s’est-il convaincu, pourquoi mutatis mutandis ce ne serait pas possible à son profit puisque la loi est une pour tous.
De la ruse à l’intelligence de la situation
Cette fois-ci, le prix du sang pour s’opposer à un troisième bail d’un Président sortant a été si élevé qu’il a fragilisé la République et la Nation sénégalaises comme jamais auparavant. Ignorer ce constat, pour se présenter coûte que coûte devant les électeurs, aurait été criminel de la part du Chef de l’État sortant ; c’est en ceci que le Président sortant Macky Sall est à féliciter car il a brutalement cessé de ruser pour avoir l’intelligence des situations qui manque cruellement chez nombre de ses pairs francophones. Mieux vaut tard que jamais, malgré lui et en dépit de tout, le Président Macky Sall a pris le courage politique de renoncer urbi et orbi à rester en fonction après son second bail. Il aura fait le plus difficile à travers une telle annonce, sans toutefois convaincre totalement ; il lui faudrait surtout dès à présent s’armer de convictions pour ne pas revenir sur sa décision au prétexte que les circonstances l’y ont contraint.
C’est assurément évident que la non-candidature du Chef de l’État sortant Macky Sall est contrainte, puisque ça l’a brûlé d’envie, jusqu’à la dernière seconde, de rappeler qu’il avait le droit de postuler à nouveau parce que la loi le lui permettait et que seule sa conscience le lui interdisait. Sinon, pourquoi avoir maintenue, deux difficiles années durant, la perspective d’être candidat à un troisième mandat ? Une erreur politique béate ? Certainement pas, car le concerné était devenu, à l’épreuve du terrain et à la soixantaine flamboyante, un vieux de la vielle classe politique sénégalaise. Il voulait simplement rempiler mais…
Au-delà d’une envie à peine déguisée de rempiler, force est de reconnaitre que Macky Sall était aussi embastillé par la pression de ses nombreux partisans qui ont fini par mettre en place une véritable administration pro candidature de leur champion ; nul besoin d’être dans le secret des dieux pour mesurer combien pesante était cette pression à la fois de ses admirateurs, de son parti et des partis et élus de la majorité présidentielle. Au demeurant, tout ceci met en relief le courage politique du Président sortant qui, finalement, aura choisi de jeter l’éponge pour conserver ce qui lui restait de dignité personnelle d’homme d’État, d’homme de parole ; il aura certes fauté pendant de nombreux mois mais il mérite au final les honneurs pour avoir pris une première grande décision dont est grandement bénéficiaire la paix sociale. Cette difficile décision de ne pas candidater est tout à son avantage, à l’avantage de la classe politique et de la démocratie sénégalaises et au-delà, dans l’intérêt des mœurs politiques tant chahutées de l’Afrique.
Bilan démocratique calamiteux, résultats macro-économiques élogieux
En définitive, Macky Sall aura usé de trop de moyens inappropriés avant d’avouer sur le tard, tout en essayant de soigner un égo rudement secoué, qu’il ne sera pas parmi les présidentiables en février 2024. Mais souvent en toute chose, seule la fin justifie les moyens. Il pourra toujours se contenter de la maigre consolation, qu’étant le premier président en fonction à organiser des élections auxquelles il ne participera pas, il aura tout de même fait gagner à la démocratie sénégalaise une nouveauté pertinente.
C’est bien dommage que son majestueux discours à la nation du 03 juillet 2023, cousu de propos responsables de Chef d’État, garant des institutions républicaines propres à rassurer la majorité silencieuse secouée par les évènements mortifères de ces dernières années, en soit réduit à la simple phrase qui annonçait en quelques secondes, sur une adresse d’une demi-heure, la non candidature à un troisième mandat.
Dommage aussi parce que si le bilan démocratique de Macky Sall est calamiteux, par contre, ses résultats macroéconomiques sont élogieux. Le Président Macky Sall et son équipe se sont révélés des Chefs d’entreprises prospères avec un Sénégal macroéconomique affichant, post Covid-19, le taux de croissance économique le plus élevé d’Afrique. C’est aussi Macky Sall qui a mené à bon port ou redémarré de méga projets qui avaient du plomb dans l’aile comme le train express de banlieue, l’aéroport Blaise Diagne, les chantiers de la future nouvelle capitale Diamniadio et les pôles économiques dans les régions pour réduire les différences de développement sur le territoire national etc.
Macky Sall a encore un gros semestre de chefferie à exercer, pour préparer ses valises et sa passation de pouvoir et surtout un semestre sans faire d’ultimes faux pas. Le Sénégal des derniers Dialogue politique organisé à son initiative et Discours à la Nation du 03 juillet 2023 a toutes les cartes pour retrouver ses ressorts et ses bonnes marques d’antan et demeurer une référence démocratique et de vivre ensemble apaisé. Pour ce faire, le Macky Sall sortant devrait taire ou faire taire les tons revanchards et promouvoir des séquences de conciliations et de réconciliations.
Vilévo DEVO, Lomé le 07 Juillet 2023.