Macron sommé d'apaiser la colère des "perdants" de la mondialisation

Mercredi 10 Mai 2017

L'élection présidentielle, au-delà de la victoire d'Emmanuel Macron, a mis au jour le sentiment d'abandon et d'exaspération d'une partie de la population. Un défi pour le nouveau président, appelé à trouver des solutions concrètes pour les "perdants" de la mondialisation.

Peur des délocalisations, rejet des élites, aigreur vis-à-vis de l'Europe : "je sais les divisions de notre nation qui ont conduit certains à des votes extrêmes", a reconnu au soir de sa victoire le chef de file d'En Marche!, disant avoir pris la mesure "de l'anxiété et des doutes" d'une partie des Français.

Le scrutin, de fait, a mis en lumière une fracture entre deux groupes d'électeurs que tout semble opposer: ceux d'Emmanuel Macron, souvent aisés, diplômés et habitant en ville, et ceux de Marine Le Pen, plus défavorisés socialement et issus des zones rurales ou périurbaines.

"C'est un phénomène qu'on voit se dessiner depuis les années 1990, mais qui s'est amplifié", explique à l'AFP Laurent Bouvet, politologue à l'université de Versailles-Saint-Quentin. "On dit qu'il y a une fin du clivage droite-gauche. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a plus de clivage social", ajoute-t-il.

Un avis partagé par Julien Damon, professeur à Sciences Po, qui a vu "deux France dans les urnes", l'une "avec les vainqueurs de la mondialisation", l'autre avec "les vaincus". Pour le sociologue, cette "fracture politique" doit être l'un des "principaux sujets de préoccupation" du nouveau quinquennat.

Formation et solidarité
Comment prendre en compte, au-delà du constat, les craintes et les attentes exprimées au cours de la campagne? Dans l'équipe d'Emmanuel Macron, on insiste sur le renforcement de la formation professionnelle, indispensable pour lutter efficacement contre l'exclusion.

"On sait qu'en France, il y a un problème de qualification pour tous les jeunes qui sortent prématurément du système scolaire, ce qui explique en partie le niveau élevé du chômage", confirme Xavier Ragot, président de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), favorable à une "réforme de fond" pour rendre le système de formation "plus efficace".

Pas question toutefois de faire de cette mesure "l'alpha et l'oméga" de la lutte contre le chômage.

"La formation ne résoudra pas tous les problèmes", insiste l'économiste, qui appelle de ses voeux une politique de relance afin de stimuler le pouvoir d'achat des ménages.

Pour Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, l'accent devrait être également mis sur la solidarité, par le biais de la fiscalité. Aujourd'hui, "il n'y a pas de réflexion sur la répartition de la richesse", regrette-t-il, prônant "un effort collectif, universel et équitablement réparti".


L'ancien journaliste, qui redoute qu'Emmanuel Macron fasse des "cadeaux importants" aux plus aisés, invite le président élu à s'intéresser davantage aux "jeunes de milieux populaires", "les plus touchés par la précarité".

"Message d'alerte"
Pour beaucoup, le rejet de la mondialisation doit aussi pousser à s'interroger sur l'Europe et sur ses liens avec les citoyens. "L'un des enjeux principaux, c'est la question de la solidarité entre pays européens", souligne Xavier Ragot, pour qui Bruxelles doit lutter plus efficacement contre le "dumping social".

"Il faut faire émerger un marché du travail européen où il n'y ait pas de concurrence déloyale. Il y a déjà des pistes, puisque Jean-Claude Juncker a proposé d'introduire des Smic dans tous les pays de l'UE", explique le chercheur, favorable pour sa part à une "assurance-chômage européenne".

"L'Europe doit s'adresser à ceux qui se sentent perdants dans la mondialisation", a abondé mardi le commissaire européen Pierre Moscovici, appelant l'UE a prendre en compte le "message d'alerte" du scrutin.

Au-delà de l'Europe, "il y a un énorme effort de reconstruction à faire, pour permettre à chacun de retrouver sa place dans un projet commun", analyse Laurent Bouvet, qui soutient la mise en place de politiques publiques "plus ambitieuses", permettant de défendre les "services publics".

Pour l'écrivain Édouard Louis, issu d'une famille modeste et votant Front national, "on ne peut pas se contenter de combattre la haine". "Il faut défendre les plus faibles" et donner "une place aux gens les plus invisibles", a-t-il écrit dans une tribune publiée dans le New York Times.
 
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