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Mali - Et si l’objectif ultime était une intervention militaire sous-traitée ?

Mercredi 12 Janvier 2022

« Le Mali est la pièce du puzzle que, pour rien au monde, le monde occidental n'est prêt à laisser tomber. »  
 
Les sanctions lourdes infligées par la CEDEAO au peuple malien et non à la "junte militaire " comme veut le faire valider diplomatiquement l'Organisation multilatérale cachent évidemment un dessous des cartes énigmatique.
 
Ce qui est en jeu, c’est plus trouver les moyens d’enrayer une présence russe et chinoise, de plus en plus remarquée, que de limiter la durée de la transition. En effet, perdre le Mali pour toute "puissance extérieure" revient à hypothéquer ses chances de contrôle d’un pays de 1,2 millions de km2,  aux importantes ressources notamment en or, fer et bauxite. Sans oublier un potentiel certain de production pétrolière et gazière et une position géopolitique privilégiée reliant le Maghreb à l’Afrique subsaharienne. Le Mali est assis sur un carrefour économique et militaire important du continent. Un tel pays placé sous contrôle russe entraînerait évidemment un affaiblissement des positions françaises au Sahel et dans les pays côtiers limitrophes.
 
La CEDEAO perd son sang froid au Mali
 
Les sanctions de la CEDEAO sont motivées par des arguments discutables et semblent restreindre l’équation malienne à un seul problème d’élection.  Or, l’acuité des difficultés auxquelles sont confrontées les autorités maliennes actuelles est telle qu’il faut du temps pour assurer une transition correcte ; dans un pays « normal », un quinquennat est souvent insuffisant pour organiser des élections. Or, le Mali est un pays meurtri, divisé, avec des poches où les combattants d’Al-Qaïda se partagent le territoire, qui vit des attaques permanentes avec des civils en fuite. Comment pourrait-il organiser des élections en peu de temps ? Je ne défends personne mais il est important de rester dans la logique et l’objectivité.
 
Derrière cette précipitation de la CEDEAO, se cache aussi une situation singulière que  la France est en train de contrer par tous les moyens, à savoir le risque que les autorités actuelles de Bamako demandent officiellement le départ des troupes Barkhane et Takuba. Le Président Macron a toujours justifié la présence de Paris, qui engage environ 5 100 hommes au sein de l’opération par la demande de l’Etat malien.
 
Les sanctions interviennent dans un contexte particulier marqué par des  velléités d’autonomie de plus en plus affirmée de la part du peuple malien,  une visite ratée, véritable camouflet du Président français au Mali, mais aussi par une prise de conscience plus soutenue des pays de l’OTAN quant aux risques que fait peser une présence russe  sur le terrain. Les sanctions ciblées en direction des principaux responsables maliens n’ayant pas eu les impacts souhaités,  la CEDEAO cherche à jeter en pâture ces derniers au peuple malien avec en perspective une intervention armée. Mais c’est mal connaître la sociologie du pays de Soundiata KEITA.
 
Il est incontestable qu’un agenda international caché  se déroule sur la question malienne. La distribution des rôles est claire : d’un côté des pays occidentaux qui martèlent « nous n’abandonnerons jamais le peuple malien » et de l’autre la CEDEAO à qui est confié le «  boulot  ingrat». La diplomatie française et au delà européenne et américaine fortement hostile à une présence russe et chinoise voire iranienne dans la région tenterait de passer par la CEDEAO pour reprendre le contrôle. Depuis 2015, je ne cesse d’attirer l’attention sur le caractère nocif d’une telle diplomatie indirecte au travers de laquelle les « puissances étrangères » instrumentalisent  de manière sournoise lesdites organisations pour atteindre leurs objectifs.
 
Ce qui est véritablement une énigme dans tout cet imbroglio, c'est l'attitude inexplicable de deux « puissances sous régionales » anglophones d’Afrique de l’Ouest à savoir le Nigeria et le Ghana dont les velléités d'autonomie vis-à-vis d’un pays comme la France semblent aujourd'hui édulcorées. Ont-elles reçu des pressions américaines et britanniques ? Leurs Présidents qui sont dans une situation de derniers mandats chercheraient-ils à s'ouvrir des espaces pour mieux gérer d'éventuelles perspectives de troisième mandat? La question reste posée. Cette posture des dirigeants du Nigéria et du Ghana ne favorise pas les intérêts supérieurs de l’Afrique puisqu’elle prive les pays du Continent de locomotives potentielles.
 
Une intervention militaire potentiellement dangereuse
 
L'intervention militaire qui semble se profiler à l'horizon et qui serait le but ultime recherché,  à travers toutes ces sanctions graduelles ne serait pas une première dans l’espace CEDEAO. Elle a été testée dans la crise ivoirienne après l’échec de l’embargo visant à susciter la révolte populaire.
 
Une intervention militaire constituerait une faute politique et symbolique grave. En effet, elle décrédibiliserait évidemment une CEDEAO, présentée comme un « syndicat de Chefs d’Etat » et peut-être des troupes tchadiennes que l'opinion publique considère comme étant à la solde de la France.
 
Elle mettrait en difficulté les institutions démocratiques des pays concernés en risquant de creuser encore davantage le fossé entre les opinions publiques et les gouvernants.
 
Une intervention militaire ferait aussi de nombreuses victimes innocentes et créerait une situation insurrectionnelle voire une guerre civile qui viendrait empirer un contexte déjà très préoccupant. Personne ne peut deviner ce que pourrait être l’ampleur d’une résistance d’un peuple malien dont la fierté et l’orgueil sont reconnus historiquement ; la capacité de feu d’une société russe, Vagner, appuyée par le Kremlin reste aussi une inconnue.
 
Parlant de Vagner, restons logiques. Combien de pays ont des légions étrangères sur leur sol ? Aujourd'hui, près de 150 nationalités composent ce corps d'élite de l'armée française ; Il y a aussi le Special Air Service (SAS) qui est une unité de forces spéciales des forces armées britanniques. Souvent des mercenaires naturalisés. De quel droit donc pourrait-on dénier au Mali le droit de créer une légion étrangère ? La présence de Vagner est gênante bien sûr parce que cette société derrière laquelle se cache évidemment le Kremlin vient  avec l’armada de satellite et des éléments d’informations, de contrôle et de vérification des fréquences, ce qui empêche tout risque de communication d’information stratégique à des rebelles.
 
Il faudra à tout prix éviter le spectre d’une seconde Libye avec des conséquences fâcheuses sur l’africanisation des mouvements de révoltes djihadistes, la recrudescence des phénomènes migratoires non contrôlés, le basculement d’Etats considérés jusqu’ici comme des modèles de stabilité vers l’insécurité. J’ose espérer que la CEDEAO verse actuellement dans la dissuasion et aura la sagesse de ne pas mettre en exécution ses menaces.
 
Il ne faut pas aussi sous-estimer les risques collatéraux qu’une telle éventualité pourrait avoir dans la coexistence pacifique entre d’importantes communautés maliennes installées en Afrique de l’Ouest et les pays d' accueil.
 
Évidemment, un autre scénario auquel beaucoup d’observateurs ne semblent pas prêter attention et qui est fort plausible consiste en ce que les Occidentaux cherchent  à favoriser une révolution de palais au sein des officiers maliens, visant à renverser par la force les dirigeants militaires actuels. Cette perspective  aurait également des conséquences néfastes. Il convient de rappeler qu’au Tchad, à la mort du président Déby en avril 2021, les acteurs étrangers présents dont la France  s’étaient arrangés, contrairement à toute convenance démocratique, pour placer à la tête du pays, le fils du disparu, militaire de son état.
 
L’autre question que nous posons a trait au caractère réellement légal du gel des avoirs d'un Etat représentant plus de 20 millions d'habitants. Les textes actuels de la CEDEAO autorisent-ils une telle sanction ?
 
La fermeture des frontières des pays voisins est-elle une solution viable quand on sait que la Guinée Conakry également membre de la CEDEAO, a déjà fait noter qu’elle ne respecterait pas la décision de l’Organisation sous-régionale et que les frontières algériennes et mauritaniennes pourraient être mises à profit ; à cela s’ajoute que l’économie malienne à dominante informelle (jusqu’à 60% du PIB) pourrait facilement trouver des échappatoires imaginatifs à travers des  flux commerciaux non officiels. Une chose est sûre, un pays voisin comme le Sénégal dont l’économie dépend du Mali, son principal client dans l’espace CEDEAO (Le Mali arrive en tête avec 205 milliards de FCFA, représentant  22,4% des exportations), n’en sortira pas indemne.
 
Le Mali est la pièce du puzzle que pour rien au monde le monde occidental n'est prêt à laisser tomber.  
 
Après avoir réussi à déstabiliser le projet de monnaie ECO CEDEAO, la France chercherait-elle maintenant à hypothéquer l’intégration régionale et à fragiliser notre commun vouloir de vie commune laissé par nos ancêtres ?
 
Magaye GAYE
Economiste International
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