Par Adama Gaye
Il n'a pas eu le luxe de profiter d'une jeunesse dorée : en devenant le Roi du Maroc en 1999, à un âge où la majorité de ses pairs jouissent d'un statut sanguin, Mohamed VI avait, lui, une lourde mission à assumer...
Près de vingt-ans plus tard, le palmarès qu'il affiche a de quoi réjouir son défunt père, le Roi Hassan II, là où tous se posaient la question de savoir comment il allait tenir la torche après la disparition de ce géant. Si jeune, et déjà là sur ce trône, pour succéder à un dur à cuir que je revois encore parfaitement Zen, en juin 1990, à la tribune du Sommet de La Baule, quand, François Mitterrand, puissant dirigeant de la France d'alors, donnait des leçons de démocratie à l'Afrique en oubliant son sanglant passé de Ministre des colonies, dans les années 50 !
Aux côtés des Chefs d'Etats africains, déboussolés, qu'il tentait de rassurer au point de les inviter le soir, à un copieux dîner, Hassan II avait dû avaler sa rancune. Six ans plus tôt, en 1984, certains d'entre eux avaient participé au putsch qui avait forcé son pays à se retirer de l'Organisation de l'unité africaine (Oua). Il ne pouvait oublier que son propre père, Mohamed V, n'en avait pas seulement été l'un des fondateurs mais l'animateur de la tendance la plus progressiste, le Groupe de Casablanca, adepte d'une intégration africaine fédéraliste, dès 1963, par opposition à l'approche par cercles concentriques, proposée par les tenants du Groupe de Monrovia, plus modérés dans la démarche...
Quand il accède au trône, Mohamed VI sent d'emblée qu'il lui faut aussi redorer l'image d'une Monarchie ternie par la chape de plomb qui lui avait été auparavant imposée. Libertés démocratiques restreintes. Exécutions des plus dangereux adversaires du régime, tel le Général Oufkir, auteur d'un complot d'Etat. Ou encore, fermeté dans la lutte contre les irrédentistes Sahraouis, coupables, aux yeux du défunt souverain, de remettre en cause les revendications de la Monarchie sur l'ex-Rio de Oro, devenu, depuis, le Sahara Occidental, surtout depuis que l'Oua avait admis en son sein la République arabe sahraouie démocratique (Rasd), la structure politique qui prétendait en être le représentant légal.
Alors que le monde vit déjà une dizaine d'années de re-démocratisation, le Maroc que prend Mohamed VI en 1999, n'échappe donc pas aux revendications politiques en cours. Dix ans plus tard, il est sommé de répondre aux premières vagues de la lame de fond, illusoires, en réalité, qui commençaient à révéler ce printemps arabe, moment démocratique fugace dans une région qui en était éloignée tandis que parallèlement une vague terroriste y déferlait.
Dans ces conditions, parier sur les chances de réussite du nouveau Roi marocain relevait d'une gageure. Comment y est-il parvenu ? En le voyant triompher, le 30 janvier, à l'Africa Hall où venait d'être acté, par ovations, le retour de son pays dans l'Union africaine (UA), personne ne doutait qu'il venait de réussir un époustouflant retournement de situation.
J'en mesure l'ampleur en me remémorant de ma première visite dans ce pays, en 1987, au sein d'un groupe invité par Chakib Laroussi, un officiel du pays, devenu, depuis, l'un des principaux conseillers de Sa Majesté.
C'était une époque où le Maroc rêvait de l'Europe quand son ministre des Affaires européennes, Azzedine Guessous, se faisait l'ardent défenseur de son intégration dans une entité européenne alors portée par des vents très forts. «Seuls 14 kms séparent le Maroc de l'Europe», se plaisait-il à ressasser.
De cette rencontre, j'avais retenu que le Maroc, présent en Afrique pour des raisons terrestres, était politiquement orienté vers l'Europe. Culturellement, il était arabophone...
En réafricanisant sa politique, Mohamed 6 a changé de paradigme. Certes, l'Europe était entre-temps devenue une forteresse, anémiée au plan économique, alors que l'Afrique, naguère qualifiée de continent sans espoir, reprenait des couleurs, malgré ses difficultés toujours réelles.
Avoir eu le nez creux pour comprendre qu'elle est la terre d'avenir a été son génie, qu'il a traduit concrètement en parcourant le continent pour signer des accords de coopération par centaines (949 à ce jour), selon le modèle de l'intégration-spaghetti chère au professeur Jagdish Bhagwati.
«Il a su mobiliser tout le royaume autour de sa vision», s'enthousiasme un homme d'affaires Libano-Sénégalais.
Quiconque visite le Maroc maintenant, sait que son identité africaine est une réalité prégnante, expression d'un leadership royal qui n'a pas craint de se déployer dans les rues et restaurants africains, où Mohamed 6 a pu convaincre que le royaume Chérifien est de retour, avec un moteur économique et politique vrombissant.
Bien sûr, il lui faudra taire les critiques sur ses suspicions néocoloniales ; calmer les peurs sur son statut de cheval de Troie se posant en hub pour le continent ; rendre l'aéroport de Casablanca plus sensible au désarroi de ses passagers africains ; éviter que corruption et collusion des élites africaines, au pouvoir, ne soient les seules rampes de lancement de son projet africain.
Ignorer les traces laissées par son retour dans l'UA, dans les pays anglophones et arabophones hostiles, serait une erreur d'appréciation des rapports de force qui se mettent en place.
C'est-là que passe la pérennisation des pas de géants effectués par un jeune, monarque-marketeur au long cours, qui a su ranger son manteau de Roi en son pays pour enfiler celui de sa nouvelle marque continentale. AkhlanwasahlanMalikiAfrikya !
Il n'a pas eu le luxe de profiter d'une jeunesse dorée : en devenant le Roi du Maroc en 1999, à un âge où la majorité de ses pairs jouissent d'un statut sanguin, Mohamed VI avait, lui, une lourde mission à assumer...
Près de vingt-ans plus tard, le palmarès qu'il affiche a de quoi réjouir son défunt père, le Roi Hassan II, là où tous se posaient la question de savoir comment il allait tenir la torche après la disparition de ce géant. Si jeune, et déjà là sur ce trône, pour succéder à un dur à cuir que je revois encore parfaitement Zen, en juin 1990, à la tribune du Sommet de La Baule, quand, François Mitterrand, puissant dirigeant de la France d'alors, donnait des leçons de démocratie à l'Afrique en oubliant son sanglant passé de Ministre des colonies, dans les années 50 !
Aux côtés des Chefs d'Etats africains, déboussolés, qu'il tentait de rassurer au point de les inviter le soir, à un copieux dîner, Hassan II avait dû avaler sa rancune. Six ans plus tôt, en 1984, certains d'entre eux avaient participé au putsch qui avait forcé son pays à se retirer de l'Organisation de l'unité africaine (Oua). Il ne pouvait oublier que son propre père, Mohamed V, n'en avait pas seulement été l'un des fondateurs mais l'animateur de la tendance la plus progressiste, le Groupe de Casablanca, adepte d'une intégration africaine fédéraliste, dès 1963, par opposition à l'approche par cercles concentriques, proposée par les tenants du Groupe de Monrovia, plus modérés dans la démarche...
Quand il accède au trône, Mohamed VI sent d'emblée qu'il lui faut aussi redorer l'image d'une Monarchie ternie par la chape de plomb qui lui avait été auparavant imposée. Libertés démocratiques restreintes. Exécutions des plus dangereux adversaires du régime, tel le Général Oufkir, auteur d'un complot d'Etat. Ou encore, fermeté dans la lutte contre les irrédentistes Sahraouis, coupables, aux yeux du défunt souverain, de remettre en cause les revendications de la Monarchie sur l'ex-Rio de Oro, devenu, depuis, le Sahara Occidental, surtout depuis que l'Oua avait admis en son sein la République arabe sahraouie démocratique (Rasd), la structure politique qui prétendait en être le représentant légal.
Alors que le monde vit déjà une dizaine d'années de re-démocratisation, le Maroc que prend Mohamed VI en 1999, n'échappe donc pas aux revendications politiques en cours. Dix ans plus tard, il est sommé de répondre aux premières vagues de la lame de fond, illusoires, en réalité, qui commençaient à révéler ce printemps arabe, moment démocratique fugace dans une région qui en était éloignée tandis que parallèlement une vague terroriste y déferlait.
Dans ces conditions, parier sur les chances de réussite du nouveau Roi marocain relevait d'une gageure. Comment y est-il parvenu ? En le voyant triompher, le 30 janvier, à l'Africa Hall où venait d'être acté, par ovations, le retour de son pays dans l'Union africaine (UA), personne ne doutait qu'il venait de réussir un époustouflant retournement de situation.
J'en mesure l'ampleur en me remémorant de ma première visite dans ce pays, en 1987, au sein d'un groupe invité par Chakib Laroussi, un officiel du pays, devenu, depuis, l'un des principaux conseillers de Sa Majesté.
C'était une époque où le Maroc rêvait de l'Europe quand son ministre des Affaires européennes, Azzedine Guessous, se faisait l'ardent défenseur de son intégration dans une entité européenne alors portée par des vents très forts. «Seuls 14 kms séparent le Maroc de l'Europe», se plaisait-il à ressasser.
De cette rencontre, j'avais retenu que le Maroc, présent en Afrique pour des raisons terrestres, était politiquement orienté vers l'Europe. Culturellement, il était arabophone...
En réafricanisant sa politique, Mohamed 6 a changé de paradigme. Certes, l'Europe était entre-temps devenue une forteresse, anémiée au plan économique, alors que l'Afrique, naguère qualifiée de continent sans espoir, reprenait des couleurs, malgré ses difficultés toujours réelles.
Avoir eu le nez creux pour comprendre qu'elle est la terre d'avenir a été son génie, qu'il a traduit concrètement en parcourant le continent pour signer des accords de coopération par centaines (949 à ce jour), selon le modèle de l'intégration-spaghetti chère au professeur Jagdish Bhagwati.
«Il a su mobiliser tout le royaume autour de sa vision», s'enthousiasme un homme d'affaires Libano-Sénégalais.
Quiconque visite le Maroc maintenant, sait que son identité africaine est une réalité prégnante, expression d'un leadership royal qui n'a pas craint de se déployer dans les rues et restaurants africains, où Mohamed 6 a pu convaincre que le royaume Chérifien est de retour, avec un moteur économique et politique vrombissant.
Bien sûr, il lui faudra taire les critiques sur ses suspicions néocoloniales ; calmer les peurs sur son statut de cheval de Troie se posant en hub pour le continent ; rendre l'aéroport de Casablanca plus sensible au désarroi de ses passagers africains ; éviter que corruption et collusion des élites africaines, au pouvoir, ne soient les seules rampes de lancement de son projet africain.
Ignorer les traces laissées par son retour dans l'UA, dans les pays anglophones et arabophones hostiles, serait une erreur d'appréciation des rapports de force qui se mettent en place.
C'est-là que passe la pérennisation des pas de géants effectués par un jeune, monarque-marketeur au long cours, qui a su ranger son manteau de Roi en son pays pour enfiler celui de sa nouvelle marque continentale. AkhlanwasahlanMalikiAfrikya !