Ndayane, Tchiky, Sackirack, Boukhou, Bandia, Ndengler, AkonCity, etc. : ces volcans en sommeil qui menacent le département de Mbour

Mercredi 8 Février 2023

Dans un document fouillé et factuel, le Forum civil (branche sénégalaise de Transparency international) et Osiwa passent en revue un grand nombre de casse-têtes qui structurent les conflits fonciers dans le département de Mbour, en particulier dans la commune de Diass qui abrite l’aéroport international Blaise Diagne. Une situation lourde de menaces qui met en scène des populations de plus en revendicatives sur leurs droits, des communes affairistes qui, souvent, s’allient à des promoteurs plus ou moins véreux mais très soucieux d’accaparer des terres pour des buts souvent inavoués. Au milieu du gué, un Etat qui ne sait pas toujours à quel saint se vouer pour échapper aux pressions de toutes sortes…


Image d'illustration
 
 
La construction du port en eaux profondes de Ndayane démarre le 28 février 2023. Une annonce faite sur la télévision nationale sénégalaise (RTS) par Mountaga Sy, directeur général du Port autonome de Dakar (Pad) dans la soirée du 1er février. Dans la foulée, le Dr Abdourahmane Diouf, président du parti Awale, dénonce sur son compte Twitter « une vaste opération de spoliation foncière (qui) vient d’être mise en branle sans aucun respect des lois du Sénégal » et lance : « le bulldozer est déjà en action. »
 
Les questions foncières dans cette partie du Sénégal appelée Petite côte (au sud de Dakar) sont considérées comme de potentielles bombes écologiques, sociales et politiques avec lesquelles jonglent les régimes politiques depuis plusieurs décennies. Ndayane y est la commune choisie pour accueillir un port financé par le mastodonte émirati Dubaï port world (DPW) à hauteur de 840 millions de dollars (plus de 500 milliards de francs CFA pour la première phase). La première pierre de cette infrastructure multifonctionnelle destinée à suppléer le port de Dakar a été posée par le président Macky Sall en janvier 2022.
 
Mais à Ndayane, les inquiétudes des populations dont l’agriculture reste une activité importante sont fortes. « La réalisation de ce projet risque de dessaisir les paysans des villages de Mbayard, Raffo et Samkedji (…) du peu de terres agricoles qu’il leur reste », souligne le « Rapport forum d’intégrité sur la transparence foncière dans le département de Mbour », un document coproduit par le Forum civil (branche sénégalaise de Transparency international) et Osiwa (Open society initiative in West africa).
 
« En plus, (le projet) risque de freiner l’extension desdits villages » dont les populations « n’étaient pas du tout informées des limites de ce port » et « ignoraient tout du projet, notamment ses impacts réels dans la commune ». Au final, « une bonne partie des terres fertiles (…) est dans (les 1200 ha) de l’assiette foncière » du futur port.
 
Ndayane n’est qu’un aperçu de la tension foncière qui prévaut dans le département de Mbour où fleurissent « les lotissements illégaux, irréguliers et usurpateurs », relèvent le Forum civil et Osiwa.
 
A Diass et Kirène, des quartiers entiers pourraient être déguerpis par l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) qui revendique leur propriété. En face, les populations, déjà rudement impactées par cet aéroport ambitionnent non seulement de se protéger mais aussi d’étendre leurs terres.
 
A Boukhou, un collectif pour la défense des intérêts de la localité est née pour ferrailler contre un promoteur repris de justice à qui la mairie de Diass a cédé un lotissement de 55 ha tiré de deux titres fonciers, à l’issue d’un processus « entachée de plusieurs irrégularités », note l’étude Forum civil-Osiwa.
 
« Selon plusieurs conseillers municipaux, le conseil municipal n’a jamais délibéré pour un lotissement de 55 ha, alors que la mairie a entamé le projet sur la base de deux exemplaires de documents de délibération avec les mêmes références mais aux contenus différents notamment au niveau de l’article premier », lit-on dans le document.
En sus, les travaux de terrassement ont « démarré en juillet 2016 sans l’autorisation du ministre alors que l’article 43 de la loi n°2008-43 du 20 août 2008 portant Code de l’urbanisme dispose que ‘’l’autorisation de lotir est délivrée par le ministre chargé de l’Urbanisme, après avis de la collectivité concernée…’’ ».
 
A Kandam, les villageois exigent le retour dans leur giron du site dit « Gros porteur » situé dans la forêt classée de Sébikotane sur la route nationale n°1. A l’origine, les 61 ha étaient destinés à la construction d’une gare pour camions gros porteurs par l’Entreprise générale des gros porteurs industries (EGPI). Or, ce projet ayant été transféré à Diamniadio, Kandam souhaite utiliser cette assiette foncière pour étendre son périmètre, construire des logements et des équipements publics.
 
A Sackirack, c’est l’Apix qui est en cause. Les populations lui reprochent de leur avoir extrait 31 ha et la soupçonnent en plus de vouloir les déguerpir au profit de l’AIBD. Déjà « expropriés de leurs champs et parcelles à usage d’habitation » au profit de l’aéroport Blaise Diagne, les habitants organisés en collectif sont « en discussion avec les autorités en vue de trouver une solution à leur demande. »
 
Déstabilisés par l’activité des exploitants miniers, les villageois de Tchiky ne savent plus quelles sont « les limites exactes des carrières d’argile » qui sont exploitées par Dangote cement Senegal (sur 359 ha) et les Ciments du sahel (sur 175 ha).
« Des champs de paysans de trouvent dans les périmètres des carrières sans leur aval », note le document Forum civil-Osiwa. « Les deux pistes non bitumées » construites pour les camions des deux entreprises « polluent par la poussière l’environnement avec des conséquences néfastes sur les plantes et sur les cultures. »
Dégât collatéral de cette pollution: le village de Tchiky a cessé ses exportations de mangues jusqu’à nouvel ordre…
 
Les Ciments du Sahel sont au cœur d’une autre controverse : l’Etat voudrait lui attribuer 236 ha de la forêt classée de Bandia. Or, cet espace est considéré vital par les populations pour la production de miel et pour le parcours du bétail. Elles réclament « depuis très longtemps (…) auprès des autorités la mise à disposition d’une partie de cette forêt pour une exploitation agricole et le reboisement de la partie restante qui les protège de la poussière et des carrières », relève le document.
 
Le dossier AkonCity
 
Presque trois ans après la pose de la première pierre d’un projet dit futuriste (août 2020) porté par le rappeur américain d’origine sénégalaise Akon, « aucun progrès n’est noté » sur le terrain « alors que le début des travaux avait été annoncé pour le premier trimestre 2021. »
 
Le Forum civil soutient avoir demandé des éclaircissements à la Sapco (Société d’aménagement de la petite côte) concernant les 55 ha attribués au projet : « propriété de l’assiette foncière, conditions de cession », etc. Silence radio en retour des autorités. Aujourd’hui, il semble que les populations impactées par ce début de projet courent encore derrière leurs indemnisations.
 
Le dossier Ndengler-Djilakh /Babacar Ngom Sedima
 
« Les habitants de Ndingler-Djilakh sont en litige depuis 2008 avec la société SEDIMA de Babacar Ngom. En effet, en 2012 la Commune de Sindia a délibéré une superficie de 300 hectares dans son périmètre communal pour le groupe SEDIMA. Ce dernier détient depuis 2019 un titre foncier de 225 hectares (titre foncier N°2247/MB) sur les 300 hectares octroyés par la commune.
 
Ce qui rend complexe ce confit, c’est que, selon les habitants de Ndengler, environ 75 ha sur le périmètre octroyé leur appartiennent, alors que leur village fait partie de la commune de Ndiaganiao. Les habitants de Djilakh s’opposent catégoriquement à la restitution de ces terres aux habitants de Ndengler (car) selon eux, le procès-verbal de la visite effectuée dans le cadre de la délimitation des zones des trois arrondissements de Sindia, Fissel et Sessène montre clairement que le site se trouve intégralement dans la commune de Sindia.
 
Concernant le groupe SEDIMA SA, la population de Djilakh croyait à un contrat en bonne et due forme, signé avec le PDG du Groupe SEDIMA à date échue. En cédant 225 ha à la SEDIMA actés par un titre foncier, l’Etat du Sénégal a violé de nombreuses lois, mettant ainsi en confits les paysans djilakhois et cette société.
 
Présentement, plus de quarante paysans djilakhois sont dépossédés de leurs terres par le groupe SEDIMA dans cette zone de terroir, soit environ 120 hectares. Ce qui est plus aberrant, c’est qu’au lieu que le Groupe SEDIMA exploite ces terres prises de force aux paysans de Djilakh, son Président Directeur Général signe un contrat de prêt d’une superficie de 50 ha avec un promoteur étranger pour une durée de cinq ans à compter de la date de signature c’est-à-dire le 22 octobre 2019. C’est ainsi que le collectif pour la défense des intérêts de Djilakh dénonce sans réserve la privatisation de son patrimoine foncier. »
 
Comment sortir de ces bourbiers fonciers
 
A peu près identiques, les problèmes se posent avec acuité dans toutes les autres communes du département de Mbour (Sessène, Joal-Fadiouth, Ndiaganiao, Saly, Thiadiaye, etc.). Pour les résoudre, « l’implication des populations dans toute la chaîne de valeur foncière » est incontournable, estiment le Forum civil et Osiwa. De même que la mise en place - à la base - de systèmes d’intercommunalités viables et solides sur les flancs desquels fonctionneraient les organisations communautaires de base (OCB) avec le soutien des leaders d’opinion et de la société civile.
 
A un autre niveau, des solutions, à la fois juridiques, administratives et techniques, exigent des remises en cause.
 
1). « La loi n°64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national ne répondant plus à certaines préoccupations, doit être adaptée au contexte actuel. Pour ce faire, l’Etat doit prendre en compte les réalités socioculturelles et anthropologiques qui ne sont pas les mêmes partout au Sénégal. La prise en compte de ces paramètres sociaux va éviter toute forme de confits. »
 
2). « La loi N° 2004-16 portant loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (LOASP) doit être appliquée dans toute sa rigueur, notamment les axes stratégiques de la politique de développement agro-sylvo-pastoral énoncés en son article 8. Il ne sert à rien de mettre en place des lois sans pour autant les appliquer. »
 
3). Au plan administratif : « les autorités locales ignorent les limites physiques entre les collectivités territoriales. Sur le terrain, il n’y a pas de limites visibles. Ce n’est qu’après l’éclatement des problèmes que la question est agitée. C’est le cas entre Sindia-Ndiaganiao, Ndiaganiao-Tassette, Sindia-Saly, Thiadiaye-Sessène, Nguéniène-Joal-Fadiouth. Nos autorités, notamment celles des ministères de l’intérieur et des collectivités territoriales, doivent penser à régler cette question avec l’appui de l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire (ANAT) et de la Direction des Travaux Géographiques et Cartographiques (DTGC). Une telle solution nécessite au préalable de larges concertations au niveau local qui vont tenir compte des réalités socioculturelles. »
 
4). Au plan technique : « l’État ayant confié la gestion des terres du terroir aux collectivités territoriales, doit exiger à ce que celles-ci mettent en place de façon participative et inclusive un certain nombre d’outils de gouvernance foncière » comme le POAS (Plan d’Occupation et d’Affectation des Sols), le SIF (Systèmes d’Information Foncière), etc.
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