Non Bolloré, l’Afrique n’est pas à l’abandon (Par Adama Gaye)

Mercredi 2 Mai 2018

L’Afrique n’est pas à l’abandon, Monsieur Vincent Bolloré. C’est une certaine Afrique, avec ses saletés et cachoteries, qui se meurt, en les révélant, telles de purulentes effluves, au BONHEUR de ses peuples et de tous ceux qui savent que le 21eme siècle sera juste ou ne sera pas.


Comme un oiseau pris par une marée pétrolière, ailes gelées, le fringant flibustier d’hier fait désormais pitié. Il se lamente, se fait l’avocat d’autres malheureux, ces familles risquant, par milliers, de perdre ce qui les fait vivre en Afrique, et se pose en apôtre d’un continent que ses compatriotes, notamment les juges fouinant dans les marécages, ont le tort de sous-estimer, de ranger dans la poubelle de l’histoire.
 
Superbe envolée, voici donc, soudain, le Breton, habitué de la mer, à bord d’un yacht resplendissant, qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Il ne comprend plus rien. De plein fouet, un mal de mer le cloue au sol. Il ne réalise pas encore comme il est venu d’une…terre burinée par harmattan et sable désertique, soleil incandescent et vents secs, alors qu’il se préparait à reprendre les routes maritimes lisses, voilier au vent, pour jouir de ses gains africains. Il se trouvait si bien au loin, en sa douce France. En un été naissant. Quand, d’un coup sec, il y eut ce ressac…
 
Brutal choc. Qui déclenche chez lui une forte envie de dégurgiter. “Faut-il abandonner l’Afrique ?”, éructe-t-il, dégouté, dans les colonnes d’un grand journal de son pays. Dix-huit ans après l’infamante sentence faisant d’elle le “continent sans espoir”, à la Une de la bible de l’économie néolibérale, The Economist, dans une saillie entrée dans la postérité, revoici donc la théorie, non-éculée, de la damnation de notre continent. Pauvre Afrique ! C’est le tour d’un capitaine d’industrie, plus habitué des salons soyeux, qui la ressert, gants et prudence au vent…
 
Venant de la bouche de Vincent Bolloré, un homme qui se gausse d’avoir investi  4 milliards d’euros sur le continent, il y a de quoi invoquer les cieux pour tenter de comprendre ce qui a bien pu se passer. Qu’es-ce qui a bien pu faire sortir de ses gonds ce fier-à-bras, altier, arrogant, imbu de certitudes, commandeur, éternellement sûr de son fait ? On le voit, sans panache, sombrer, brusquement, comme un Titanic en haute mer, au milieu d’une intenable houle, avec armes et bagages….
 
Décidément, les vents tournent. Il y a quelques-jours, celui qui, peu avant, terrorisait son monde, méprisait la presse, se détachait du lot, s’était retrouvé brutalement sous les feux de la rampe. Ou plutôt dans l’antichambre d’un cachot pour être cuisiné par plus dur que lui. Au point de sembler n’être plus qu’une poule mouillée face au juge, Serge Tournaire, le même qui, quelques semaines plus tôt, en avait fait voir des étoiles en plein jour à un autre deus ex machina, Nicolas Sarkozy, pour ne pas le nommer.
 
En vérité, les déboires de Monsieur Bolloré n’ont cessé, ces derniers temps, de s’amplifier. Quelques jours avant son humiliante garde à vue, potentiellement privative de liberté, il avait reçu une lourde peine financière de 8 millions d’euros, infligée par des juges exotiques Burkinabé. Intrépides, ils avaient eu le culot de renforcer, en le multipliant par plus de deux, une charge initiale que le justiciable breton voulait annuler.
 
 Le 28 Mars, devant la 17ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, c’est votre serviteur, moi-même, qui l’affrontait après qu’il a trouvé injurieux mes propos l’accusant d’être un prédateur en Afrique dans le même lot qu’un certain Franck Timis, pilleur des ressources naturelles, pétro-gazières, du Sénégal, avec l’aide d’un pouvoir corrompu à sa tête.
 
Las, la plainte envoyée, en son nom, par son avocat parisien, se solde par une déculottée pour qui sait lire le verdict des juges. Le capitaine Bolloré voulait que son honneur soit lavé avec un savon de 32 500 000francs Cfa, soit 50 000 euros. Les juges, droits dans leur toge, ne lui ont accordé que 655 francs Cfa.
 
La curée ne s’en est pas arrêtée là. Au Bénin aussi, verbe haut, la Cour Suprême locale lui a retiré un marché ferroviaire qu’il voulait avoir contre vents et marées, et en particulier pour frustrer un homme d’affaires local…

Bienvenue dans l'Afrique qui monte!
 
Le mal de mer du Breton, ses jérémiades subséquentes, ses plaintes et complaintes sur cette terra nullius africaine, ne sont, dès lors, qu’à analyser sous le prisme d’un retour de bâton. Violent retournement de situation pour celui qui n’en connaissait surtout que les têtes couronnées, palais, centres de pouvoirs, dirigeants qu’il a aidés à accéder au pouvoir. Il s’y mouvait comme un poisson dans l’eau. Il en était le seigneur des eaux. Il en avait fait la cible de ses filets.
 
Tout le monde se demandait par quelle magie, il parvenait, sans coup férir, à capter dans sa nasse chefs d’état, ministres, responsables de sociétés publiques. En leur faisant signer les meilleurs des contrats à son profit. Notamment pour prendre le contrôle de ports et chemins de fer, d’exploitations agricoles, des latifundias tropicaux, tout en influençant le commerce par ses moyens de communication et par la puissance de sa force logistique. On eut dit un proconsul trans-territoires. Que c’était beau pour lui cette démocratie aux enchères, tant le retour sur (maigres) investissements qu’il encaissait n’en cessait d’épater le monde entier…
 
Tout voguait doucement. Sans bruit. Comme un yacht en haute mer. Rien ne pouvait l’amener à réaliser, surtout pas à penser, comme d’autres, qu’il se trouvait sur une terre de non-gouvernance, en étant réincarné en sauveteur, venu sur ces berges torrides et arides, pour porter le fardeau de l’homme blanc, reprenant l’héritage d’un de ses ancêtres, Rudyard Kipling.
Pensait-il, condescendance oblige, qu’il n’y était que pour la sauver de sa nuit…noire?

Les chocs de ces derniers jours ont dû être particulièrement assommants. Pour qu’il réalise enfin que loin des deals de l’ombre entre Lomé, Conakry, Cotonou et Dakar, il y a l’éclat, la lumière, l’exigence de transparence, ces nouvelles normes éternelles dont rêvent tous les peuples et…juges. Les temps changent : les sans-voix du passé se savent désormais capacités par cette dynamique, cette tecHtonique des plaques, née du surgissement de cette nouvelle révolution de l’information-technologique, balayée en son cœur par une exigence populaire d’éthique, de transparence et d’équité. De souveraineté !
 
Réveil dur. Utile. L’Afrique n’est pas à l’abandon, Monsieur Vincent Bolloré. C’est une certaine Afrique, avec ses saletés et cachoteries, qui se meurt, en les révélant, telles de purulentes effluves, au bonheur de ses peuples et de tous ceux qui savent que le 21eme siècle sera juste ou ne sera pas.
 
Bienvenue, en revanche, dans l’Afrique qui monte, la nouvelle Afrique: nouvelle frontière du développement, hospitalière et accueillante, mais attention le ticket d’entrée et les règles du jeu sont aux antipodes des micmacs d’un passé récent. Retrouvez vos esprits, faites votre mea-culpa, remisez votre boîte à outils du passif et du passé, tentez la relation saine, et alors vous pourrez encore être des nôtres. Dans une relation fondée sur le respect et le gagnant-gagnant où les peuples ne seront plus court-circuités par des profitards, publics ou privés.

Revenez, si vous êtes capable de ne plus jouer les seigneurs chez nous. Sinon, en plus du mal de mer, nous vous refilerions celui, encore plus étourdissant, le mal de terre. Finis les passe-droits et deals léonins, nous sommes debout, les yeux grands ouverts. L’oiseau Breton, dans sa douce écossaise, en est-il conscient ? Il gagnerait à l’être, pour la survie de son espèce !
 
*Adama Gaye, journaliste, auteur de Demain La Nouvelle Afrique, aux Editions l’Harmattan, a fait face à Vincent Bolloré devant la 17ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, le 28 Mars 2018.
 
 
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