L’État est passé à l’offensive dimanche en Nouvelle-Calédonie pour y rétablir « l’ordre républicain », « quoi qu’il en coûte », en commençant par une opération d’envergure sur la route entre Nouméa et son aéroport, après six morts en six jours d’émeutes et malgré des appels politiques à temporiser.
La révolte des indépendantistes, provoquée par une réforme du corps électoral de l’archipel du Pacifique sud (270 000 habitants), a enclenché un cycle de violences marquées par des jours et des nuits d’incendies et d’affrontements.
« Je veux dire aux émeutiers, stop, retour au calme, rendez vos armes », a lancé dimanche devant la presse le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc.
« L’ordre républicain sera rétabli, quoi qu’il en coûte », a martelé le représentant de l’État. « Les consignes de fermeté sont passées », a abondé le ministre de l’Intérieur et des Outremer Gérald Darmanin, dans un message sur X.
Pour reprendre le contrôle d’une situation insurrectionnelle, l’exécutif a donné la priorité au dégagement de la route entre Nouméa et l’aéroport international de La Tontouta, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de la « capitale » calédonienne et fermé aux vols commerciaux.
Sur cet axe stratégique pour permettre le réapprovisionnement du sud de la grande île soumis à des pénuries, l’État a lancé dimanche matin (samedi soir à Paris) une vaste opération avec 600 gendarmes, dont une centaine de membres du GIGN, unité d’élite.
Un convoi constitué de blindés de la gendarmerie et d’engins de chantier a parcouru cet axe pour y supprimer tous les obstacles.
« L’opération de dégagement de la grande route […] a été un succès : 76 barrages détruits », s’est félicité Gérald Darmanin dans son tweet.
« On est pacifistes, nous »
Mais la voie est encore encombrée à de nombreux endroits de carcasses de voitures brûlées, ferraille et bois entassés.
Les gendarmes « sont passés, ils ont déblayé, et nous, on est restés sur le côté. On est pacifistes, nous », a confié à l’AFP Jean-Charles, la cinquantaine, tête enturbannée d’un foulard et drapeau kanak à la main à La Tamoa, à quelques kilomètres de l’aéroport.
« Une fois qu’ils sont passés, on a remis le barrage. De toute façon, il est filtrant, […] sauf la nuit », a-t-il affirmé.
Rétablir la circulation est d’autant plus urgent que la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont mis la pression sur la France afin de pouvoir poser des avions pour rapatrier leur ressortissants.
Samedi, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie estimait que 3200 personnes étaient bloquées en l’absence de vols commerciaux, soit parce qu’elles ne pouvaient pas quitter le territoire, soit parce qu’elles ne pouvaient pas le rejoindre.
Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d’origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois Kanak (autochtones), dans l’agglomération de Nouméa.
La reconquête des voies et quartiers bloqués devrait constituer un travail de longue haleine, alors que les dégradations continuent et que les forces de l’ordre estiment toujours le nombre d’émeutiers entre 3000 et 5000.
« Des écoles ont encore été détruites », de même que « des pharmacies, des centres vitaux d’approvisionnement alimentaire, des surfaces commerciales », a listé dimanche Louis Le Franc, ajoutant : « On commence à manquer de nourriture ».
Le haut-commissaire a annoncé de nouvelles « opérations de harcèlement » par les unités d’élite de la police et de la gendarmerie « dès cette nuit (de dimanche à lundi, NDLR), là où il y a des points durs », dans les villes de Nouméa, Dumbéa et Païta notamment.
« Grâce aux 700 forces de l’ordre supplémentaires arrivées et aux 350 » qui devaient les rejoindre dimanche, « dont de nombreux militaires du GIGN et policiers du RAID, les opérations vont se multiplier dans les prochaines heures », a confirmé Gérald Darmanin dans son tweet, relevant déjà « 200 interpellations et la réouverture de 20 commerces alimentaires ».
Louis Le Franc a appelé les habitants qui ont constitué des « groupes de protection » pour défendre leurs quartiers face aux émeutiers « à garder espoir » et « à ne pas commettre l’irréparable », qui provoquerait « un embrasement général ».
Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. Les nombreux obstacles à la circulation compliquent la logistique pour approvisionner les magasins, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.
« Empêcher la guerre civile »
Les mesures exceptionnelles de l’état d’urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18 h et 6 h (9 h et 21 h à Paris), l’interdiction des rassemblements, du transport d’armes et de la vente d’alcool et le bannissement de l’application TikTok.
L’interdiction de ce réseau social, destinée notamment à limiter les contacts entre émeutiers, fait l’objet d’un recours d’associations de défense des libertés qui sera examiné en urgence mardi par le Conseil d’État.
Dimanche, le gouvernement calédonien a annoncé que les collèges et lycées resteraient fermés jusqu’au 24 mai inclus sur tout le territoire. Les écoles de la province Sud, de loin la plus peuplée, garderont également portes closes toute la semaine.
La réforme constitutionnelle, qui a mis le feu aux poudres, vise à élargir le corps électoral aux scrutins provinciaux de Nouvelle-Calédonie, au risque de marginaliser « encore plus le peuple autochtone kanak », selon les indépendantistes. Elle a été adoptée par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.
Ce texte devra encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant.
La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, son homologue au Sénat Gérard Larcher et plusieurs parlementaires de tous bords ont demandé vendredi une mission de dialogue.
Le consensus semble moins net sur un report de la convocation du Congrès, réclamé dimanche par l’ancien premier ministre Manuel Valls.
En outre-mer, les présidents des régions Réunion, Guadeloupe, Martinique et de la collectivité de Guyane, et près d’une vingtaine de parlementaires, ont demandé le « retrait immédiat » de la réforme.
« Seule (une) réponse politique mettra fin à la montée des violences et empêchera la guerre civile » en Nouvelle-Calédonie, préviennent-ils dans une tribune. [AFP]