ORDRE PUBLIC LIBERTAIRE ET ORDRE POLITIQUE AUTORITAIRE : l’Etat de police contre l’Etat de droit

Lundi 31 Octobre 2016

Dr Maurice Soudieck DIONE (*)
 
La répression de la marche de l’opposition le 14 octobre dernier a présenté à la face du monde une image hideuse et honteuse de la démocratie sénégalaise ; désolant spectacle d’éminentes personnalités politiques molestées dans l’exercice d’une liberté constitutionnelle, inhalant à leur corps défendant les gaz lacrymogènes, à profusion lâchés sur des foules déboussolées et désemparées : béante contradiction entre autoritarisme et démocratie, Etat de droit et Etat de police. 
 
Les risques de  troubles à l’ordre public sont souvent convoqués et allégués pour interdire des mobilisations collectives. Or, l’ordre public articulé autour du triptyque sécurité, salubrité et tranquillité est par nature bouillonnant et mouvant, cinétique et non statique, donc toujours plus ou moins troublé ; de telle sorte que le maintien de l’ordre public se définit comme le point d’équilibre entre le désordre supportable et l’ordre indispensable, tant il est vrai que l’ordre absolu ne règne que dans les cimetières !
 
Dans un Etat de droit, l’ordre public doit  être non pas liberticide, mais libertaire ; car l’Etat de droit renvoie à la soumission de la puissance publique au respect des droits et libertés, à travers l’effectuation des principes juridiques de la légalité et de l’égalité, garantis et gardés par des juridictions indépendantes.
 
Autrement, c’est le règne de l’arbitraire de l’Etat de police : un Etat qui selon les circonstances et à sa convenance, choisit de manière discrétionnaire de se conformer ou non au droit ; il entre alors en résonance avec un ordre politique autoritaire, comme entreprise de stabilisation d’un rapport dominants/dominés, fondé de manière constante sur la violence oppressive plutôt que l’intelligence  discursive.
 
L’interdiction quasi-systématique des manifestations de l’opposition et de la société civile par le régime du Président Macky Sall constitue une anomalie inacceptable dans une démocratie et un Etat de droit, en violation flagrante de la Constitution, en son préambule et en ses articles 7 à 10, alors même que celle-ci est le texte matriciel et principiel de l’ordre juridique positif ; le pacte sociopolitique primordial qui établit, régit et nourrit les relations entre gouvernants et gouvernés. Elle perpétue un système gagé sur la valorisation et la préservation des libertés et droits fondamentaux, en ce sens que le président de la République, avant d’entrer en fonction, doit jurer de respecter et faire respecter la Constitution, conformément aux dispositions de l’article 37.

La proclamation et déclamation constitutionnelles et solennelles des droits et libertés n’ont de sens donc que si et seulement si, elles sont suivies d’une expression et protection réelles et factuelles. Il est vrai que les libertés constitutionnelles doivent s’exercer dans le cadre des lois et règlements, mais ceux-ci ne doivent pas les vider de leur sens et de leur substance. En matière de manifestation, « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ».
 
L’acte administratif unilatéral revêt certes une présomption de vérité légale, mais cette présomption est simple, elle n’est pas irréfragable : il est possible de réfuter la légalité de la décision lors d’un procès, en soulevant une exception d’illégalité, ou de faire un procès de légalité à l’acte, en introduisant un recours pour excès de pouvoir.
 
Dans la jurisprudence Benjamin en date du 19 mai 1933, le Conseil d’Etat soumet la licéité de l’interdiction préventive d’une manifestation à deux conditions cumulatives : l’existence d’une menace exceptionnellement grave à l’ordre public, et l’insuffisance des forces de l’ordre pour encadrer la mobilisation. Lorsque le pouvoir viole régulièrement et allègrement la Constitution, clé de voûte et pierre angulaire de l’ordonnancement juridique, peut-il exiger qu’un arrêté soit respecté ?
 
L’arrêté du 20 juillet 2011, abusivement pris dans les conditions des convulsions d’un régime aux abois, voué aux gémonies et en agonie, ne saurait être au-dessus d’un décret ou d’une loi, a fortiori de la Constitution. Dès lors les « autorités politico-administratives » pour gérer pacifiquement le mouvement de foule, auraient dû discuter avec les organisateurs qui ont annoncé leur manifestation depuis un mois, afin de trouver un terrain d’entente.
 
Malheureusement chez les détenteurs du pouvoir, il y a une tendance pernicieuse à poser une équation fallacieuse : opposition dans le pays = déstabilisation du pays. Or une démocratie sans opposition, se transforme de manière insidieuse en autocratie. L’opposition est un rouage essentiel au fonctionnement du système démocratique ; pour jouer pleinement son rôle, elle ne doit pas être stigmatisée, diabolisée et réprimée !
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis  

 
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