PR MAGUEYE KASSE (PIT) – «Nous essayons de ne pas perdre notre âme»

Mardi 23 Aout 2016

Quelle est la trajectoire historique du Pit dont les membres ont été des militants actifs dans le Pai de Majmouth Diop ?
C’est une génération d’intellectuels, étudiants à l’époque qui ont rejoint un mouvement de pensée pour le progrès et la transformation sociale, empruntant des voies qui ont été déjà tracées par des prédécesseurs qui ont compris très vite la situation dans laquelle se trouvaient nos pays africains dans leurs rapports avec la puissance coloniale. C’est une raison pour lesquelles, nous avons été séduits par une appellation : Parti africain de l’indépendance (Pai).

Nous faisions partie de cette cohorte d’apprenants, exilés en Europe et qui ont croisé le chemin du Mouvement des élèves et étudiants du Pai (Meepai). Avec tout ce que nous avons vécu, et mieux encore, en tant que soixante-huitards (mai 68) – j’étais en classe de seconde – nous lisions des livres qui semblaient très actuels à l’époque. Je veux parler des mouvements noirs aux États-Unis avec les Blacks Panthers, les frères de Soledad. Donc, très tôt sensibilisés à l’injustice. Arrivé en France et sur les traces de Sémou Pathé Guèye, militant dans l’Association des étudiants sénégalais de France en même temps que d’autres comme Serigne Mansour Sy Djamil, nous avons été fortement sensibilisés sur la situation de l’Afrique. Nous nous sommes intéressés au Pai, avons lu les documents de ce parti dans la clandestinité. C’est par la suite que j’ai rejoint Sémou en adhérant de ce parti. Donc, le Pai, c’est d’abord le creuset d’un ensemble d’idées qui devaient conduire notre réflexion vers un engagement soutenu à travers ce que Lénine appelait ‘’l’intellectuel révolutionnaire’’.
 
Qu’est-ce qui a façonné votre mental ?
Nous étions très engagés, des embryons de l’unité africaine. Tout cela a participé à façonner notre mental. C’est dire que le Pai était un parti avec une idéologie très forte d’intégration politique, parce que nos pays étaient encore englués dans un système capitaliste dont la caractéristique principale était l’exploitation féroce de nos ressources humaines et matérielles. Ce parti a aussi connu beaucoup d’évolutions car, dans l’histoire du Pai jusqu’au Pit, nous avons eu des camarades qui ont quitté pour des raisons doctrinaires, de divergences idéologiques autour de la cohésion d’un parti de type léniniste comme le Pit le sera plus à sa création.

Donc, il y a eu certaines divergences au sein du Pai et des gens se sont sentis mis à l’écart. En réalité, c’est comme dans un train. A chaque gare, il y a des gens qui montent et d’autres qui descendent. C’est dire que nous nous sommes dits que quelles que soient les péripéties, il fallait toujours trouver le moyen de maintenir le flambeau de la Gauche, un ensemble de forces disparates, mais dont le dénominateur commun est la lutte pour la transformation sociale et le progrès social. Donc, nous sommes venus au Pai, ensuite au Pit, de manière presque naturelle.
 
Comment Seydou Cissokho, Amath Dansokho, Sémou Pathé Guèye, Maguette Thiam et bien d’autres se sont-ils retrouvés pour créer le Pit ?
Il faut rappeler que le Président Senghor avait décidé des trois courants que sont le courant socialiste, libéral avec Abdoulaye Wade et celui marxiste en précisant que c’est avec Majmouth Diop. Or pour nous, dans les documents centraux, le parti avait démis Majmouth Diop de ses fonctions de secrétaire général du Pai. Malgré tout, Jean Collin avait décidé de le reconnaitre comme celui qui devait incarner le courant marxiste. Ceci étant, il avait l’autorisation de recréer le Pai, alors que les organes du parti avaient élu Seydou Cissokho comme successeur de Majmouth Diop. De notre côté, nous avions décidé de poursuivre la voie de la clandestinité. Après le départ de Senghor, Abdou Diouf avait opté pour l’ouverture démocratique intégrale, nous permettant de revenir à la vie légale. Nous n’avons pas voulu continuer à entretenir la confusion entre Pai clandestin et Pai version Majmouth Diop. Il est alors revenu au Congrès constitutif de 1981 de mettre sur place le Parti de l’indépendance et du travail (Pit).
 
Le Pai n’a pas disparu tout de suite…
Évidemment, le Pai de Majmouth a continué d’exister plus ou moins jusqu’à disparition suite au décès de son fondateur. De notre côté, nous avons continué le travail d’organisation, de mobilisation et de lutte au service des masses du Sénégal sous le label Pit, héritier du Pai-Sénégal. Donc, les noms qui ont marqué le Pit (Seydou Cissokho, Sémou Pathé Guèye, Maguette Thiam, Amath Dansokho…) étaient pour le public des noms emblématiques. Nous avons eu droit à des moments d’intenses émotions quand nous avons vu Seydou Cissokho en chair et en os. Pour nous, il était un mythe, une idée. Pour la plupart, c’était la première qu’on le voyait contrairement à ses compagnons de la première heure qui l’ont caché et soutenu dans la clandestinité jusqu’à la reconnaissance officielle de notre parti.
 
Qui était Seydou Cissokho, le 1er secrétaire général du Pit ?   
Je viens de vous dire qu’il était un mythe. Mais je peux me faire une vraie idée de la capacité de l’homme de pouvoir concevoir, analyser, exposer, écrire et tracer des perspectives. Partant de là, on peut dire que c’était un homme hors du commun, rigoureux, perspicace et marxiste jusqu’au bout des ongles tout en mettant en avant l’humilité.

En tout cas pour moi, il était un intellectuel engagé, très tôt sensibilisé à la cause des prolétaires de façon générale, qui a décidé de mettre sa vie au service de la transformation sociale pour la voie révolutionnaire. Et quand je parle de révolution, je veux dire avoir cette capacité de concevoir des stratégies de libération de nos peuples. Il écoutait et échangeait, il était un dirigeant exceptionnel dénué de tout esprit étroit. En réalité, il était un phare dans la lutte révolutionnaire au Pai et ensuite au Pit.
 
De ce point de vue, peut-on affirmer que le regroupement d’intellectuels engagés pour l’émergence des masses est une marque de fabrique au Pit ?
Dans le Pai, nous avions des idées très fortes, irriguées par un principe qui est de faire preuve de beaucoup d’humilité dans ce que nous faisons. La recherche du savoir est une quête perpétuelle et on ne peut savoir que si l’on sait que l’on ne sait pas, comme disait Amadou Hampathé Bâ. Donc il fallait nous faire socialement et d’essayer d’être les meilleurs dans nos domaines respectifs. Aussi, nous fallait-il surtout nous mettre à l’écoute des masses populaires. Les intellectuels venaient dans le parti avec cette volonté de se mettre au service du peuple, d’essayer de comprendre et de maitriser les mécanismes par lesquels il fallait les amener sur le terrain d’une connaissance visant la transformation sociale.

Il fallait être à l’écoute des ouvriers, des paysans et aussi dire aux intellectuels révolutionnaires qu’il fallait savoir faire face à la petite bourgeoisie qui est capable de se muer en une force importante. Des hommes comme Seydou Cissokho, Amath Dansokho, Sémou Pathé Guèye ou encore Maguette Thiam sont des modèles dans le comportement, l’abnégation, les idées défendues et les outils mis en valeur pour former un parti révolutionnaire de transformation sociale. Ce qui d’ailleurs fait le ciment de toute une pensée de Gauche. Je défie quiconque de me dire s’il existe dans ce pays un cadre bien formé qui n’a pas été membre de ce parti ou qui n’apporte des idées à ce parti, même n’étant pas un militant.
                         
Aujourd’hui, le Pit, au vu de ses accointances avec le pouvoir, ne dérive-t-il pas vers la droite ? Que reste-t-il de ce parti d’ailleurs ?
Ce n’est pas juste de demander s’il reste quelque chose du Pit. Car c’est comme si le Pit était mort. Ensuite, il ne faut pas évoquer une dérive droitière. Si vous remontez l’histoire, au développement et à la manière dont les militants du Pit se battent au quotidien, vous ne ferez pas à un cadavre dont il faudrait se débarrasser et mis au placard. Le Pit est un parti vivant, attractif, qui a ses modes de fonctionnements, mais qui n’a pas perdu de vue la bataille de classes qui se mène à l’heure actuelle.

En effet, l’impérialisme a tellement de moyens d’étouffer la voix de ceux qui veulent se battre contre ses méfaits ! Donc le Pit fait face et continue de faire face. Aujourd’hui, dans le paysage médiatique, c’est la politique politicienne et on ne donne pas la chance au peuple de comprendre les enjeux des situations qu’il vit et qu’on lui a imposées, en obscurcissant sa conscience par tous les moyens imaginables.

On fait face au chômage, à l’échec de l’école, aux propositions de danse, musique et lutte et à bien d’autres problèmes. Regardez de plus près et vous comprendrez que nous, membres d’un parti traditionnel de lutte, nous essayons de mettre des stratégies nous permettant de ne pas perdre notre âme et d’accompagner tout processus révolutionnaire pour que le Sénégal sorte de l’ornière et du sous-développement. Nous sommes réalistes car la manière de faire la politique a été tellement galvaudée dans ce pays avec une quête d’accès aux ressources de ce pays. En définitive, le Pit est debout et reste debout.   

 
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