Annoncée comme imminente, l’offensive terrestre israélienne dans la bande de Gaza n’a toujours pas été lancée, délai que des médias et experts israéliens attribuent aux pressions internationales, à des dissensions entre politiques et militaires, et à la délicate question des otages.
Dix-huit jours après la pire attaque jamais lancée sur le sol israélien par le mouvement islamiste palestinien du Hamas, au pouvoir à Gaza, l’armée israélienne pilonne sans relâche la bande de Gaza. Mais hormis quelques incursions, l’offensive terrestre annoncée n’a pas été lancée.
« Crise de confiance entre Benyamin Nétanyahou et Tsahal », l’armée israélienne, écrit l’éditorialiste le plus célèbre d’Israël, Nahum Barnéa, dans le quotidien Yediot Aharonot.
« Le gouvernement a du mal à prendre des décisions agréées par tous sur les questions de l’heure », ajoute-t-il. Selon des sources gouvernementales et militaires citées par M. Barnéa, « Nétanyahou est en colère contre les généraux à qui il impute la responsabilité de ce qui s’est passé », ce que l’on nomme en Israël le « fiasco du 7 octobre ».
À droite et à gauche, les avis sont unanimes : « Les différends autour de ces opérations créent des tensions, notamment entre le premier ministre Benyamin Nétanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant », écrit mardi l’éditorialiste Amos Harel dans le quotidien Haaretz (gauche).
La radio d’État y va du même constat en mettant en relief « les dissensions entre le premier ministre et la hiérarchie militaire » sur fond d’accusations mutuelles sur les failles ayant permis les incursions des hommes du Hamas venus perpétrer une série de massacres.
Selon Israël, plus de 1400 personnes, en majorité des civils israéliens, y compris des femmes et des enfants, ont été tuées sur le sol israélien. Selon le ministère de la Santé du Hamas, près de 5800 personnes, majoritairement des civils, sont mortes dans la bande de Gaza depuis le début de la campagne de bombardements engagés en représailles, prélude à l’invasion terrestre annoncée.
Comme le notent plusieurs commentateurs, la récurrence des communiqués officiels où il est question de convergence de vues au plus haut niveau serait révélatrice du caractère factice de ce « front uni ».
« Le premier ministre, le ministre de la Défense et le chef d’état-major travaillent en étroite et pleine coopération, 24 heures sur 24, pour mener l’État d’Israël à une victoire décisive sur le Hamas. Il existe une confiance totale et mutuelle entre » eux, énonce ainsi un communiqué du Bureau de presse du gouvernement (GPO) publié mardi.
Patrick Bettane, spécialiste du renseignement au groupe de réflexion israélien International Institute for Counter-Terrorism (ICT), confirme « ces dissensions autour d’une offensive terrestre ».
« Réaction en chaîne »
« Mais le fait qu’il y ait des otages retenus dans la bande de Gaza complique tout. Israël attend de voir comment ce problème va être résolu avant d’agir », explique M. Bettane. Plus de 200 otages restent détenus, leurs familles manifestent tous les soirs près du ministère de la Défense, à Tel-Aviv.
Pour Akiva Eldar, spécialiste de la politique israélienne, « après l’émotion suscitée par ce terrible massacre, Bibi et les généraux commencent à réfléchir différemment ».
La présence en Israël, selon lui, de généraux américains censés prévenir tout dérapage, éviter la mort d’otages, notamment américains, éclaire d’un jour nouveau cette réflexion qui tranche avec le discours officiel sur « la fin annoncée du Hamas à la fin de la guerre en cours », comme l’ont promis MM. Nétanyahou et Gallant.
Dans la nuit de lundi à mardi, le chef d’état-major israélien Herzi Halevi a néanmoins répété vouloir « démanteler complètement le Hamas, ses dirigeants, sa branche militaire et ses mécanismes de fonctionnement ».
Pour Daniel Bensimon, expert de la politique israélienne, « dissensions ou pas, c’est un fait qu’Américains et Européens défilent en Israël pour caresser Israël dans le sens du poil par de belles paroles en le menottant pour éviter une offensive terrestre ».
Selon lui, « la communauté internationale craint qu’une offensive terrestre ne provoque une réaction en chaîne et donc un embrasement de toute la région, voire bien au-delà ».
Les Israéliens ont été touchés par les mots de compassion et de soutien de plusieurs dirigeants étrangers qui se sont succédé en Israël, notamment l’Américain Joe Biden, le 18 octobre, et jusqu’à Emmanuel Macron mardi. Le président français a assuré les Israéliens qu’ils n’étaient pas seuls pour « combattre ces groupes terroristes ». Mais dans le même souffle, il a souhaité que cela se passe « sans élargir le conflit ».
« Biden et Macron disent de belles choses. Mais dans le fond, ils veulent empêcher qu’Israël ne pénètre dans Gaza et que l’Iran n’entre dans la danse » à la frontière nord d’Israël, via son bras armé au Liban, le mouvement chiite du Hezbollah. [AFP]