Patrons de presse et principe de réalité

Mardi 13 Aout 2024

Ce 13 août 2024, une bonne partie des médias sénégalais est en grève sous le label « Journée sans presse ». Selon la note produite par les éditeurs de presse, « l’objectif visé (par le pouvoir) n’est autre que le contrôle de l’information et la domestication es acteurs des médias » à travers différents actes: « blocage des comptes bancaires, production d’état exécutoire de saisie de matériels de production, rupture unilatérale et illégale des contrats publicitaires, gel des paiements, mise en demeure, refus de concertation ». C’est en réactions à ces craintes que seuls quatre quotidiens sont parus ce jour : Le Soleil (public), Yoor-Yoor Bi (proche du régime), Walfadjri et Le Témoin (presse privée indépendante). Ce dernier journal, dirigé par Mamadou Oumar Ndiaye, n'est pas paru aujourd'hui à cause d'un problème d'imprimerie, signale sa direction dans une note rendue publique. Le Témoin précise « qu'elle se démarque totalement du mouvement de grève lancé par une partie de la presse pour ce jour ».
 

Sur l’échelle des paliers de la lutte syndicale ou de survie, la démarche des éditeurs de presse est frontale : c’est la grande tronçonneuse au premier coup, une stratégie qui interroge sur ce qui pourrait rester comme moyen de pression sur le pouvoir si les choses restent en l’état.

 

Cette subite radicalité des patrons de presse avec un pouvoir qui n’a pas encore cinq mois de vie tranche d’avec l’extrême compréhension que la plupart d’entre eux ont manifestée à l’endroit du régime précédent. 

 

Durant toute période de répression instaurée par Macky Sall contre la presse et les journalistes, ces patrons « emblématiques » avaient fait le choix de se terrer, limitant leur indignation feinte à des rhétoriques auto-protectrices qui avaient le don de ne pas les compromettre avec des ennemis imaginaires identifiés par les tyrans en place. Certains n’osaient même plus (re)mettre les pieds aux rencontres de la CAP (Coordination des associations de presse) à la Maison de la Presse par peur d’un signalement des RG à la hiérarchie. 

 

Déjà, le principe d’une « journée sans presse » avait été agité à plusieurs reprises afin de pousser l’ex régime à mettre un terme aux brutalités psychopathes qu’il exerçait contre les journalistes et certains médias. Ces braves patrons de presse y ont fait barrage systématiquement en usant de subterfuges et de dilatoires. Mais le fond de leur position commune sautait aux yeux : ne pas se faire taper par la cravache de l’intransigeant Macky Sall. Objectif ? Ne pas fâcher les bailleurs officiels et leur capacité de nuisance financière et, surtout, capter des ressources additionnelles occultes qui ne manquaient pas de gicler des tunnels scabreux de la connivence établie. Une soif d’aisance matérielle qui, en contrepartie, ouvrait la porte à toutes les folies, même contre des confrères. Contre l’un des nôtres, Pape Alé Niang, certains ont ouvertement applaudi à ses déboires et justifié même le principe de sa mise à mort éditoriale : ils devaient être en phase avec la ligne alors répressive en vigueur.  

 

Les difficultés de la presse ne datent pas d’aujourd’hui. Elles explosent hic et nunc car des éditeurs se retrouvent subitement à devoir faire face au principe de réalité face à un régime qui tente de les (re)mettre à l’endroit d’une gestion d’entreprise orthodoxe ou, à tout le moins, acceptable et éloignée du vagabondage qui a mis à genoux certains d’entre eux et précarisé leurs employés. Abus de biens sociaux ? 

 

Le pouvoir en place, quant à lui, serait irresponsable et mal inspiré de vouloir - comme on l’en accuse - tuer la liberté de presse et d’expression en usant d’artifices déloyaux servant des objectifs politiciens de musellement des médias. Rien n’indique - pour le moment - que cela soit un argument sérieux d’un point de vue factuel. 

 

Si la précarité de l’environnement médiatique ne se discute pas, si donc la perfection n’est clairement pas atteignable d’une manière ou d’une autre dans le domaine des médias, il y a au moins une case à remplir en dormant : l’obligation de transparence et de sincérité dans la gestion des comptes des entreprises de presse. Dans un pays démocratique normal où l’autorité est soumise à la loi, l’aide de l’Etat aux groupes médiatiques ne se ferait pas attendre. On l’espère pour le Sénégal afin que tous les journalistes vivent dignement du plus beau métier du monde ! 

 
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