Pauvreté et précarité sociale : quand l’opulence empêche de bien voir la réalité

Lundi 30 Janvier 2017

Les autorités de la République sont très fières des résultats macro économiques du Sénégal, de son taux de croissance de 6 %, des travaux engagés au niveau du pôle urbain de Diamnadio, de l'environnement des affaires, des facilités d'endettement du pays au niveau des marchés financiers, des réalisations à l'intérieur du pays grâce au PUDC, de la couverture maladie universelle évoquée dans une autre contribution intitulée : Questions de santé publique, des bourses familiales, etc. Nous avons entendu à suffisance ces discours de satisfaction et de réussite à tous points de vue du Plan Sénégal émergent.
 
Toutefois, les faits sont têtus. Les Sénégalais dans leur immense majorité souffrent le martyr et ne se retrouvent pas dans l'euphorie ambiante des autorités publiques. A chacune de leurs sorties, elles nous martèlent les progrès accomplis par le chef de l’État en si peu de temps. Le porte parole du gouvernement, monsieur Seydou Guèye, nous demande simplement « d'ouvrir les yeux pour voir » le changement  voire la transformation du pays dans tous les domaines.
 
Nous ne nous comportons pas en nihilistes. Il est vrai que des infrastructures sont en train d’être réalisées dans plusieurs localités. Toutefois, ce sont des sociétés étrangères qui réalisent ces travaux. Le producteur local, le sénégalais lambda et nos PME ne bénéficient pas des retombées financières de ces travaux. Le capital étranger voire français se charge de rapatrier les bénéfices pour participer à l’effort de développement et de croissance de leur pays. Le secteur privé national est écarté des marchés publics de grande envergure au profit de sociétés françaises, marocaines, chinoises… Il traverse des moments difficiles à cause de l'irresponsabilité de nos autorités publiques à faire prévaloir une préférence nationale, un patriotisme économique.
 
Dire comme monsieur Seydou Gueye qu’il suffit juste d’ouvrir les yeux pour constater le renouveau dans le paysage sénégalais, c’est se méprendre sur ce qu’est réellement le progrès économique et social. Nous vous demandons de sortir de vos bureaux, de vos villas, de quitter les beaux quartiers du littoral, des palaces de la ville et de sillonner les marchés de la banlieue, les villages du pays pour constater avec effroi que les Sénégalais ne vivent pas dans les tableaux idylliques de nos politiciens professionnels.
 
Dire comme monsieur Seydou Gueye que les bourses familiales ont permis à 300 000 ménages soit 2,4 millions de sénégalais de sortir de la précarité, c’est de se méprendre sur les réalités sociales de la pauvreté. Même s’il faut saluer au demeurant cette aide des autorités publiques aux familles les plus vulnérables, cette allocation est insuffisante pour couvrir les besoins réels de ces personnes. Lorsque l’on vit dans une certaine opulence, il est difficile de mesurer la charge sociale qui pèse sur le dos du Gorgorlou sénégalais. Donner à une famille pauvre du Sénégal «  un revenu minimum de 25 000 francs CFA » par trimestre, soit 8333,33 33 francs CFA par mois, soit 277,77 francs CFA par jour, est largement méprisant et dévalorisant. Une famille pauvre au Sénégal est composée en moyenne de 8 à 10 membres. Je vous laisse le soin de faire le calcul. Le diable voire le mal est dans le détail.
 
Dans le dernier rapport de la Banque mondiale de 2015, le seuil de pauvreté est fixé entre 1,25 dollars et 2 dollars par jour. Le gouvernement sénégalais, à travers sa bourse familiale, donne à ses pauvres un montant bien en deçà des chiffres de la Banque mondiale. Même un  mendiant sénégalais gagne par mois plus que cette allocation allouée aux pauvres par nos « généreux » dirigeants. Certes, nos parents qui sont dans le dénuement total ne vont pas cracher sur cette « fortune » du gouvernement.
 
Nous vous demandons d’avoir plus de compassion pour les personnes précarisées du Sénégal. Votre propension à communiquer davantage sur cette question révèle simplement l'incapacité des autorités de la République à  combattre et à faire reculer considérablement la pauvreté au pays de la Teranga. Il faut absolument arrêter de prendre les citoyens sénégalais pour des demeurés ou des moins que rien. Les pauvres du Sénégal ne veulent trouver que du travail et non de bénéficier d’un assistanat qui ne dit pas son nom.
 
L’aide sociale doit être évaluée en fonction des besoins vitaux récurrents des populations et du coût réel du niveau de vie. Cette faible allocation ne permet même pas de s’acheter les produits de base (riz, sucre, huile, pain...) d’un ménage ordinaire sénégalais. Les populations sénégalaises les plus vulnérables méritent plus que ça et ne demandent pas la charité aux autorités de la République. Nous estimons que l’État du Sénégal peut et doit faire mieux à destination des catégories sociales les plus vulnérables. Il urge donc de mettre en place une justice sociale distributive plus équitable et efficiente. Les moyens budgétaires ne manquent pas. Il faut juste de l’audace pour mettre fin aux inégalités sociales et avoir un  sens aigu du devoir de responsabilité envers les personnes précarisées.
 
Il faut commencer par supprimer le pléthore de conseillers du président de la République, les institutions et agences inutiles et budgétivores et les privilèges indus (bons de carburant, indemnités exorbitantes et frais de mission surfacturés...) de certaines autorités, qui sont par ailleurs gracieusement rémunérés sur le dos du contribuable sénégalais.
 
Par ailleurs, les jeunes ont du mal à trouver un emploi rémunéré. Ils pratiquent tous la débrouillardise comme mode de survie. Vu le nombre de femmes et d’hommes qui s’affairent dans nos marchés pour vendre des articles afin de subvenir à leurs besoins , montre à suffisance le niveau réel de l’économie sénégalaise. Pour cela, il n’est pas du tout nécessaire de comprendre les modalités d’appréciation du taux de croissance d’un pays à un moment t de son évolution. Un bon taux de croissance économique réelle doit être  perceptible dans le vécu des populations. Avec plus de 56% de la population pauvres voire très pauvres, venir nous parler de transformations sociales et économiques visibles relève du tapage médiatique à outrance pour masquer les insuffisances et les faiblesses de l’action gouvernementale dans sa prise en charge des défis et des préoccupations des citoyens et d’un cynisme manifeste pour narguer les populations.
 
Construire un réseau routier de qualité est important pour impulser le développement, mais il doit être porté et soutenu par le secteur privé national. Un développement endogène n’est possible que par la participation de nos PME aux efforts d'émancipation et de revalorisation de notre économie, la mobilisation et la capitalisation des revenus des citoyens sénégalais.
 
L’État du Sénégal se trompe de perspectives en s'appuyant sur le secteur dynamique des services pour produire des richesses. La plupart des entreprises du secteur tertiaire sont des firmes étrangères, à qui d’ailleurs nos autorités accordent des facilités et des allègements fiscaux au détriment de la compétitivité de nos PME.
 
L’Etat du Sénégal doit mettre plus de moyens sur le secteur primaire afin de favoriser un développement économique durable endogène. Il doit soutenir le monde paysan en modernisant les moyens de production et en optant pour une politique agricole intensive. Pour ce faire, il doit mettre à la disposition des agriculteurs des zones de captage et d'irrigation d’eau pour produire davantage durant toute l’année.
 
L’Etat doit investir beaucoup de moyens dans ce secteur d’activité qui occupe plus de 60 % des forces vives de la nation. L’Etat du Sénégal peut encore mobiliser les jeunes dans le secteur de l'agriculture moderne intensive en organisant par exemple un service civique obligatoire moyennant une certaine rémunération pour cultiver la terre, participer au développement économique du pays et acquérir un savoir faire pratique pour entrer dans le monde du travail.
 
L’Etat du Sénégal doit trouver les voies et moyens afin d’occuper les jeunes pour le bien-être commun avant que la situation endémique intenable du chômage ne dégénère en tensions sociales violentes. Un pays qui a du mal à offrir un emploi digne et bien rémunéré, ne pourra jamais voir l’émergence.
 
Voir ou percevoir des choses revient inexorablement à porter une appréciation et  un jugement qui tiennent compte du vécu réel de l'observateur. Cette campagne de communication à outrance sur les réalisations du gouvernement peut à terme devenir improductive du fait d’une perception autre de la réalité faite en connaissance de cause par les citoyens sénégalais. Le bas peuple et la classe moyenne savent très bien que l’action gouvernementale tarde à se concrétiser pour prendre en charge et satisfaire leurs besoins légitimes de bien-être social.
 
Les délices du pouvoir empêchent à monsieur Seydou Gueye et à  beaucoup de ses collègues de la majorité présidentielle Benno Book Yakaar de bien cerner la question sociale de la pauvreté au Sénégal. La pauvreté est une réalité au pays de la Teranga. Chasser les mendiants ou talibés de nos villes ne résout pas le problème de la précarité. La présence des talibés dans nos rues est gênante et sensible pour les autorités afin de masquer le délabrement manifeste du tissu social.
 
Les Sénégalais vivent stoïquement leur détresse en constatant qu’ils ne rentrent pas dans les plans des autorités de la République et qui par ailleurs ne s’activent que pour leurs propres intérêts et de ceux de leurs maîtres occidentaux.
massambandiaye2012@gmail.com
 
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