Par Maurice Soudieck DIONE (*)
La politisation de la corruption est une expression du caractère néo-patrimonial de l’État africain postcolonial ; situation symptomatique d’une indistinction entre biens publics et privés, entretenue par la prédation et la redistribution clientéliste, économique et symbolique. L’ethos de la manducation, de la magnificence et de la munificence qui suscite l’exaltation des attributs et attributions du pouvoir et de l’avoir, constitue alors un principe structurel de fonctionnement des systèmes politiques africains, où l’État est le principal détenteur et pourvoyeur de ressources, dans un contexte marqué par la pauvreté.
La corruption dévoie le politique, au sens grec de « Politikei », en tant que principe d’ordre, de cohésion et de progrès de la société ; de vivification et revitalisation constantes de l’être-de-chacun dans l’être-ensemble, tendues asymptotiquement vers les idéaux de liberté, de dignité et d’égalité. Le glissement sémantique s’effectue dès lors vers la politique, comme enchevêtrement de jeux et oppositions d’intérêts individuels et factionnels, pour conquérir temporellement donc temporairement le règne, la puissance et la gloire ; la politique devient donc un moyen de distinguer et ségréger dominants et dominés, dans une logique d’oppression, de répression et de spoliation.
La corruption est un fléau sociétal à combattre, car elle gangrène et détruit les potentialités et possibilités de développement, mais la lutte contre elle souffre encore de la tare essentielle d’être tributaire des conflits et contradictions relatifs à la conquête et à la conservation du pouvoir, comme jadis les audits sous le Président Wade ont été des moyens efficaces de pression et d’incitation à la transhumance à grande échelle des socialistes déchus ; comme la traque détraquée des biens mal acquis, sélective et attentatoire aux droits et libertés des inculpés, est suspectée d’être une arme non conventionnelle de déstabilisation et de démantèlement de l’opposition, notamment le PDS ; et comme aujourd’hui l’affaire judiciaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar est difficilement détachable de l’option de Khalifa Sall de se positionner en dehors de Benno Bokk Yakaar, pour les élections législatives de 2017 et la présidentielle de 2019 !
D’où la permanence et la persistance de soupçons quant à la corruption de la compétition, via la mobilisation de l’appareil judiciaire, dans le but de neutraliser des adversaires politiques, dont on fait paradoxalement la promotion, par le truchement d’une victimisation qui fausse le jeu électoral, en amenant les citoyens à se prononcer non pas sur une base programmatique, mais compte tenu d’émotions conjoncturelles !
Politisation de la corruption et corruption de la compétition sont à l’origine de descentes politiques aux enfers. Pour des populations frappées d’un dénuement parfois extrême, ayant péniblement accès à l’eau, à l’électricité, aux soins, à l’éducation et à l’emploi, agneaux sacrificiels de la cupidité d’hommes et de femmes politiques, ayant privilégié l’ethos de la vénalité à l’éthique de la responsabilité.
Pour les hommes et femmes politiques, accusés et donc présumés innocents, mais immédiatement jetés en prison et humiliés dans la mise en branle impitoyable de la machine judiciaire, avec des conséquences humaines, sociales et psychologiques irréparables, dès lors qu’il s’avère ensuite que la lutte contre la corruption n’était qu’un prétexte pour briser politiquement et socialement des concurrents, avec ce risque éminent et imminent de radicaliser le jeu politique, en suscitant des comportements et réflexes de conservation du pouvoir à tout prix, seul gage pour ne pas subir ce qu’on a fait subir aux autres, et d’où peuvent découler des crises politiques majeures, voire la dissolution du lien social ! Surtout qu’au Sénégal, il est fort improbable de se maintenir au pouvoir en manipulant les élections, d’où l’impérieuse nécessité de trouver des voies de salut démocratique.
La reddition des comptes et non le règlement de comptes, est un impératif catégorique, une exigence démocratique non négociable, mais il faut éviter les travers d’une justice parcellaire, à travers la politisation de l’opportunité et de la temporalité des poursuites. La prérogative discrétionnaire du président de la République de transmettre à la justice les rapports de l’Inspection générale d’État doit être supprimée, car c’est une voie royale de politisation de la lutte contre la corruption, surtout pour un Président en quête d’un second mandat !
Le Président Sall dans son premier discours à la Nation, le 03 avril 2012, affirmait : « À tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers publics, je tiens à préciser que je ne protégerai personne. Je dis bien personne ! » Est-ce à dire que le Président peut protéger s’il le veut ? Le système doit donc évoluer afin que même si le Président le voulait, qu’il ne pût protéger personne ! Pour cela, il faut réfléchir à mettre en place des institutions, normes et procédures qui assurent efficacement la lutte contre la corruption, en dehors de toute politisation, tout en préservant les droits et libertés des mis en cause, afin de restituer à la justice la crédibilité sans laquelle elle s’affaisse, et perpétuer la canalisation démocratique parce que pacifique, des contradictions politiques !
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
La politisation de la corruption est une expression du caractère néo-patrimonial de l’État africain postcolonial ; situation symptomatique d’une indistinction entre biens publics et privés, entretenue par la prédation et la redistribution clientéliste, économique et symbolique. L’ethos de la manducation, de la magnificence et de la munificence qui suscite l’exaltation des attributs et attributions du pouvoir et de l’avoir, constitue alors un principe structurel de fonctionnement des systèmes politiques africains, où l’État est le principal détenteur et pourvoyeur de ressources, dans un contexte marqué par la pauvreté.
La corruption dévoie le politique, au sens grec de « Politikei », en tant que principe d’ordre, de cohésion et de progrès de la société ; de vivification et revitalisation constantes de l’être-de-chacun dans l’être-ensemble, tendues asymptotiquement vers les idéaux de liberté, de dignité et d’égalité. Le glissement sémantique s’effectue dès lors vers la politique, comme enchevêtrement de jeux et oppositions d’intérêts individuels et factionnels, pour conquérir temporellement donc temporairement le règne, la puissance et la gloire ; la politique devient donc un moyen de distinguer et ségréger dominants et dominés, dans une logique d’oppression, de répression et de spoliation.
La corruption est un fléau sociétal à combattre, car elle gangrène et détruit les potentialités et possibilités de développement, mais la lutte contre elle souffre encore de la tare essentielle d’être tributaire des conflits et contradictions relatifs à la conquête et à la conservation du pouvoir, comme jadis les audits sous le Président Wade ont été des moyens efficaces de pression et d’incitation à la transhumance à grande échelle des socialistes déchus ; comme la traque détraquée des biens mal acquis, sélective et attentatoire aux droits et libertés des inculpés, est suspectée d’être une arme non conventionnelle de déstabilisation et de démantèlement de l’opposition, notamment le PDS ; et comme aujourd’hui l’affaire judiciaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar est difficilement détachable de l’option de Khalifa Sall de se positionner en dehors de Benno Bokk Yakaar, pour les élections législatives de 2017 et la présidentielle de 2019 !
D’où la permanence et la persistance de soupçons quant à la corruption de la compétition, via la mobilisation de l’appareil judiciaire, dans le but de neutraliser des adversaires politiques, dont on fait paradoxalement la promotion, par le truchement d’une victimisation qui fausse le jeu électoral, en amenant les citoyens à se prononcer non pas sur une base programmatique, mais compte tenu d’émotions conjoncturelles !
Politisation de la corruption et corruption de la compétition sont à l’origine de descentes politiques aux enfers. Pour des populations frappées d’un dénuement parfois extrême, ayant péniblement accès à l’eau, à l’électricité, aux soins, à l’éducation et à l’emploi, agneaux sacrificiels de la cupidité d’hommes et de femmes politiques, ayant privilégié l’ethos de la vénalité à l’éthique de la responsabilité.
Pour les hommes et femmes politiques, accusés et donc présumés innocents, mais immédiatement jetés en prison et humiliés dans la mise en branle impitoyable de la machine judiciaire, avec des conséquences humaines, sociales et psychologiques irréparables, dès lors qu’il s’avère ensuite que la lutte contre la corruption n’était qu’un prétexte pour briser politiquement et socialement des concurrents, avec ce risque éminent et imminent de radicaliser le jeu politique, en suscitant des comportements et réflexes de conservation du pouvoir à tout prix, seul gage pour ne pas subir ce qu’on a fait subir aux autres, et d’où peuvent découler des crises politiques majeures, voire la dissolution du lien social ! Surtout qu’au Sénégal, il est fort improbable de se maintenir au pouvoir en manipulant les élections, d’où l’impérieuse nécessité de trouver des voies de salut démocratique.
La reddition des comptes et non le règlement de comptes, est un impératif catégorique, une exigence démocratique non négociable, mais il faut éviter les travers d’une justice parcellaire, à travers la politisation de l’opportunité et de la temporalité des poursuites. La prérogative discrétionnaire du président de la République de transmettre à la justice les rapports de l’Inspection générale d’État doit être supprimée, car c’est une voie royale de politisation de la lutte contre la corruption, surtout pour un Président en quête d’un second mandat !
Le Président Sall dans son premier discours à la Nation, le 03 avril 2012, affirmait : « À tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers publics, je tiens à préciser que je ne protégerai personne. Je dis bien personne ! » Est-ce à dire que le Président peut protéger s’il le veut ? Le système doit donc évoluer afin que même si le Président le voulait, qu’il ne pût protéger personne ! Pour cela, il faut réfléchir à mettre en place des institutions, normes et procédures qui assurent efficacement la lutte contre la corruption, en dehors de toute politisation, tout en préservant les droits et libertés des mis en cause, afin de restituer à la justice la crédibilité sans laquelle elle s’affaisse, et perpétuer la canalisation démocratique parce que pacifique, des contradictions politiques !
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis