Prisonnier doublement consentant !

Mercredi 23 Novembre 2016

Par Momar DIENG
 
Il voulait et il devait être le successeur d’Abdoulaye Wade. C’était comme écrit sur une table de loi immémoriale qu’il fallait juste dépoussiérer. Son papa y a travaillé jusqu’à mettre le pays sens dessus-dessous, convaincu que son rejeton était le meilleur d’entre partisans et courtisans qui l’entouraient. Sa maman ne lui imaginait de carrière politique qu’ainsi. Certains de ses amis lui contaient fleurette au moment où d’autres, réalistes et prudents, s’échinaient à lui faire admettre le gigantisme des épreuves qu’il devait affronter. L’insurrection populaire du  23 juin 2011 a commencé à lui ouvrir les yeux. La présidentielle de 2012 l’a ramené sur terre… Il est devenu le grand banni du régime de Macky Sall.
 
C’est dans la nuit du 23 au 24 juin 2016 que Karim Wade a été transféré manu militari de la prison centrale de Rebeuss à l’autre bout du monde, au Qatar. L’expulsion de l’ancien ministre d’Etat s’est déroulée sous la supervision étroite d’une très haute personnalité judiciaire qatarie. Le voyage a eu lieu à bord d’un jet privé appartenant à la famille régnant sur le riche émirat. Depuis, Karim Wade a disparu des radars en dépit de la tentative du Pds et de ses partisans de le maintenir de force dans l’actualité à travers les médias (voir article dans rubrique GRAND ANGLE).
 
Ex-maître de son destin
Cinq mois après, le fait est que l’opposant Wade Jr. ne semble plus être le maître absolu de son destin. En ayant accepté – volontairement ou contraint – le deal politique et judiciaire noué entre le président Macky Sall et le Qatar contre sa personne et contre ses ambitions, il ne donne pas l’impression d’avoir mesuré avec pertinence la valeur symbolique, morale et finalement bénéfique qu’un refus assumé de ce deal aurait représenté en termes de gains politiques. 
 
A posteriori, il faut donc croire que Karim Wade n’a pas été franchement hostile au scénario concocté par des « ennemis » sénégalais et des « amis » arabes pour l’exfiltrer du pays avec pour objectif de le tenir éloigné de la politique au plan national. En somme, de le « tuer ». Sa « déclaration » rendue publique plus tard pour expliquer et, en même temps, justifier ce qu’une frange de ses partisans a considéré comme une « attitude dédaigneuse et empreinte d’irrespect » était un peu trop convenue pour être crédible.
 
Ex-prince de la république abonné aux honneurs et lambris, son emprisonnement à Rebeuss durant trente-six mois – parfois dans des conditions difficiles d’après certains de ses visiteurs - a comme eu raison des capacités d’endurance et de résistance qu’on lui prêtait au plan physique. Il a succombé à une liberté octroyée et surveillée qui ne lui accorde rien de véritablement substantiel par rapport aux ambitions portées pour lui par ses amis dans les médias. Qu’a fait réellement Karim Wade pour résister au diktat du duo sénégalo-qatari afin de ne pas quitter Rebeuss ?
 
Beurre, argent du beurre et fermière
L’accord trouvé entre lui et le pouvoir par l’entremise du représentant du Qatar ne doit pas être banal. Pourquoi ce silence prolongé incompréhensible juste perturbé de temps en temps par quelque communiqué banal sur une actualité politique en cours ? Comment se fait-il que Karim Wade ne soit pas allé rendre visite à ses parents Abdoulaye et Viviane Wade à Versailles ? Qu’est-ce qui empêcherait ces derniers de faire le déplacement dans le sens opposé ? L’interdiction d’une rencontre physique entre le fils et ses parents est-elle une clause absolument capitale du deal que les Qataris sont chargés de faire respecter ?
 
L’histoire et ses archives secrètes répondront un jour à ces interrogations en lieu et place des tactiques ridicules de dissimulation que les autorités sénégalaises, du président de la république au garde des Sceaux, ont cru faire avaler à l’opinion publique, au mépris de toute transparence. En fait, elles sont dans la logique de considérer comme secret d’Etat ou objet de sécurité nationale des préoccupations purement domestiques d’un chef d’Etat prêt à tout pour sécuriser son avenir politique en faisant le vide autour de lui. Si le Qatar s’est autant engagé dans ce dossier, il n’est pas superflu de penser que ce n’était pas juste pour l’extirper de prison.
 
Dans cette histoire, Karim Wade est concrètement sous le manteau d’un prisonnier en exil soumis à une double juridiction : celle du Sénégal et celle du Qatar. Macky Sall est celui qui en tire apparemment profit. Il a le beurre (un adversaire politique encombrant mais pas forcément dangereux) et l’argent du beurre (une candidature potentielle mise entre parenthèses), en attendant la fille de la fermière (son absence aux prochaines joutes électorales alors que le Pds dit en faire son candidat fondamental).
 
 
 
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