Quand l’Etat sape les fondements de son économie

Dimanche 16 Octobre 2016

L’éducation, la formation professionnelle et la production, constituent les fondements de l’économie sénégalaise. Ces leviers sont interdépendants. Aucun d’eux ne peut réellement se transformer qualitativement et être performant sans les deux autres. La première décennie du Sénégal indépendant en 1960, est un exemple fort intéressant pour vérifier les relations étroites entre ces secteurs. Ils couvrent respectivement les cycles primaire, moyen-secondaire et l’enseignement supérieur, la formation aux métiers divers dans des écoles de formation avant le baccalauréat et après le premier diplôme ouvrant l’accès à l’université et l’entrée dans le monde du travail formel.
 
L’Etat post-colonial a construit un modèle relativement harmonieux dans la durée entre ces trois niveaux indispensables au décollage de l’économie, à la construction de la nation, de la société démocratique et libre. Cette vision de la stratégie du développement n’est point admise dans le sens étroit de la politique économique réductrice, tel que nous le concevons depuis plus de quatre décennies sous des vocables et concepts le plus souvent trompeurs. La vision du développement économique de cette ère post-coloniale était plutôt une vision du développement portée par ces trois fondements de tout le système économique du pays.
 
Principe d’adéquation
Le résultat le plus visible de cette école de pensée globale se reflète à travers l’adéquation continue entre l’éducation, la formation professionnelle et la production. Il a fallu construire graduellement, dans la durée avec des plans directeurs, des moyens, des ressources et des résultats. L’organisation et la méthode feront le reste pour inculquer un état d’esprit républicain au service de l’Etat central et des populations. Nous sommes loin de l’Etat partisan, du clientélisme politicien qui tombera du ciel plus tard.
 
En dépit des reproches légitimes adressés à la rigueur sélective du système éducatif, la formation aux métiers et l’entrée clientéliste dans le marché étroit du travail, le Sénégal a sorti sa tête de l’eau. De nombreux pays du continent noir ont été frappés dans cette séquence par une carence notoire de ressources humaines compétentes, d’une organisation trop verticale et dirigiste de l’économie et des communautés de base. Ce fut pour le Sénégal la période des années glorieuses de l’éducation, de la formation professionnelle et de la conscience professionnelle.
 
Elle a produit des cadres supérieurs de qualité indiscutable, des cadres techniques professionnels à tous les niveaux de qualification et a poussé le système économique vers la prise en charge des structures de l’encadrement des paysans, des ouvriers et des filières destinées à l’exportation. Ce tableau de bord est en contraste total avec celui des années ultérieures.
 
Cycle économique infernal
Depuis le début des années 1980 à nos jours, le Sénégal est soumis à un  cycle économique infernal. Peu importent les déclinaisons et les habillages de ces politiques. L’Ajustement structurel de l’éducation, de la formation professionnelle et de la production est la colonne vertébrale de l’austérité, de la croissance accélérée et de l’émergence économique. C’est une continuité dans la politique définie par les nouveaux maîtres de la finance publique et du  développement extraverti.

Ce qui est réellement nouveau dans ces modes de destruction des fondements de l’économie, réside dans la volonté de réduire à son expression marginale la place l’Etat dans des  secteurs fondamentaux de son économie. Il est invité à réguler la descente en enfer de la société. Ce sont, paradoxalement, les Etats des pays développés et les groupes privés internationaux à la recherche de plus de profit et de rentabilité qui remplacent l’Etat en faillite. Si ce n’est là un système de domination, cela lui ressemble terriblement à bien des égards.

Le désengagement de la puissance publique dans des  secteurs cruciaux du développement est presque acquis au Sénégal. Il est accompagné par des réformes dictées par les bailleurs de fonds et les partenaires techniques et financiers. Tous les Présidents de la République qui se succèdent  depuis le début des années 1980 ont initié des concertations nationales entre les différentes parties prenantes de l’éducation pour mieux injecter les pilules amères aux citoyens.
 
La formation professionnelle a fait l’objet de nombreuses concertations sectorielles. La production est et reste toujours sous la surveillance des financiers du développement. Ces concertations nationales sectorielles et les réformes successives de l’éducation, de la formation professionnelle et des secteurs productifs n’ont pas, pour le moment, inversé la lourde tendance du désengagement de l’Etat et des déficits structurels colossaux.
 
L’Etat ne voit guère ni la responsabilité de la politique mise en œuvre, ni les revers des échecs répétitifs  de ces politiques d’une décennie à l’autre. La fuite en avant continue. Les grèves des enseignants, des étudiants et des travailleurs ont bon dos. Le reflexe consiste toujours à stigmatiser les contre-modèles préoccupés uniquement par  le statut  social et le mieux-être. Cet  exercice des gouvernements cache mal la forêt de l’échec des orientations économiques post- coloniales. L’Etat  abdique ses missions fondatrices. (Mamadou Sy Albert)

 
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