« Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ! »[[1]]url:#_ftn1
Le processus électoral en vue des élections législatives de 2017 entre dans ses ultimes phases.Le nombre de listes jugé excessif par beaucoup d’acteurs, les problèmes organisationnels qui en découlent le jour du scrutin et les coûts exorbitants qu’engendre cette situation sont au cœur des débats. De même, la communication des différents protagonistes avec l’utilisation des langues nationales surtout en wolof, est un fait dominant.
Les noms choisis, les slogans transcrits et les différentes pratiques traduisent une forte volonté de développer une communication de proximité. Il importe aussi de noter que plusieurs les carences de la politique d’alphabétisation, d’éducation sont mises à jour.
De même le contexte actuel permet de déceler énormément de choses sur l’Etat de la démocratie,le niveau de prétention des acteurs en quête de suffrage et les stratégies éducatives à court terme qui plombent toute véritable politique de développement endogène.
Le rejet du bulletin unique comme expression d’un aveu d’échec
Déjà, lors des élections locales dernières, l’édition des bulletins de vote avait fortement pesé sur le budget des élections et il en sera ainsi tant que le refus du bulletin unique ne sera pas levé. Il reste évident que plusieurs raisons expliquent cette option mais la principale demeure le niveau très élevé d’analphabétisme au Sénégal.
En fait, tous les régimes qui se sont succédé ont refusé systématiquement, d’une manière ou d’une autre, l’instauration du bulletin unique : le PS avec Abdou Diouf, le PDS avec Abdoulaye Wade et l’APR avec Macky Sall. En réalité les acteurs politiques dominants, au cours de l’exercice du pouvoir, ont eu conscience que les électeurs, dans leur grande majorité, ne sont pas alphabétisés donc sont incompétents de faire des choix à partir d’un bulletin unique car ne sachant ni lire ni écrire.
Cette conscience est si forte que la pratique commune des acteurs politiques est de brandir le spécimen de leur bulletin de vote, d’évoquer la couleur et les symboles qui y figurent. Des efforts inouïs sont développés pour que chaque électeur dispose de ce document avant le jour des élections.
Il faut souligner qu’au-delà de l’incompétence à lire un texte écrit, se posent aussi différentes autres formes «d’analphabétisme» comme celle de l’image. Ce dernier aspect est le terrain privilégié de la manipulation surtout dans cette période de campagne électorale, mais notre propos d’aujourd’hui n’est pas centré sur cette question.
Cette pratique commune pourrait être classée dans le registre du pragmatisme argumentent certains d’entre eux mais l’infantilisation des électeurs en est la signification profonde.Cette posture est bien la principale de la plupart des acteurs politiques dans leur rapport avec les électeurs et d’une manière générale dans leur rapport aux masses laborieuses.
Que penseraient ces acteurs politiques, c’est-à-dire tous ceux qui sont en quête du pouvoir politique, si une personne se présente à eux munie d’un bulletin de vote en leur tenant ces propos « voici mon bulletin de vote,il est de cette couleur avec comme image etc » ?C’est bien de se mettre à la place des autres pour bien saisir les biais qu’il est possible d’introduire dans nos relations aux autres.
Le pari des dirigeants politiques dominants sur l’ignorance ou quand l’analphabétisme rattrape la démocratie.
Le rapport sur le recensement général de la population de 2013 est riche en informations sur la situation de l’alphabétisation. Il nous révèle l’état d’incurie danslequel se trouve le Sénégal. La présentation de certains aspects va illustrer notre propos.
Parmi les personnes estimées à 9 327 688 individus âgées de 10 ans et plus ayant répondu aux questions sur l’alphabétisation 5.089313 sont analphabètes, c’est-à-dire qui « ne savent ni lire ou écrire dans aucune langue, y compris les langues nationales[[2]]url:#_ftn2 ». Le taux d’analphabétisme est estimé à 54,6%.
Il est important de souligner les disparités liées au sexe avec 62,3% de femmes contre 46,3 % pour les hommes.Il en est de même au plan régional. En effet le taux d’alphabétisation en langue nationale des hommes fait le double voire plus que celui des femmes dans la plupart des régions, à l’exception de celle de Fatick.
Par ailleurs, Au sein de la population alphabétisée[[3]]url:#_ftn3 45,4%on dénombre les alphabétisés en langues nationales et en arabe avec un taux 12,7% seulement.Autrement dit, le taux d’analphabétisme en langues nationales et arabe est de 87%. Les disparités régionales sont aussi très marquées avec 93,9% à Kédougou et 92,6% à Tambacounnda.
En ce qui concerne l’alphabétisation en français pour les populations âgées de 10 ans et plus, le taux de la population alphabétisée est de 37,2%. Kaffrine (14,8%), Diourbel (17,2%), Tambacounda (21,3%), Louga (22,7%) sont les régions les plus touchées.
L’enseignement principal qu’il est possible de tirer de ce sombre tableau est la conscience claire que l’instauration d’un bulletin unique dans les différentes élections (présidentielles, législatives et locales) sera chaque fois remise aux calendes grecques. L’argument implicite reste l’ampleur de l’analphabétisme, c’est-à-dire l’incompétence de la grande majorité des électeurs sénégalais à lire le nom des candidats ou des listes en compétition et à exprimer un choix par écrit.
En fait, ce tableau montre bien que l’instauration d’un bulletin unique poserait énormément de problèmes aux électeurs mais le maintien des bulletins multiples est une vraie opération de gâchis des ressources financières pour ne pas dire une hérésie au plan économique. Déjà, les élections locales avaient suffisamment montré l’ampleur des dépenses relatives à l’édition des bulletins et celles relatives aux législatives vont encore la confirmer. Et au rythme de l’agenda des élections à venir (présidentielle et locales), les calculettes vont exploser.
C’est pourquoi, il n’est pas juste de continuer dans cette voie de folles dépenses d’autant plus qu’il est possible de trouver une alternative. Certains diront que la démocratie n’a pas de prix mais l’Etat doit-il mettre de côté l’efficience et l’efficacité s‘il s’inscrit dans un minimum de rationalité ?
Encore trois élections et l’Etat couvrira totalement le budget nécessaire pour mener une grande offensive pour alphabétiser la population sénégalaise au bout de trois ans. Pourtant l’alphabétisation reçoit du budget de l’Education une part extrêmement faible pour ne pas dire négligeable. Cette situation peut être comprise comme un choix «d’investir dans l’ignorance».
En effet, le fait d’avoir opté pour l’analphabétisme de la grande majoritéde la population a pour conséquence d’amplifier d’une manière exponentielle les dépenses électorales. L’interpellation faite par Abraham Lincoln, «si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance !», prend tout son sens et illustre bien l’itinéraire des différents régimes qui ont dirigé le Sénégal dans leur rapport à l’alphabétisation.
L’alphabétisation est un droit et elle est aussi «un facteur de plein épanouissement du potentiel de l’individu, d’apprentissage pour la croissance et le changement, de communication intra – et interculturelle et de participation à la vie sociale et économique[[4]]url:#_ftn4 .» Cela permet de remettre au gout du jour les prétentions sénégalaises sur la démocratie. La démocratie sans alphabétisation de la population relève pour l’essentiel de la pure démagogie.
La transcription correcte des langues nationales et la pratique d’acteurs politiques
L’utilisation massive des langues nationales est une caractéristique de la campagne électorale dans les stratégies de communication. C’est d’abord le nom des coalitions, des structures qui vont à la conquête des suffrages et ensuite les slogans de propagande qui fleurissent. Pourtant, malgré la dispersion et la diversité des protagonistes, la pratique commune la plus partagée reste la mauvaise transcription des langues nationales. Peut-être que la plupart des responsables des listes font partie des 87% d’analphabètes dans nos langues nationales.
A titre illustratif, les slogans « liguéey nguir Sénégal », « Soldariaskanwi », les appellations « Mbollo WADE », « ettou Senegal », « Wattu SENEGAL », « baatu et battu», témoignent de l’ampleur du cafouillage. En effet plusieurs noms de coalitions et autres structures en compétition et les slogans sont écrits sans aucun respect des règles de transcription du décret 2005-992 relatif à l’orthographe et la séparation de mots en wolof signé par le président de la république Abdoulaye Wade et son premier Ministre d’alors, M. Macky Sall.
Cette pratique crée une grande confusion pour les populations alphabétisées en langues nationales. Elles ont des difficultés à exercer leurs compétences en lecture suite à cette grande désinvolture dans les transcriptions. Les enfants qui ont appris à lire en français sont aussi désorientés car devant lire des messages et même des mots patchwork, c’est-à-dire un mélange dans la transcription de français et de wolof.
Chaque porteur de liste, en train de transgresser le décret sur la transcription des langues nationales, ne ferait-elle pas rapidement amende honorable en retirant rapidement ses affiches si elles étaient truffées de fautes en français ? L’ampleur de cette légèreté aurait marqué durablement la campagne électorale. Pourquoi devrions-nous faire la fine bouche si cela concerne nos langues nationales ?
D’ailleurs, une pétition avait été initiée par la PAALAE[[5]]url:#_ftn5 pour le respect de la transcription des langues nationales. Cette décision a été prise suite à la lecture de messages en langue nationale wolof inscrits à l’aéroport de Dakar Yoff et à l’hôtel King Fadh. Ces messages devant souhaiter bienvenue aux étrangers se traduisent, suite à une mauvaise transcription, par des insultes. Il fallait écrire dalal jàmm (Bienvenue à ceux et celles qui arrivent chez nous) au lieu de dalal jaam ou diam (Bienvenue aux esclaves).
On peut bien se demander quelle crédibilité est-il possible d’accorder à des acteurs qui souhaitent aller à l’Assemblée Nationale et qui, dans la quête des suffrages, transgressent les règles édictées par la République, celles relatives à la transcription des langues nationales.
Ces constats traduisent en réalité l’état de l’alphabétisation mais ne justifient aucunement les pratiques désinvoltes de la plupart des acteurs, Leur rapport à la culture nationale, à l’identité nationale se pose véritablement. Cette pratique est aussi très courante dans le secteur des médias et des opérateurs téléphoniques. La nécessité de rompre avec ces pratiques est devenue incontournable.
Il importe une fois de plus de comprendre que l’Etat du Sénégal a tout intérêt à résorber les gaps importants dans le domainede l’alphabétisation. Le pari du capital humain ne peut être gagné si le Sénégal se maintient dans sa lancée actuelle. «L’émergence» sera aussi un vain mot.
La PAALAE propose «le développement d’une initiative de grande envergure et accélérée suffisamment innovante afin d’arriver à un taux résiduel d’analphabétisme au bout de trois ans au Sénégal[[i]]url:#_edn1 ». Cet objectif est à la portée du Sénégal si les plus hautes autorités en ont l’ambition et si nous osons rompre avec le train-train actuel des politiques et projets d’alphabétisation en cours.
La mise en place d’une grande coalition pour l’alphabétisme, motrice de l’engagement de toutes les familles d’acteurs en serait le socle stratégique. Les élèves, étudiants, enseignants, parents d’élèves, retraités, mouvements de jeunesse, mouvements de femmes, les universités, les militaires, les collectivités locales et des agents de l’Etat seraient les parties prenantes de cette grande coalition.
Il s’agit seulement de comprendre que nous devons cesser de continuer à essayer l’ignorance car ses effets sont désastreux à tout point de vue et sur tous les plans. En réalité, chaque jour qui passe charrie des drames qui ont un lit commun, le faible niveau d’éducation de la population.
En conclusion, je réitère la synthèse d’une contribution commune[[6]]url:#_ftn6
« L’alphabétisation aboutie, c’est la sécurité, le progrès scientifique et technique, le développement économique et social, la démocratie politique, l’épanouissement culturel des individus et des communautés et plus d’autonomie. Elle permet une bonne régulation entre la personne et son environnement, c’est le développement communautaire, c’est donc la solidarité, la culture de la paix durable, une société durable ».
C’est aussi un formidable moyen de faire de grandes économies sur les ressources publiques notamment sur les dépenses électorales si on accepte vraiment d’investir dans l’alphabétisation et non dans l’ignorance.
Charles Owens Ndiaye
Expert en ingénierie de développement local
Membre de la PAALAE et du Groupe thématique éducation formation communication du Forum social Sénégal
Le processus électoral en vue des élections législatives de 2017 entre dans ses ultimes phases.Le nombre de listes jugé excessif par beaucoup d’acteurs, les problèmes organisationnels qui en découlent le jour du scrutin et les coûts exorbitants qu’engendre cette situation sont au cœur des débats. De même, la communication des différents protagonistes avec l’utilisation des langues nationales surtout en wolof, est un fait dominant.
Les noms choisis, les slogans transcrits et les différentes pratiques traduisent une forte volonté de développer une communication de proximité. Il importe aussi de noter que plusieurs les carences de la politique d’alphabétisation, d’éducation sont mises à jour.
De même le contexte actuel permet de déceler énormément de choses sur l’Etat de la démocratie,le niveau de prétention des acteurs en quête de suffrage et les stratégies éducatives à court terme qui plombent toute véritable politique de développement endogène.
Le rejet du bulletin unique comme expression d’un aveu d’échec
Déjà, lors des élections locales dernières, l’édition des bulletins de vote avait fortement pesé sur le budget des élections et il en sera ainsi tant que le refus du bulletin unique ne sera pas levé. Il reste évident que plusieurs raisons expliquent cette option mais la principale demeure le niveau très élevé d’analphabétisme au Sénégal.
En fait, tous les régimes qui se sont succédé ont refusé systématiquement, d’une manière ou d’une autre, l’instauration du bulletin unique : le PS avec Abdou Diouf, le PDS avec Abdoulaye Wade et l’APR avec Macky Sall. En réalité les acteurs politiques dominants, au cours de l’exercice du pouvoir, ont eu conscience que les électeurs, dans leur grande majorité, ne sont pas alphabétisés donc sont incompétents de faire des choix à partir d’un bulletin unique car ne sachant ni lire ni écrire.
Cette conscience est si forte que la pratique commune des acteurs politiques est de brandir le spécimen de leur bulletin de vote, d’évoquer la couleur et les symboles qui y figurent. Des efforts inouïs sont développés pour que chaque électeur dispose de ce document avant le jour des élections.
Il faut souligner qu’au-delà de l’incompétence à lire un texte écrit, se posent aussi différentes autres formes «d’analphabétisme» comme celle de l’image. Ce dernier aspect est le terrain privilégié de la manipulation surtout dans cette période de campagne électorale, mais notre propos d’aujourd’hui n’est pas centré sur cette question.
Cette pratique commune pourrait être classée dans le registre du pragmatisme argumentent certains d’entre eux mais l’infantilisation des électeurs en est la signification profonde.Cette posture est bien la principale de la plupart des acteurs politiques dans leur rapport avec les électeurs et d’une manière générale dans leur rapport aux masses laborieuses.
Que penseraient ces acteurs politiques, c’est-à-dire tous ceux qui sont en quête du pouvoir politique, si une personne se présente à eux munie d’un bulletin de vote en leur tenant ces propos « voici mon bulletin de vote,il est de cette couleur avec comme image etc » ?C’est bien de se mettre à la place des autres pour bien saisir les biais qu’il est possible d’introduire dans nos relations aux autres.
Le pari des dirigeants politiques dominants sur l’ignorance ou quand l’analphabétisme rattrape la démocratie.
Le rapport sur le recensement général de la population de 2013 est riche en informations sur la situation de l’alphabétisation. Il nous révèle l’état d’incurie danslequel se trouve le Sénégal. La présentation de certains aspects va illustrer notre propos.
Parmi les personnes estimées à 9 327 688 individus âgées de 10 ans et plus ayant répondu aux questions sur l’alphabétisation 5.089313 sont analphabètes, c’est-à-dire qui « ne savent ni lire ou écrire dans aucune langue, y compris les langues nationales[[2]]url:#_ftn2 ». Le taux d’analphabétisme est estimé à 54,6%.
Il est important de souligner les disparités liées au sexe avec 62,3% de femmes contre 46,3 % pour les hommes.Il en est de même au plan régional. En effet le taux d’alphabétisation en langue nationale des hommes fait le double voire plus que celui des femmes dans la plupart des régions, à l’exception de celle de Fatick.
Par ailleurs, Au sein de la population alphabétisée[[3]]url:#_ftn3 45,4%on dénombre les alphabétisés en langues nationales et en arabe avec un taux 12,7% seulement.Autrement dit, le taux d’analphabétisme en langues nationales et arabe est de 87%. Les disparités régionales sont aussi très marquées avec 93,9% à Kédougou et 92,6% à Tambacounnda.
En ce qui concerne l’alphabétisation en français pour les populations âgées de 10 ans et plus, le taux de la population alphabétisée est de 37,2%. Kaffrine (14,8%), Diourbel (17,2%), Tambacounda (21,3%), Louga (22,7%) sont les régions les plus touchées.
L’enseignement principal qu’il est possible de tirer de ce sombre tableau est la conscience claire que l’instauration d’un bulletin unique dans les différentes élections (présidentielles, législatives et locales) sera chaque fois remise aux calendes grecques. L’argument implicite reste l’ampleur de l’analphabétisme, c’est-à-dire l’incompétence de la grande majorité des électeurs sénégalais à lire le nom des candidats ou des listes en compétition et à exprimer un choix par écrit.
En fait, ce tableau montre bien que l’instauration d’un bulletin unique poserait énormément de problèmes aux électeurs mais le maintien des bulletins multiples est une vraie opération de gâchis des ressources financières pour ne pas dire une hérésie au plan économique. Déjà, les élections locales avaient suffisamment montré l’ampleur des dépenses relatives à l’édition des bulletins et celles relatives aux législatives vont encore la confirmer. Et au rythme de l’agenda des élections à venir (présidentielle et locales), les calculettes vont exploser.
C’est pourquoi, il n’est pas juste de continuer dans cette voie de folles dépenses d’autant plus qu’il est possible de trouver une alternative. Certains diront que la démocratie n’a pas de prix mais l’Etat doit-il mettre de côté l’efficience et l’efficacité s‘il s’inscrit dans un minimum de rationalité ?
Encore trois élections et l’Etat couvrira totalement le budget nécessaire pour mener une grande offensive pour alphabétiser la population sénégalaise au bout de trois ans. Pourtant l’alphabétisation reçoit du budget de l’Education une part extrêmement faible pour ne pas dire négligeable. Cette situation peut être comprise comme un choix «d’investir dans l’ignorance».
En effet, le fait d’avoir opté pour l’analphabétisme de la grande majoritéde la population a pour conséquence d’amplifier d’une manière exponentielle les dépenses électorales. L’interpellation faite par Abraham Lincoln, «si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance !», prend tout son sens et illustre bien l’itinéraire des différents régimes qui ont dirigé le Sénégal dans leur rapport à l’alphabétisation.
L’alphabétisation est un droit et elle est aussi «un facteur de plein épanouissement du potentiel de l’individu, d’apprentissage pour la croissance et le changement, de communication intra – et interculturelle et de participation à la vie sociale et économique[[4]]url:#_ftn4 .» Cela permet de remettre au gout du jour les prétentions sénégalaises sur la démocratie. La démocratie sans alphabétisation de la population relève pour l’essentiel de la pure démagogie.
La transcription correcte des langues nationales et la pratique d’acteurs politiques
L’utilisation massive des langues nationales est une caractéristique de la campagne électorale dans les stratégies de communication. C’est d’abord le nom des coalitions, des structures qui vont à la conquête des suffrages et ensuite les slogans de propagande qui fleurissent. Pourtant, malgré la dispersion et la diversité des protagonistes, la pratique commune la plus partagée reste la mauvaise transcription des langues nationales. Peut-être que la plupart des responsables des listes font partie des 87% d’analphabètes dans nos langues nationales.
A titre illustratif, les slogans « liguéey nguir Sénégal », « Soldariaskanwi », les appellations « Mbollo WADE », « ettou Senegal », « Wattu SENEGAL », « baatu et battu», témoignent de l’ampleur du cafouillage. En effet plusieurs noms de coalitions et autres structures en compétition et les slogans sont écrits sans aucun respect des règles de transcription du décret 2005-992 relatif à l’orthographe et la séparation de mots en wolof signé par le président de la république Abdoulaye Wade et son premier Ministre d’alors, M. Macky Sall.
Cette pratique crée une grande confusion pour les populations alphabétisées en langues nationales. Elles ont des difficultés à exercer leurs compétences en lecture suite à cette grande désinvolture dans les transcriptions. Les enfants qui ont appris à lire en français sont aussi désorientés car devant lire des messages et même des mots patchwork, c’est-à-dire un mélange dans la transcription de français et de wolof.
Chaque porteur de liste, en train de transgresser le décret sur la transcription des langues nationales, ne ferait-elle pas rapidement amende honorable en retirant rapidement ses affiches si elles étaient truffées de fautes en français ? L’ampleur de cette légèreté aurait marqué durablement la campagne électorale. Pourquoi devrions-nous faire la fine bouche si cela concerne nos langues nationales ?
D’ailleurs, une pétition avait été initiée par la PAALAE[[5]]url:#_ftn5 pour le respect de la transcription des langues nationales. Cette décision a été prise suite à la lecture de messages en langue nationale wolof inscrits à l’aéroport de Dakar Yoff et à l’hôtel King Fadh. Ces messages devant souhaiter bienvenue aux étrangers se traduisent, suite à une mauvaise transcription, par des insultes. Il fallait écrire dalal jàmm (Bienvenue à ceux et celles qui arrivent chez nous) au lieu de dalal jaam ou diam (Bienvenue aux esclaves).
On peut bien se demander quelle crédibilité est-il possible d’accorder à des acteurs qui souhaitent aller à l’Assemblée Nationale et qui, dans la quête des suffrages, transgressent les règles édictées par la République, celles relatives à la transcription des langues nationales.
Ces constats traduisent en réalité l’état de l’alphabétisation mais ne justifient aucunement les pratiques désinvoltes de la plupart des acteurs, Leur rapport à la culture nationale, à l’identité nationale se pose véritablement. Cette pratique est aussi très courante dans le secteur des médias et des opérateurs téléphoniques. La nécessité de rompre avec ces pratiques est devenue incontournable.
Il importe une fois de plus de comprendre que l’Etat du Sénégal a tout intérêt à résorber les gaps importants dans le domainede l’alphabétisation. Le pari du capital humain ne peut être gagné si le Sénégal se maintient dans sa lancée actuelle. «L’émergence» sera aussi un vain mot.
La PAALAE propose «le développement d’une initiative de grande envergure et accélérée suffisamment innovante afin d’arriver à un taux résiduel d’analphabétisme au bout de trois ans au Sénégal[[i]]url:#_edn1 ». Cet objectif est à la portée du Sénégal si les plus hautes autorités en ont l’ambition et si nous osons rompre avec le train-train actuel des politiques et projets d’alphabétisation en cours.
La mise en place d’une grande coalition pour l’alphabétisme, motrice de l’engagement de toutes les familles d’acteurs en serait le socle stratégique. Les élèves, étudiants, enseignants, parents d’élèves, retraités, mouvements de jeunesse, mouvements de femmes, les universités, les militaires, les collectivités locales et des agents de l’Etat seraient les parties prenantes de cette grande coalition.
Il s’agit seulement de comprendre que nous devons cesser de continuer à essayer l’ignorance car ses effets sont désastreux à tout point de vue et sur tous les plans. En réalité, chaque jour qui passe charrie des drames qui ont un lit commun, le faible niveau d’éducation de la population.
En conclusion, je réitère la synthèse d’une contribution commune[[6]]url:#_ftn6
« L’alphabétisation aboutie, c’est la sécurité, le progrès scientifique et technique, le développement économique et social, la démocratie politique, l’épanouissement culturel des individus et des communautés et plus d’autonomie. Elle permet une bonne régulation entre la personne et son environnement, c’est le développement communautaire, c’est donc la solidarité, la culture de la paix durable, une société durable ».
C’est aussi un formidable moyen de faire de grandes économies sur les ressources publiques notamment sur les dépenses électorales si on accepte vraiment d’investir dans l’alphabétisation et non dans l’ignorance.
Charles Owens Ndiaye
Expert en ingénierie de développement local
Membre de la PAALAE et du Groupe thématique éducation formation communication du Forum social Sénégal
[[1]]url:#_ftnref1 Abraham Lincoln
[[2]]url:#_ftnref2 Base de travail des services statistiques dans le cadre du recensement Général
Depuis 2003, l’UNESCO réapprécié sa définition « L’alphabétisme est la capacité d’identifier,de comprendre, d’interpréter, de créer, de communiquer et de calculer en utilisant du matériel imprime et écrit associe a des contextes variables ».
[[4]]url:#_ftnref4 2003, l’UNESCO a organisé une réunion d’experts lors de laquelle la définitionopérationnelle suivante a étéproposée :« L’alphabétisme est la capacité d’identifier, de comprendre, d’interpréter, de créer, de communiquer et de calculer en utilisant du matériel imprime et écrit associe a des contextes variables ».
[[5]]url:#_ftnref5 Association Panafricaine pour l’Alphabétisation et l’Education des Adultes
[[6]]url:#_ftnref6 Article publié dans le Soleilintitulé« ALPHABETISATION ET SOCIETES DURABLES :
De la résorption accélérée des gaps dans domaine de l’alphabétisation comme enjeu d’une société durable »
De la résorption accélérée des gaps dans domaine de l’alphabétisation comme enjeu d’une société durable »