Quand l'ombre de Poutine plane sur les services autrichiens

Jeudi 23 Aout 2018

L'oeil de Moscou s'est-il introduit dans les services secrets autrichiens ? La question agite l'opposition et la presse, selon qui des services alliés ont pris leurs distances avec Vienne de peur que des informations sensibles ne soient partagées avec Vladimir Poutine, avec qui l'extrême droite au pouvoir cultive sa proximité.

L'image a fait le tour du monde, et n'a pas contribué à lever les inquiétudes: la cheffe de la diplomatie autrichienne Karin Kneissl a gratifié samedi le président russe d'une profonde révérence lors de son mariage, auquel elle avait invité le maître du Kremlin à la stupéfaction d'une grande partie de la classe politique.
  Entré dans le gouvernement du chancelier conservateur Sebastian Kurz fin 2017, le parti d'extrême droite FPÖ y a pris les commandes de plusieurs ministères clés. Outre les Affaires étrangères, il contrôle la Défense et surtout l'Intérieur, un ministère stratégique qui lui avait toujours échappé auparavant.

Dès février, le siège viennois du Bureau pour la protection de la Constitution et la lutte contre le terrorisme (BVT), en charge de la sécurité intérieure et du contre-espionnage, a fait l'objet d'une perquisition très controversée au cours de laquelle des documents sensibles ont été saisis.

Plusieurs services occidentaux ont depuis limité leurs échanges d'informations avec l'Autriche de peur que celles-ci ne soient partagées avec Moscou, selon une enquête du Washington Post publiée la semaine dernière et corroborée par le quotidien autrichien Die Presse jeudi.

"Il y a la peur que ces éléments ne se retrouvent le lendemain sur le bureau de Vladimir Poutine", affirme une source au sein du BVT citée par ce journal.

Une crainte formellement balayée par le gouvernement autrichien, mais alimentée notamment par les liens privilégiés tissés entre M. Poutine et le FPÖ, qui a conclu en 2016 un accord de partenariat avec son parti, Russie unie.

- 'Plus un partenaire fiable' -

Pays neutre situé au coeur de l'Europe centrale et abritant de nombreuses organisations internationales, dont l'Onu, l'Opep et l'OSCE, l'Autriche est traditionnellement un lieu de forte activité de renseignement et a joué un rôle primordial d'interface entre l'Est et l'Ouest durant la Guerre froide.

En mars, Vienne s'était distinguée de ses partenaires de l'UE en refusant d'expulser des diplomates russes en pleine affaire Skripal, disant vouloir "maintenir ouverts les canaux de communication avec la Russie".

Sergueï Skripal, un ancien agent double russe, avait été empoisonné avec sa fille en mars en Grande-Bretagne. Londres avait désigné Moscou, qui a nié toute implication. L'affaire a provoqué une grave crise diplomatique entre les Occidentaux et le Kremlin.

Les préoccupations concernant la question du renseignement ont atteint un point tel que l'opposition a demandé mercredi la convocation sous deux semaines du Conseil national de sécurité.

"Les services autrichiens ne sont plus considérés comme un partenaire fiable", relève le député social-démocrate Jan Krainer, membre d'une commission d'enquête parlementaire sur le BVT. "Le gouvernement, avec ses agissements au sein du Bureau, compromet la sécurité des Autrichiens", estime-t-il.

L'ancien patron des services allemands BND, August Hanning, a semé un peu plus le trouble mercredi, en relevant dans le quotidien allemand à grand tirage Bild qu'"un service qui ne parvient pas à protéger les informations et les sources de ses alliés doit être considéré avec prudence".

"Le secret doit être garanti. Mais c'est incroyablement difficile avec des incidents comme en Autriche", a-t-il ajouté, tout en reconnaissant dans la soirée à la TV autrichienne ne disposer d'aucune information concrète sur le BVT.

Le patron du Bureau, Peter Gridling, a assuré que la coopération avec les service partenaires "continue de bien fonctionner dans des domaines essentiels, notamment la lutte contre le terrorisme".

Le chancelier Kurz a lui aussi balayé critiques et inquiétudes, estimant "qu'elles reflètent les souhaits de ceux qui les formulent".

Pour l'ancien coordinateur du renseignement allemand Bernd Schmidbauer, interrogé par le quotidien Kurier, "aucun service au monde ne peut se permettre de ne pas transmettre au BVT des renseignements sur un projet d'attentat terroriste en Autriche".

Concernant des dossiers impliquant directement des intérêts russes, la question reste cependant ouverte, juge la presse autrichienne.

M. Poutine est régulièrement accusé de chercher à diviser les Vingt-Huit, notamment en cultivant des liens avec les partis populistes de plusieurs pays européens.
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