Question nationale panafricaine : le cas de la Mauritanie

Dimanche 1 Septembre 2024

Diagne Fodé Roland

Le racisme subi par les candidats d’Afrique noire à l’émigration vers l’Europe forteresse raciste dans les pays du Maghreb, l’éclatement du Soudan en deux États, les tensions aux frontières nord et nord-ouest du Mali depuis la libération de Kidal et le racisme d’État en Mauritanie sont à analyser dans le contexte de l’actuelle seconde phase de libération nationale en Afrique du point de vue des processus internes aux États multinationaux et de la solidarité panafricaine.

 

Les impérialistes n’ont jamais cessé d’instrumentaliser les contradictions réelles mais secondaires entre panarabisme, voire panislamisme et panafricanisme et/ou panégrisme pour diviser et régner sur tous. Ainsi face à la montée des critiques et exigences des réparations contre les crimes contre l’humanité que sont la traite des noirs, l’esclavage transatlantique du capitalisme impérialiste françafricain, eurafricain et usafricain, voilà que pullulent et sont médiatisés des ouvrages, des études académiques sur « la traite et l’esclavage transsaharien ».

 

Les années 79/80 avaient vu pulluler et médiatiser les « Moudjahids Afghans » contre le Communisme soviétique puis l’apologie du « tourisme du désert » avec le « Paris-Dakar » et les enturbannés « hommes bleus de désert » avant le revirement à 180 degrés vers la « lutte contre le terrorisme » en application des théories « du choc, des guerres des religions, des cultures, des civilisations » dans un contexte d’application mondialisée de la pensée unique libérale résumée par la formule « there is no alternativ ».

 

Comment éviter dans cette seconde phase de libération les pièges diviseurs de l’impérialisme et régler les contradictions réelles mais secondaires au sein du front de libération nationale, panafricain et internationaliste des luttes des peuples d’Afrique ?

 

Comme l’explique les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM), « c’est en novembre 1946 que commence la construction politique… Les Mauritaniens sont appelés à voter pour élire leurs représentants : un député à l’Assemblée nationale française, un sénateur et un conseiller au Grand Conseil de l’Union de l’Afrique de l’Ouest. Ces élections symbolisaient le début d’une individualisation politique et territoriale par rapport au Sénégal  » (Site des FLAM). En effet, «  En 1945, l’annonce des prochaines élections avait suscité des hostilités entre Maures et Noirs. Les documents d’archives (Sous – série 2 G 45 : 134, Archives Nationales du Sénégal) indiquent cette unanimité chez les Maures que « le représentant de la Mauritanie ne saurait être un Noir »; et qu’ils commençaient à manifester une volonté de renouer avec le monde Arabe, évoquant un « éveil de la race Maure …… et le désir d’être rattachés de fait au Maroc ». Les Noirs de la vallée du Fleuve Sénégal et du Hodh, qui se sentaient très attachés à leurs frères de sang du Sénégal et du Soudan (actuel Mali), estimaient que « seule une candidature européenne pourrait partager les voix en Mauritanie » (idem).

 

La Mauritanie est donc une création coloniale française pour éviter « un grand Makhzen marocain » qui s’étendrait jusqu’à la frontière avec la colonie du Sénégal. Création coloniale d’un État tampon soutenue par l’élite politique néocoloniale sénégalaise attestée par le fait que « Horma Ould Babana, interprète, engagé en politique en 1944 en adhérant au Bloc Africain de Lamine Guèye et L.S. Senghor. Ce parti, affilié à la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO)... A l’occasion de la campagne électorale d’août 1946, Lamine Guèye et Senghor parcoururent toute la vallée, et partout ils présentèrent Horma comme un chérif, un descendant du Prophète à qui devrait revenir de fait la députation d’un territoire dont les habitants sont des musulmans » (idem).

 

C’est ainsi qu’en 1960 naissait l’État Mauritanien rassemblant trois grandes nationalités : au nord les Maures Beydanes, les Haratines des noirs esclaves des Maures arabo-berbères et au sud les Puulars, les Soninkés, les Wolofs et les Mandés. Ainsi « Le 28 novembre 1960, notre pays accède à l’indépendance nationale avec d’importantes réserves de cuivre et de fer surtout. Le minerai de fer de Fort – Gouraud (Zouerate) était estimé à 100 millions de tonnes d’un minerai titrant de 63 à 67% de fer, exploité par la société Française des Mines de Fer de Mauritanie (MIFERMA) dont l’État Français était actionnaire principal depuis juin 1952. Quant au cuivre d’Akjoujt, il est exploité par la Société Française des Mines de cuivre d’Akjoujt (MICUMA) depuis 1953 » (idem).

 

Cet État néocolonial s’est très vite érigé en État Beydane oppresseur des autres nationalités mauritaniennes par le maintien du statut d’esclaves des Haratines noirs et par l’arabisation forcée imposée aux noirs du sud.

 

Consécutive à l’intégration renforcée de la néo-colonie mauritanienne dans la « mondialisation libérale » par le biais des recettes libérales du FMI et de la Banque mondiale est lancée la « réforme foncière » de 1983 dont les FLAM disent : « Après avoir accaparé le pouvoir politique (voir Manifeste du négro-mauritanien opprimé) et étendu sa domination sur le plan culturel (arabisation presque totale du pays au mépris de l’identité culturelle des Négro-africains), il ne lui restait plus, compte tenu des perspectives alléchantes de l’après barrage, qu’à exproprier les paysans noirs de la vallée de leurs terres. C’est à cette fin qu’à été édictée l’ordonnance 83 127 du 5 juin 1983 » (idem). En effet, « Derrière ces motivations apparemment pertinentes, se cache un objectif, déjà appréhendé par le Manifeste du Négro-mauritanien Opprimé d’avril 1986 : – Procurer aux hommes d’affaires Beydanes du Système une nouvelle source d’enrichissement, confortant ainsi leur emprise sur tous les secteurs de la vie économique et, corrélativement, empêcher l’émergence d’une bourgeoisie agraire noire dont la puissance financière aurait remis en cause la suprématie politique des maures blancs. – Susciter des contradictions au sein de la communauté noire du pays en orientant les revendications économiques et sociales des Harmonies, par ailleurs légitimes, vers les terres du waalo. Ce dernier objectif a d’ailleurs été provisoirement atteint par la déportation au Sénégal et au Mali de villages entiers de la vallée et le remplacement, sur ces mêmes villages, des paysans Haal-pulaar, Soninké et Wolof par des Haratines » (idem).

 

Cette réforme foncière a été engendrée par les besoins de la bourgeoisie bureaucratique Beydane de se convertir en propriétaires terriens le long du fleuve Sénégal utilisant comme main d’œuvre taillable et corvéable à merci des Haratines Maures noirs sous prétexte de la « mise en valeur individualisée de terres mortes, vacantes, etc du waalo (terres de décrues) ou du jeeri (hautes terres éloignées) ». L’appropriation étatique du foncier est ainsi un moyen d’expropriation et de redistribution raciste des terres agricoles du sud.

 

L’oppression raciste de l’État Beydane a été aussi combattue par les Haratines organisés dans un mouvement anti-esclavagiste dénommé El Hor (Liberté) qui, à l’occasion de ses 40 ans, déclarait : « Oui, il y a plus de quarante ans que les pères fondateurs de la lutte inlassable et juste contre le plus vil et le plus abject des maux qu’ait connu l’humanité toute entière ont mis sur pied EL HOR, ce cadre pacifique mais ferme et courageux... De la fameuse loi dite loi Haidalla, avec ses défauts et ses insuffisances, cette première reconnaissance officielle et sans ambages de la pratique de l’esclavage, ... pour arriver à la célèbre et courageuse loi discriminant et pénalisant l’esclavage en 2007 et puis celle de 2015 complétant cette dernière et caractérisant davantage le délit et le portant au degré de crime contre l’humanité, des progrès ont été réalisés, comme la création de département au sommet de la pyramide étatique, des institutions publiques et judiciaires auxquelles il a été confié le traitement de ce mal… 

 

Quand au XXIème siècle encore, on se garde d’appeler le chat par son nom pour se donner bonne conscience, en tournant le dos à ses engagements envers ses partenaires, militants des droits de l’homme nationaux et envers la communauté internationale, il nous est permis de douter de la sincérité de nos dirigeants à s’adonner à une réelle lutte contre le phénomène. Les lois élaborées, la feuille de route largement diffusée puis corrigée et adoptée, la volonté politique affichée et criée sur tous les toits, si tout cela se résume à de la poudre aux yeux, l’avenir de la Mauritanie ne peut qu’être sombre et précaire… 

 

Nous militants d’EL HOR, auteurs de cette déclaration, exprimons à l’occasion de cette auguste et mémorable journée : 

 

- notre regret par rapport à certaines attitudes négationnistes, réactionnaires et réfractaires à toutes actions visant à faire avancer notre pays dans la solution du phénomène anachronique de l’esclavage et autres maux sociaux gangrenant notre tissu social d’où qu’elles viennent ; 

 

- notre rejet énergique de l’hypocrisie érigée en méthodes et moyens d’anéantir toutes tentatives internes ou externes d’éradiquer cette tare d’un autre temps ; 

 

- notre peur de voir la lutte pacifique que nous avions toujours menée supplantée par une autre aux contours et contenus imprévisibles du fait de la gestion très en-deçà et parfois en contradiction parfaite avec nos attentes et celles de toutes les victimes et défenseurs des droits de l’homme ; 

 

- notre volonté sans faille de collaborer avec toutes les volontés soucieuses d’œuvrer en vue de dépasser de façon juste, constructive et patriotique cette tare dans les faits, gestes, paroles et mentalités. 

 

Que vive EL HOR et ses vaillants militants et militantes ! Que vive la Mauritanie, comme pays de droit, démocratique, unie et indivisible dans la paix, la prospérité, la concorde, la complémentarité et la compréhension  bénéfiques entre ses diverses et riches composantes ! Qui sème le vent ne récolte que la tempête mais qui sème le bien ne récolte que l’amour ! » (Déclaration d’El Hor, 5 mars 2019).

 

De la période coloniale à l’actuelle période néocoloniale, le peuple Mauritanien a lutté pour l’indépendance puis pour l’égalité des droits entre toutes les nationalités qui composent ce pays né, comme les autres États, de la double balkanisation de l’Afrique : le partage de Berlin de 1884/85 et la « loi cadre » de 1956 qui a porté un coup diviseur décisif au projet initial d’indépendance dans l’unité de l’ex-AOF du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) puis du Parti Africain de l’Indépendance (PAI).

 

La Mauritanie tout comme le Soudan sont des pays trait d’union entre les deux Afriques du nord et du sud. Il en est de même du Tchad, du Mali et du Niger.

 

La question nationale est au fond une question agraire, donc une question paysanne (au sens de la campagne, de la ruralité) qui pose la question fondamentale de l’égalité citoyenne entre toutes les nationalités des États multinationaux.

 

En Mauritanie, c’est l’unité des nationalités opprimées Haratines, Pulaars, Soninkés, Wolofs, Mandés soutenue par les démocrates Beydanes qui est la clef pour ouvrir la porte d’une Mauritanie dé-esclavagisée et dé-racisée et d’un panafricanisme fondé sur l’union libre des peuples libres du nord au sud et de l’est à l’ouest de notre cher continent berceau de l’humanité.

31/08/24    

Diagne Fodé Roland

 
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