Radioscopie d'une démocratie en proie à la spectacularisation (Par Khady Gadiaga)

Dimanche 27 Octobre 2024

La chroniqueuse Khady Gadiaga

La politique serait-elle sujette à « discorde idéologique », si tant est qu’elle se prête à un débat argumenté ? Question intempestive en regard des clichés entretenus sur la communication politique et la « fin des idéologies », censée avoir précipité la dépolitisation des démocraties : technocratie, brouillage des clivages, consensus apathique, séduction et spectacularisation, réduction de l’adversité partisane aux rivalités des vedettes médiatiques.

 

Le combat des chefs

 

En surface, le débat politique s’apparente à une dispute des personnalités publiques : «combat des chefs » qu’il faut paraître emporter aux yeux des spectateurs. Dans cette visée  de querelle éristique au sein d'un tournoi, les actes de discours servent avant tout à menacer ou à défendre les faces des rivaux, leur image rhétorique ou éthos : crédit, sincérité, capacité.

 

Les positionnements affichés importent moins que la manière dont les concurrents s’en servent pour tenter de se défaire, en portant des coups symboliquement marqués au score.  Chacun tente de mener le jeu par des offensives parfois spectaculaires — « grands moments » télévisuels de mise au défi —, dans un match à l’issue duquel partisans et commentateurs s’emploieront à désigner un vainqueur.

 

La dissolution des oppositions de fond — voire de tout contenu signifiant — alimente la déploration ou la satire ; l’on admet facilement que la « politique politicienne » ne pense pas, si penser veut dire mettre en question le sens de valeurs collectives. 

 

Les paradigmes dominants relaient ce lieu commun en forme d’alternative. Les approches cliniques entérinent la liquidation par le bas, réduisant le débat politique aux enjeux d’image imposés par ses déterminants électoraux et médiatiques. 

 

Les approches normatives lui opposent une restauration par le haut, au nom d’une pure délibération publique sans enjeux de pouvoir, ni conflits. Au final, le débat politique est soupçonné à la fois comme simulacre de conflit et comme simulacre de dialogue.

 

Des législatives sur fond d'incivilités démocratiques

 

Toute période préélectorale prédispose au raidissement des attitudes, à la grandiloquence assassine, à la caricature réductrice, bref au manichéisme, sur fond d’un affrontement sans merci entre le royaume de la lumière et celui des ténèbres, entre le dieu du bien et celui du mal.

 

L’actualité politique sénégalaise montre, hélas, que les progrès de la civilité démocratique n’ont pas eu raison de ces vieux réflexes, révélateurs d’un fond de l’air malsain, également illustré par de récents déferlements d'invectives et d'actes de défiance somme toute improductifs !  Nos politiciens conçoivent l'échiquier politique comme une forme de scène de guerre, où tout est permis pour discréditer le rival érigé en ennemi à abattre. 

 

Il peut sembler que la dispute distrait, voire épuise le débat. Le souci du succès interactionnel des énonciations prime celui de leurs conditions de satisfaction à l’égard des actions ou états de choses du monde public. Le référentiel impliquant les débatteurs semble disparaître, à mesure qu’on s’occupe de la manière dont ils thématisent leurs stratégies comme des agressions personnelles alimentant la « polémique politicienne ».

 

L'impératif de retrouver la sérénité du débat contradictoire 

 

Au niveau médian, le débat politique s’apparente à une discussion contradictoire : duel de contradicteurs positionnés en Proposants et Opposants de thèses données pour les branches contraires d’une alternative, en vue de se départager devant un public de juges, à l’aide de procédés dialectiques de réfutation — dont la mise en contradiction — et d’un registre de topiques définies depuis les classiques de la rhétorique politique. 

Ainsi les justifications mobilisent-elles des arguments de mérite (mise au crédit du locuteur d’un état de choses qualifié positivement) ou d’innocence (refus d’endosser une négativité attribuée au contexte défavorable), et les accusations des arguments de responsabilité (imputation à l’adversaire d’un état de choses qualifié négativement) ou de chance (refus de le créditer d’une positivité attribuée au contexte favorable).

 Aux attributions causales répond l’argument par les conséquences qui juge les projets selon les résultats bénéfiques (grâce), nuls (impuissance) ou néfastes (faute) qu’ils sont censés entraîner, opposant les variétés du topos réactionnaire (inanité, effet pervers, mise en péril, pente fatale) à celles du topos réformiste (appel à la volonté, renforcement des positivités).

 

Les Sénégalais attendent la rupture dans l'art de faire la politique 

 

À l'ère post+covid dont les effets dévastateurs sont encore bien palpables sur fond de rupture d'équilibre macroéconomique et crise énergétique accrue au plan mondial, les Sénégalais qui nourrissent de très grandes espérances, attendent beaucoup des politiques.

 

Ils attendent qu'on leur parle de ce projet d'avenir pour lequel, ils ont souscrit. Ils attendent des propositions concrètes loin de toutes tentations démagogiques et électoralistes.  Les citoyens sont dépités et déçus de ce triste spectacle, ils rejettent ces querelles de chiffonniers sortis des caniveaux de la République, qui n'intéressent que les concernés.

 

Notre classe politique ne sait pas débattre, ne sait pas communiquer. Nos politiques doivent se «challenger» sur le Noble projet  de la consolidation de la "Nation Sénégal" tout en restant dans le politiquement correct. 

 

Au fond, ces «politiciens» qui peuvent avoir de nombreux points de convergence, et aussi des différences d'approche, et de désaccords parfois, doivent faire l'effort patriotique de comprendre que les différences de vues, n'ont jamais empêché un débat d'idées, un débat responsable et lucide, à la hauteur des grands défis qui attendent le pays devenu Etat pétrolier et gazier, donc objet de toutes les convoitises.

 

Rien de tout cela n’est à même de répondre pleinement aux exigences de l’époque si également, l'opposition ne perçoit pas aussi que l’avenir de notre nation balafrée par les stigmates de la haine qui menace notre vivre-ensemble, dépendra de sa capacité à innover, et notamment dans la ré-articulation de plus en plus cruciale de la critique sociale en actes et du champ proprement politique.

 

K.G 27 octobre 2024

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