Rihanna au Sénégal : de la souffrance dans la démocratie (Par Adama SADIO ADO)

Mercredi 31 Janvier 2018

La démocratie repose sur le débat en lieu et place du combat. La conflictualité (parfois très agressive) des idées fait le charme de ce système politique. Le bouillonnement des idées (liberté d'expression) est le principe d'une société démocratique. En vertu de ces principes fondamentaux des droits humains, la Constitution sénégalaise garantit en son article 8 les libertés individuelles fondamentales conformément à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme (DUDH) de 1948.
 
L'article 19 de la DUDH stipule « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».
 
Ainsi, les attaques de « démocrates » sénégalais contre des organisations de la société civile s’opposant à la venue de Rihanna au Sénégal sont difficilement acceptables au nom des valeurs démocratiques qu’ils prétendent défendre. Si des idées étaient opposées à celles fondant l’argumentaire de ces activistes anti-Rihanna, on serait bien dans la sève de la démocratie.
 
Malheureusement, le coefficient de subjectivité semble l’emporter sur celui d’objectivité dans de nombreuses répliques apportées aux citoyens sénégalais pour qui Rihanna n’est pas la personne indiquée pour venir parler d’éducation aux filles sénégalaises pour deux raisons principales : son orientation maçonnique (un secret de polichinelle) et son penchant pour la nudité alors que l’école est un vecteur de transmission des valeurs de la République et de la société. Certains les qualifient de xénophobes, d’individus rétrogradés, d’autres, par contre, poussent le bouchon trop loin en les taxant d’islamistes - de djiahadistes.
 
Pourtant, la manifestation contre une personnalité publique est une banalité dans une société démocratique. En janvier 2017, plus d’un million de Britanniques ont signé la pétition et des milliers d’entre eux ont manifesté en février de la même année contre une visite d’Etat du président américain Donald Trump en Angleterre. Les Femen perturbent régulièrement les manifestations surtout le traditionnel défilé du 1er mai du Front National de Marine Le Pen en France. Les mouvements antimondialistes se mobilisent régulièrement contre le G8, l’OMC, etc. Après la sortie le 25 novembre 2003 de son clip Tip Drill, des femmes noires et des étudiants américains ont manifesté contre le rappeur Nelly dénonçant ainsi  l’image « dégradante » de la femme noire dans cette vidéo.
 
A-t-on pour autant attribué le qualificatif de xénophobes aux Britanniques, de personnes rétrogradées aux Femen et antimondialistes ou d’islamistes aux femmes noires et étudiants américains? Ces manifestations de la démocratie que l’on a déjà intégrées dans notre subconscient collectif quand il s’agit de la RADDHO, de la section-Sénégal d’Amnesty International, etc., certains prétendants des valeurs démocratiques refusent la souffrance à accepter à d’autres acteurs de la société civile sénégalaise un principe sacro-saint de la démocratie : le DROIT de défendre dans des conditions prévues par la loi leur vision de société.
 
A y voir de près, ce débat prouve ô combien le système colonial français est ancré dans notre habitus. La laïcité, legs colonial résultant de l’histoire endogène de l’ancienne puissance coloniale, n’est point une garantie nécessaire à la vitalité de la démocratie. Aux Etats-Unis, il y est noté un mariage entre la Liberté et la Religion. Et pourtant la démocratie américaine s’en porte mieux que celle française au point de charmer le grand penseur français Alexis de Tocqueville. « Le régime politique américain est aussi sublime qu’inimitable », s’extasie Professeur Ismaïla Madior Fall sur la beauté de la démocratie américaine.     
 
Adama SADIO ADO
adosadio@yahoo.fr
 
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