Le business des semences agricoles peut être assez lucratif pour autoriser toutes sortes de dérives de la part de certains acteurs du milieu. Ainsi, la Cour des comptes a débusqué le camouflage de personnes physiques qui profitent de leur statut d’opérateur privé pour acquérir plusieurs autres identités et « capter le maximum de quotas par le biais de diverses notifications qui leur sont délivrées ». Ce trafic sous-terrain est matérialisé par la mise en avant de sociétés-écrans agissant sous forme de groupement d’intérêt économique (GIE), de coopérative, etc. au bénéfice dudit opérateur privé.
« Cette situation est révélée par l’exploitation des factures relatives aux montants dus par l’Etat, au titre du versement de la subvention à ces opérateurs. En effet, pour plusieurs entités, la subvention est versée dans un seul compte bancaire ; à savoir celui de l’opérateur privé, personne physique, véritable propriétaire desdites entités », indique le Rapport définitif de la Cour sur l’audit 2017-2020 sur la gestion des semences arachidières.
Ainsi, l’opérateur privé dénommé Cheikh Bara Guèye, avec des identités multiples (GIE Lambarna, GIE Ndimbeul, GIE Darou Nahim Guèye, GIE Sante Yalla, GIE Tawfekh Sopé Serigne Aliou Mbacké, GIE Wa Sam), a pu recevoir 9964,6 tonnes de semences certifiées et 9608 de semences écrémées lors de la campagne agricole 2018-2019, révèle le document d’enquête. Cheikh Bara Guèye est considéré comme le « bénéficiaire réel » des quotas de semences attribués aux GIE.
Le même procédé de camouflage du bénéficiaire réel sous diverses identités d’entreprises a été utilisé par de nombreux autres opérateurs privés cités dans le Rapport de la Cour des comptes : El Hadji Maodo Sarr (pour capter 2778,6 tonnes de semences) ; Saliou Seck (3662,19 tonnes) ; GIE Serigne Fallou Mbacké (850 tonnes) ; Mouhamed Dieng (1021 tonnes) ; Cheikh Goumbala (295,05) ; Pape Médou Seck (1155,1 tonnes) ; Adiou Sène (2708 tonnes) ; Amy Ndiaye (1073,9 tonnes) ; Cheikh Fall (4565,9 tonnes) ; Denis Correa (132,5 tonnes) et Mamadou Dème (2178,1 tonnes).
Au total, ce procédé a porté sur 20 420,34 tonnes de semences certifiées et écrémées.
Pour la Cour des comptes, le système en place qui sélectionne les opérateurs privés semenciers a des conséquences négatives sur la filière.
D’une part, il favorise « un groupe d’opérateurs qui vont ainsi bénéficier d’importants quotas de semences d’arachides à fournir et qui se verront payer par l’Etat d’importantes sommes d’argent dans le cadre du versement de la subvention ».
Et d’autre part, il est une cause « des retards dans la mise en place des semences » car « le bénéficiaire réel qui ‘est déployé sous plusieurs autres identités, aura des difficultés à respecter les délais d’acheminement des semences dans les différentes localités indiquées dans les notifications ».
Dans sa Recommandation 27, les vérificateurs appellent le ministre en charge de l’Agriculture de « se conformer » au Code des marchés en son article 47.8 « pour empêcher les opérateurs semences de présenter plusieurs offres » avec leurs multiples casquettes de candidats individuels et de membres de groupements agricoles.
Les nouvelles mesures prises par le Premier ministre Ousmane Sonko en conseil interministériel du 3 mai 2024 vont dans le sens d’instaurer une plus grande transparence dans les opérations d’attribution des semences. La mise en place d’un identifiant unique pour chaque producteur bénéficiaire de subvention publique et pour chaque opérateurs fournisseur d’intrants agricoles pourrait y aider. [IMPACT.SN]