Le Pm Amadou Bâ (d) et l'ambassadeur de l'UE au Sénégal Jean Marc Pisani
Stabilité politique, transparence, gouvernance, reddition des comptes, etc. Les partenaires économiques et financiers du Sénégal ont étalé leurs inquiétudes face aux lourdes tensions qui prévalent aux plans politique et judiciaire dans notre pays.
Devant le premier ministre Amadou Bâ et plusieurs ministres du gouvernement, Jean-Marc Pisani, le chef résident de la Délégation de l’Union européenne à Dakar et porte-voix du Groupe des 50 pays et institutions internationales (G50), ont exigé la publication des rapports de la Cour des comptes pour la période 2018-2021. En toile de fond de cette demande, un brin d’agacement et d’exaspération perceptible dans les mots de Pisani à l’endroit du Pm sénégalais.
« Nous restons dans l’attente de la publication des rapports annuels de la Cour des comptes 2018, 2019, 2020 et 2021, ainsi que les rapports d’exécution des lois de finances 2020 et 2021. »
Pour les partenaires du Sénégal, il est curieux que le président de la république ait autorisé la publication du rapport 2022 de la cour des comptes alors que ceux des quatre années précédentes sont restés sous le boisseau. Selon plusieurs indiscrétions, c’est justement la pression des dits bailleurs qui a contraint les autorités sénégalaises à rendre public le rapport 2022 de la cour des comptes.
Spécialement centré sur la gouvernance des fonds destinés à lutter contre la pandémie Covid-19, ce rapport a suscité une grande indignation auprès de l’opinion publique et choqué les partenaires économiques et financiers dont ceux du G50, pourvoyeurs d’une partie des fonds présumés détournés au niveau de plusieurs ministères et de leurs démembrements.
Jean-Marc Pisani s’est enquis également du sort des « recommandations » que les bailleurs avaient adressées au gouvernement sénégalais pour le suivi judiciaire de cette affaire.
Cependant, la préoccupation essentielle du G50 touche à la situation politique au Sénégal depuis plusieurs mois sur fond de batailles judiciaires politisées avec un grand potentiel de chaos au bout des logiques qui s’affrontent.
« Je ne saurais terminer sans vous faire part de l’attention avec laquelle les partenaires du Sénégal suivent le développement politique et la montée des tensions, à moins d’un an de la tenue de l’élection présidentielle. »
Depuis les événements dramatiques de mars 2021 soldés par une quinzaine de morts entre Dakar et la zone sud du pays, la tension politique est restée à un niveau très élevée entre le pouvoir du président Macky Sall et la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi. Avant les trois morts survenus en mars dernier lors de manifestations liés au procès du Prodac, trois autres victimes avaient été notées en juin 2022 dans le chaos du bras de fer juridique qui a précédé les élections législatives du 31 juillet suivant. Des soubresauts porteurs de potentiel de déstabilisation qui inquiètent les partenaires financiers mais aussi et surtout les investisseurs locaux et étrangers.
« Le contexte est particulier et ses développements pourraient impacter la mise en œuvre effective des (...) priorités économiques et sociales du gouvernement », a souligné Pisani.
Sur toutes ces questions, le chef du gouvernement a tenté de rassurer le G50, rappelant que le Sénégal reste « un Etat de droit », « engagé à protéger les droits et les libertés », « sous le contrôle permanent du pouvoir judiciaire ».
Il n’est pas certain que ce type de discours - globalement décalé des réalités actuelles et des causes profondes ayant favorisé les événements sanglants qui se succèdent depuis mars 2021 - convainque des partenaires économiques et financiers qui ne sont peut-être pas les moins bien informés de la situation présente.
Le langage a semblé plutôt diplomatique des deux côtés. Néanmoins, l’impact politique des propos de Jean-Marc Pisani devrait nous valoir les jours ou semaines à venir la découverte de quelques rapports de la Cour des comptes et/ou d’autres institutions de bonne gouvernance.
Mais finalement, la posture peu habituelle des pays essentiels qui composent le G50- (dont ceux de l'Union européenne et les Etats-Unis) ne serait-pas au fond une ''exigence" poussant le président de la république de trouver une sortie négociée de la crise politique en vigueur au Sénégal ?