Sénégal : l’immense défi de la communication scientifique dans les médias

Mardi 10 Décembre 2024

Khady Gadiaga, spécialiste en communication et marketing

Le 16 août 2024, le Sénégal a inauguré le lancement de son premier satellite dans l’espace, Gaïndé Sat-1. Le petit appareil qui pèse à peine 1 kg a été projeté à 500 km de la Terre par la fusée SpaceX à partir de son site de Californie. Une première scientifique que la presse locale a salué avec déférence en multipliant les interviews avec des responsables du programme. La communication scientifique, définie ici comme le traitement de l’information à caractère scientifique par les journalistes, a été à l’honneur dans les médias durant plusieurs jours. 

 

De nombreux sénégalais ont sans doute entendu et lu beaucoup de choses nouvelles concernant le satellite, sa conception et sa fabrication, son lancement, son utilité pour les chercheurs et ce que les gens peuvent en espérer pour améliorer leur vie quotidienne. Des beaux jours vécus avec la science au plus près ! Mais depuis, la norme a repris sa place: la communication de type scientifique est un parent pauvre de la presse sénégalaise.

 

Avec 50 journaux existants dont une majorité de quotidiens (un bon nombre d’entre eux ont une existence minimale que sur les réseaux sociaux), le Sénégal connait un vrai dynamisme médiatique en phase avec la culture démocratique qui s’est installée depuis plusieurs décennies. Il compte également 150 sites d’informations enregistrés, 300 radios privées et commerciales et des 35 chaînes de télévision. Ces statistiques ont été publiées par le ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique le 16 août 2024. 

 

Le maillage du territoire national est donc une réalité du point de vue de l’accès du public à l’information. La couverture de l’actualité politique prédomine devant les autres centres d’intérêt : faits divers, crimes, affaires judiciaires, sports, économie, culture, etc. La science ? Cette rubrique est quasi absente des préoccupations des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs sénégalais. Ce qui fait de la communication scientifique une sorte de passager clandestin dans les médias. Mais pour certains observateurs, l’espoir subsiste. 

 

« Au Sénégal, le terrain du journalisme scientifique est loin d’être vierge. L’on observe un certain nombre d’initiatives prises par des journalistes qui sont parvenus à asseoir les bases de cette spécialité dans leurs rédactions respectives. Mais il semble que le public pour ce genre de production se fait désirer ou, plus simplement, n’est pas forcément disponible », souligne Khady Gadiaga. 

 

Cette trilingue diplômée en Marketing stratégique et Communication organisationnelle de Liverpool Polytechnic Business School (United Kingdom) connait parfaitement la presse sénégalaise. Elle est également titulaire d’un Master 2 en Gestion de projet obtenu à Kassel Hochschule (Germany) et d’une Licence en langues étrangères appliquée (anglais-allemand). Pour elle, c’est la structuration des maisons de presse qui est en cause.  

 

« La plupart des entreprises de presse au Sénégal ont un caractère événementiel. Elles ont choisi de rester généralistes car elles pensent avoir plus de marge en termes de vente, contrairement aux organes spécialisés qui semblent s’adressent à un public spécifique et ciblé », explique Mme Gadiaga.

 

Elle déplore ainsi l’absence quasi généralisée de rédactions « disposant de rubriques spécialisées avec des journalistes ayant reçu une formation spécifique mais solide sur des sujets touchant à l’économie, à la science ou la recherche et l’éducation ». Dans cette dynamique, elle regrette que les productions des centres de recherche, structures universitaires et laboratoires de recherche scientifique ne soient pas mieux exploitées et mises en valeur par les médias sénégalais. 

 
LIRE: Yacine Ndiaye (IRD Senegal): « Nous avons du mal à créer une vraie synergie entre les instituts de recherche et les journalistes »

Yacine Ndiaye est la responsable de la communication de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Cet organisme public français présent au Sénégal depuis un demi siècle travaille en partenariat avec des institutions locales pour developper des activités de recherche, de formation et d’innovation dans le domaine scientifique. Pour elle, également, le problème reste d’ordre structurel.

 

« Au sein des rédactions sénégalaises, le journalisme scientifique n’occupe pas une position prépondérante. La primeur est souvent accordée à l’actualité politique. Le desk « sciences » s’exprime rarement en premier lors des réunions de rédaction », souligne Mme Ndiaye. 

 

En outre, « les exigences des rédactions en termes de contenu en rapport avec l’actualité chaude, en plus du turnover des journalistes qui changent souvent de desk, ne vont pas spécialement vers l’épanouissement d’un journalisme spécialisé », ajoute celle qui est aussi en charge de la valorisation de la recherche de l’IRD.

 

Après les constats implacables de ces deux observatrices de la scène médiatique sénégalaise, comment sortir de cette ornière qui brime la circulation normale de l’information scientifique ?

 

« Il y a une corrélation entre la spécialisation en journalisme scientifique et le cursus scolaire et universitaire des journalistes. La plupart des journalistes scientifiques ont préalablement fait quelques années dans une faculté de sciences et techniques : d’autres ont poursuivi leurs études dans des domaines comme l’environnement, la biologie, etc. », indique Khady Gadiaga. Ce sont là des facteurs « qui justifient l’orientation des professionnels des médias vers la presse scientifique ». 

 

Plus que jamais, Khady Gadiaga est persuadée que « les missions du journaliste scientifique ne peuvent être menées à bien que suite à une formation de haut niveau académique et pratique spécialisée. »

 

Dans cet environnement peu propice à une vulgarisation efficace des événements et découvertes scientifiques, elle suggère un soutien réel aux initiatives entreprises par certains professionnels ayant pris l’option et le risque de se spécialiser sur les questions scientifiques. Dans ce cadre, « il serait intéressant de réfléchir à une sorte de Recherche collaborative basée sur la co-construction, la production de connaissances,  le rapprochement entre communautés de recherche et médias ». 

 

A coté de la formation continue des journalistes dans leurs propres médias ou ailleurs, Yacine Ndiaye de l’IRD prône un co-développement de cursus ‘’science’’ au sein des écoles de formation au journalisme et la mise en place dans les instituts de recherche partenaires des médias « d’un volet ‘’culture scientifique’’ ». Ce volet serait exécuté « sous forme de bourses aux médias pour financer des sujets de recherche scientifique ».

 

Ce serait peut-être un début de commencement pour que la couverture de l’actualité scientifique ne soit plus tributaire d’un événement exceptionnel comme le lancement d’un satellite. 

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