Sénégal, une démocratie déchiquetée

Mardi 1 Aout 2023

 
On l’a ! On l’a eu ! C’est le double cri de triomphe qui a pu être entonné quelque part dans les salons feutrés de plusieurs officines de la République après l’emprisonnement d’Ousmane Sonko par le doyen des juges d’instruction sur réquisitoire du procureur, suivi par l’annonce de la dissolution du parti Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail l’éthique et la fraternité). Pourtant, aucune de ces deux mesures substantiellement politiques ne peut constituer une surprise tant elles étaient devenues des sur-priorités dans les laboratoires du régime, là où prospèrent, dit-on, les ‘’vrais’’ complots contre la démocratie et l’Etat de droit. Quelle est la nature d’un régime qui dissout le premier parti politique d’opposition en termes de représentativité parlementaire et dont le leader, arrivé 3e à la présidentielle de février 2019, est vu comme un candidat très sérieux – pour ne pas dire le favori – à l’élection présidentielle de février 2024 ?
 
En obtenant (provisoirement) la peau et l’appareil politique du plus irréductible de ses opposants, le président Macky Sall ne devrait pas être fier d’une telle performance, au 21e siècle, dans un pays comme le Sénégal. Ce n’est pas la finalité malheureuse à laquelle on est arrivé qui est révoltante en soi. Ce qui est méprisable, c’est le cocktail de méthodes absolument ignobles mises en branle depuis deux ans pour éliminer un adversaire politique atypique contre qui il n’a jamais été possible de stabiliser un angle d’attaque porteur de résultats probants. Seule une insurrection à X dimensions a permis de le neutraliser. La démocratie sénégalaise est ainsi déchiquetée. Non parce qu’Ousmane Sonko et Pastef sont mis hors course, mais parce que les principes fondamentaux d’un Etat de droit juste et impersonnel sont trahis par l’activisme politicien de fonctionnaires partisans.
 
Personne n’est dupe et tous les observateurs le savent : Macky Sall a perdu le rapport de force politique contre Ousmane Sonko depuis belle lurette. Sa légitimité en souffre, lui-même sans doute, et il semble qu’il doive en être ainsi jusqu’à son départ du pouvoir le 2 avril 2024.
 
Dans cette faiblesse à la fois structurelle et organique, mâtinée d’une impopularité rarement égalée au sommet de l’Etat, Macky Sall s’est adossé de guerre lasse sur les piliers sécuritaires et répressifs de son régime pour s’assurer un semblant de survie. C’est cette option dramatique de la fuite en avant qui a engendré ces dizaines de morts recensés dans notre pays depuis les événements sanglants de février-mars 2021.
 
DEMOCRATIE SOUS TUTELLE
 
L’histoire n’est sans doute pas finie, mais la guerre violente que le pouvoir sénégalais a imposée à Ousmane Sonko et à ses compagnons de « projet » depuis les lendemains de la présidentielle de 2019 a confirmé une autre réalité tangible. Macky Sall a patrimonialisé la démocratie et imposé aux institutions de la République un devoir d’allégeance à sa volonté de puissance. Cette brutalité primaire dans l’action s’explique : l’alchimie de toute sa stratégie de domination repose sur le refus pathologique de se soumettre, en toute humilité, à la simplicité des lois qui organisent les élections au Sénégal. C’est cette peur bleue du suffrage universel loyal qui est le soubassement de sa campagne tragique contre l’opposant Pastef.
 
Tous comptes faits, le pouvoir se retrouve clairement en position de force, presqu’en roue libre, le chemin momentanément dégagé pour le « Bébé Macky » qui va servir de dauphin au Président. Pastef, quand à lui, va devoir se réinventer après moins d’une dizaine d’années d’existence. Ses centaines de milliers de militants et sympathisants ne disparaîtront pas de leur belle disparition après cette dure journée du 31 juillet 2023. Au contraire, il est à craindre pour le pouvoir qu’ils continuent de ferrailler contre lui d’une manière ou d’une autre, mais aussi qu’ils construisent leur redéploiement dans le champ politique sous des formes nouvelles dont les conséquences électorales finiraient par inquiéter le pouvoir en place.  
 
Onze ans après son arrivée au pouvoir et sept mois avant la fin de son second et dernier mandat, le chef de l’Etat a domestiqué un large spectre de l’espace politique sénégalais, remuant jalousement dans sa poche une liste interminable de vieux briscards politiciens ayant choisi de finir leur « carrière politique » en roue libre, sans stress, si possible sous les paillettes. C’était comme qui dirait la chance de sa vie, mais c’est la démocratie sénégalaise qui récolte les pots pourris et cassés d’une erreur de casting qui restera historique.
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