Simone Gbagbo amnistiée: Alassane Ouattara tente de réconcilier les Ivoiriens

Mardi 7 Aout 2018

Simone Gbagbo sera «prochainement» libre. L'ancienne première dame ivoirienne, détenue depuis sept ans pour son rôle dans la sanglante crise post-électorale qui a fait 3.000 morts en 2010-2011, a été aministiée le 6 août 2018 par le président ivoirien Alassane Ouattara, à la veille du 58e anniversaire de la Côte d'Ivoire. Simone Gbagbo a été condamnée en 2015 à vingt ans de prison pour «atteinte à la sûreté de l'Etat».

L'ex-Dame de fer d'Abidjan avait été ensuite acquittée en 2017, à la surprise générale, lors de son procès aux assises à Abidjan pour crimes contre l'humanité pendant la crise post-électorale. Mais ce jugement a été cassé le 26 juillet 2018 par la Cour suprême qui avait demandé son renvoi devant une nouvelle cour d'assises.

Au nom de la réconciliation nationale

En amnistiant l'ancienne première dame, le président Ouattara semble vouloir faire taire la critique persistante d'une «justice des vainqueurs» qui a prévalu après la crise post-électorale et son arrivée au pouvoir. Evoquant le père de l'indépendance ivoirienne, le président Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara a affirmé son «attachement à la paix et à une réconciliation vraie» avant d'annoncer sa décision.
 
«J'ai procédé ce lundi à la signature d'une ordonnance d'amnistie qui bénéficiera à environ 800 concitoyens poursuivis ou condamnés pour des infractions en lien avec la crise post-électorale de 2010 ou des infractions contre la sûreté de l'Etat commises après le 21 mai 2011 (date de la prise effective de pouvoir d'Alassane Ouattara)», a déclaré le président ivoirien sur les antennes de la télévision nationale, dans sa traditionnelle allocution à la veille de la fête de l'Indépendance.

Cette amnistie vient renforcer une autre décision du régime ivoirien. Ce dernier avait refusé, contrairement à l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, de livrer Simone Gbagbo à la Cour pénale internationale qui la réclame toujours pour la juger.  A l'instar de la responsable politique, un autre leader du Front populaire ivoirien (FPI), l'ancien ministre de la Défense Lida Kouassi, détenu depuis 2014 et condamné début 2018 à quinze ans de prison pour «complot», a été également amnistié. 

La question de la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire, après la décennie de crise politico-militaire des années 2000 qui a déchiré le pays, était considérée jusqu'à présent par les observateurs comme un point noir du bilan d'Alassane Ouattara. Dans un rapport confidentiel, les ambassadeurs de l'Union européenne en Côte d'Ivoire qualifiaient la question de «faille majeure» de la présidence Ouattara.

Ce constat, déjà largement partagé en Côte d'Ivoire, fait craindre une possible résurgence de violence lors de l'élection présidentielle de 2020, tant les blessures de la crise sont encore vives. A propos de la loi d'amnistie, «il s’agit là, d’une mesure de clémence de la Nation entière envers ses filles et ses fils», a insisté Alassane Ouattara. «J’invite, donc, tous les bénéficiaires de cette amnistie à faire en sorte que notre pays ne revive plus jamais de tels évènements et ne sombre plus jamais dans la violence». 

Une figure politique majeure

A 69 ans, Simone Gbagbo devrait donc retrouver la liberté et ses partisans du Front populaire ivoirien (FPI), parti qu'elle a cofondé avec Laurent Gbagbo. Du moins la frange «légitimiste» du parti, fidèle à l'ex-président, qui vient d'organiser début août son congrès à Moossou, ville natale de l'ancienne première dame, située à une vingtaine de kilomètres d'Abidjan, réélisant à sa tête Laurent Gbagbo. L'autre faction du FPI est dirigée par un ancien Premier ministre de Gbagbo, Pascal Affi Nguessan, qui a répondu depuis quelques années à la main tendue au pouvoir ivoirien. 

Le poids politique de Simone Gbagbo est indéniable. Elle s'est forgée une réputation de dureté, d'abord comme opposante dans la rue puis comme très influente épouse de président, entre 2000 et 2010. Elle a été autant respectée pour son militantisme que crainte pour son rôle de «présidente» à poigne, souvent accusée d'être liée aux «escadrons de la mort»  contre les partisans d'Alassane Ouattara, qu'elle a toujours honni.

Lorsqu'éclate la rébellion du Nord de 2002, Simone Gbagbo défend son mari, dénonce la «sédition» et la partition du pays et sera - plus ou moins publiquement - hostile aux accords de paix successifs. «Dieu a donné la victoire à Laurent», commente-t-elle huit ans plus tard au lendemain du second tour de la présidentielle contestée du 28 novembre 2010.

Quand le pays plonge dans la crise post-électorale au terme de laquelle elle est arrêtée le 11 avril 2011 aux côtés de son mari, «Simone» ou «Maman», comme l'appellent ses admirateurs, fustige le «chef bandit» Alassane Ouattara et le «diable» Nicolas Sarkozy, le président français d'alors. Simone Gbagbo a par ailleurs été entendue par la justice française dans la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004 à Abidjan.

La future libération de Simone Gbagbo intervient a deux ans de la présidentielle, au moment où la scène politique est marquée par des dissensions au sein de l'alliance politique, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) qui avait conduit Alassane Ouattara au pouvoir en 2011.

Au nom de l'alternance, son allié politique majeur au sein de cette coalition, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), souhaite présenter son candidat. Et Alassane Ouattara maintient le flou. Evoquant en conclusion de son discours la présidentielle de 2020, il a répété qu'il fallait «travailler à transférer le pouvoir à une nouvelle génération» mais sans dire clairement qu'il ne serait pas candidat pour un troisième mandat, prohibé par la Constitution. (Geopolis)
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