La Chronique de BP
« Notre hôpital est malade ». Ces propos sont du Colonel Massamba Diop, ancien Directeur de l’hôpital Aristide Le Dantec et de plusieurs autres établissements sanitaires, auteur du livre : « La santé au Sénégal de 1960 à 2010, thérapie de choc pour un hôpital malade ». Son diagnostic est partagé par un autre professionnel de la santé, le professeur de cardiologie, Abdoul Kane. Pour l’auteur des ouvrages : ''La vie sur un fil, nouvelles de mon hôpital » et « L’éthique, le soignant et la société », « les contre-valeurs véhiculées par notre société se sont malheureusement incrustées dans l'hôpital public vu de plus en plus comme une banale entreprise productrice de soins. La qualité des soins, l'éthique et l'humanité sont parfois oubliées ».
Le décès de la jeune Aïcha Diallo a ému les populations médusées par sa prise en charge défaillante à l’hôpital de Pikine pour des raisons pécuniaires, selon sa famille. Cette actualité nous permet d’évoquer plus généralement la question de la santé dans le développement de notre pays.
Pour ne pas engager le pronostic vital de notre système de santé publique, il nous faut nous pencher promptement au chevet de nos hôpitaux, pas seulement par des mots, pour panser leurs maux. L’accueil, l’orientation et le suivi des malades dans nos établissements sanitaires sont souvent un véritable parcours du combattant pour ne pas dire un « couloir de la mort ». Ceux qui ont été malades ou qui ont accompagné des malades ne nous démentiront certainement pas. Parallèlement à son mal physique, le patient doit s’armer de patience et de courage pour parcourir le circuit avec ses nombreux sauts d’obstacles administratifs et financiers.
La détresse aux urgences
Le professeur Kane ne dit pas autre chose : « La vie sur un fil a voulu raconter le chemin de pénitence qu'empruntent les malades et leurs familles ruinés par des chapelets d'ordonnances, qui ne peuvent espérer des soins de qualité dans des hôpitaux se moquant de plus en plus de la charité. » Même les urgences censées recueillir promptement le summum de la détresse n’y échappent pas. Souvent, des accidentés de la circulation et autres malades transportés par des ambulances se font renvoyer d’hôpital en hôpital, faute de place ou d’argent ! « Dans nos hôpitaux, on pense plus aux soins qui rapportent de l’argent qu’à la qualité des prestations. » Une privatisation rampante de la santé qui ne dit pas son nom.
Pire, de l’avis du cardiologue écrivain, « il y a ainsi les bons et les mauvais malades : les premiers solvables et atteints de maladies génératrices de revenus qui permettent d’équilibrer les comptes et un retour sur investissement (patients nécessitant plusieurs analyses biologiques, des scanners, des échographies, une intervention chirurgicale assez onéreuse pour la rentabilité optimale). Les seconds malades sont désespérément pauvres ou appauvris par les soins et, pire encore, atteints d’une maladie chronique. » Hélas.
Et le praticien émérite de recommander de « travailler à amener tous les acteurs de nos structures de soins à être attentifs à la personne qui peine à marcher dans la cour de l’hôpital, au patient qui gémit sur son lit. Chacun doit s’attacher à prendre du temps pour soulager l’angoisse d’un être devant la maladie et évidemment à ne jamais le rabrouer.»
Certes, il y a de nombreux professionnels de la santé qui ont une haute conscience professionnelle, mais il y en a encore qui le sont moins dans ces espaces de gestion de la détresse humaine où l’accueil, l’écoute, la compassion, la prise en charge rapide doivent être élevés au rang de culte. Les logiques comptables en vue d’une rentabilité financière doivent marquer le pas au profit de la préservation de la vie humaine sacrée.
La vocation d’abord, la vacation ensuite
La performance d’un hôpital public et de son personnel doit se mesurer plus à l’aune des bilans de santé de leurs malades et moins aux bilans comptables et financiers au risque de rater leur noble vocation humanitaire. Ce n’est pas pour rien que le médecin, avant de recevoir son diplôme, lit symboliquement le serment d’Hippocrate, s’engageant à accorder, entre autres, la priorité au bien-être du malade. La vocation doit primer sur les vacations.
En réalité, la quête du bien-être collectif doit être une priorité nationale absolue. Avec l’école, dont nous avons parlé dans la dernière chronique (http://www.impact.sn/L-ecole-a-l-epreuve-des-defis-de-notre-temps_a5439.html) la santé constitue l’autre pilier fondamental du capital humain qui doit porter notre épanouissement collectif. Sans l’éducation et la santé, point de développement.
Des études ont démontré la corrélation entre l’amélioration des conditions de santé et la croissance. L’expérience des pays émergents montre que l’amélioration des conditions de santé a joué un rôle décisif au démarrage de leur processus de développement aux plans macroéconomique et microéconomique.
Nos hôpitaux ont besoin de plus de ressources venant des pouvoirs publics et une meilleure répartition de celles-ci pour faire face à leurs charges de manière optimale. La CMU et le Plan SESAME doivent être renforcés et élargis. Le Secteur privé est également appelé à jouer sa partition, notamment en matière de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
De même, les ONG, les partenaires au développement et les ménages sont particulièrement interpellés par une nouvelle culture de l’épargne et de l’investissement dans ce domaine. L’ère est révolue où la santé et l’éducation étaient considérées comme des secteurs non productifs. La bonne santé de l’économie est fonction de l’économie de la santé (ressources qui lui sont allouées).
Fondamentalement, la santé n’est pas que curative, elle est aussi préventive surtout pour nos pays en développement. Ne dit-on pas qu’il vaut mieux prévenir que guérir ? Nous devons accorder plus d’attention et de considération à la recherche et la formation médicales (endogènes et ouvertes) pour prévenir les nombreuses maladies qui nous menacent et nous affectent (Sida, cancer, paludisme, cardiopathie, diabète, AVC, insuffisance rénale, etc.).
Aujourd’hui, des efforts accrus doivent être consacrés surtout à l’alimentation, la pratique sportive, l’environnement, la lutte contre la pollution, le tabac, l’alcool, la drogue afin que notre santé collective sorte des urgences et ne finisse pas dans l’agonie ou le coma.
Ballé Preira
souye76@gmail.com
« Notre hôpital est malade ». Ces propos sont du Colonel Massamba Diop, ancien Directeur de l’hôpital Aristide Le Dantec et de plusieurs autres établissements sanitaires, auteur du livre : « La santé au Sénégal de 1960 à 2010, thérapie de choc pour un hôpital malade ». Son diagnostic est partagé par un autre professionnel de la santé, le professeur de cardiologie, Abdoul Kane. Pour l’auteur des ouvrages : ''La vie sur un fil, nouvelles de mon hôpital » et « L’éthique, le soignant et la société », « les contre-valeurs véhiculées par notre société se sont malheureusement incrustées dans l'hôpital public vu de plus en plus comme une banale entreprise productrice de soins. La qualité des soins, l'éthique et l'humanité sont parfois oubliées ».
Le décès de la jeune Aïcha Diallo a ému les populations médusées par sa prise en charge défaillante à l’hôpital de Pikine pour des raisons pécuniaires, selon sa famille. Cette actualité nous permet d’évoquer plus généralement la question de la santé dans le développement de notre pays.
Pour ne pas engager le pronostic vital de notre système de santé publique, il nous faut nous pencher promptement au chevet de nos hôpitaux, pas seulement par des mots, pour panser leurs maux. L’accueil, l’orientation et le suivi des malades dans nos établissements sanitaires sont souvent un véritable parcours du combattant pour ne pas dire un « couloir de la mort ». Ceux qui ont été malades ou qui ont accompagné des malades ne nous démentiront certainement pas. Parallèlement à son mal physique, le patient doit s’armer de patience et de courage pour parcourir le circuit avec ses nombreux sauts d’obstacles administratifs et financiers.
La détresse aux urgences
Le professeur Kane ne dit pas autre chose : « La vie sur un fil a voulu raconter le chemin de pénitence qu'empruntent les malades et leurs familles ruinés par des chapelets d'ordonnances, qui ne peuvent espérer des soins de qualité dans des hôpitaux se moquant de plus en plus de la charité. » Même les urgences censées recueillir promptement le summum de la détresse n’y échappent pas. Souvent, des accidentés de la circulation et autres malades transportés par des ambulances se font renvoyer d’hôpital en hôpital, faute de place ou d’argent ! « Dans nos hôpitaux, on pense plus aux soins qui rapportent de l’argent qu’à la qualité des prestations. » Une privatisation rampante de la santé qui ne dit pas son nom.
Pire, de l’avis du cardiologue écrivain, « il y a ainsi les bons et les mauvais malades : les premiers solvables et atteints de maladies génératrices de revenus qui permettent d’équilibrer les comptes et un retour sur investissement (patients nécessitant plusieurs analyses biologiques, des scanners, des échographies, une intervention chirurgicale assez onéreuse pour la rentabilité optimale). Les seconds malades sont désespérément pauvres ou appauvris par les soins et, pire encore, atteints d’une maladie chronique. » Hélas.
Et le praticien émérite de recommander de « travailler à amener tous les acteurs de nos structures de soins à être attentifs à la personne qui peine à marcher dans la cour de l’hôpital, au patient qui gémit sur son lit. Chacun doit s’attacher à prendre du temps pour soulager l’angoisse d’un être devant la maladie et évidemment à ne jamais le rabrouer.»
Certes, il y a de nombreux professionnels de la santé qui ont une haute conscience professionnelle, mais il y en a encore qui le sont moins dans ces espaces de gestion de la détresse humaine où l’accueil, l’écoute, la compassion, la prise en charge rapide doivent être élevés au rang de culte. Les logiques comptables en vue d’une rentabilité financière doivent marquer le pas au profit de la préservation de la vie humaine sacrée.
La vocation d’abord, la vacation ensuite
La performance d’un hôpital public et de son personnel doit se mesurer plus à l’aune des bilans de santé de leurs malades et moins aux bilans comptables et financiers au risque de rater leur noble vocation humanitaire. Ce n’est pas pour rien que le médecin, avant de recevoir son diplôme, lit symboliquement le serment d’Hippocrate, s’engageant à accorder, entre autres, la priorité au bien-être du malade. La vocation doit primer sur les vacations.
En réalité, la quête du bien-être collectif doit être une priorité nationale absolue. Avec l’école, dont nous avons parlé dans la dernière chronique (http://www.impact.sn/L-ecole-a-l-epreuve-des-defis-de-notre-temps_a5439.html) la santé constitue l’autre pilier fondamental du capital humain qui doit porter notre épanouissement collectif. Sans l’éducation et la santé, point de développement.
Des études ont démontré la corrélation entre l’amélioration des conditions de santé et la croissance. L’expérience des pays émergents montre que l’amélioration des conditions de santé a joué un rôle décisif au démarrage de leur processus de développement aux plans macroéconomique et microéconomique.
Nos hôpitaux ont besoin de plus de ressources venant des pouvoirs publics et une meilleure répartition de celles-ci pour faire face à leurs charges de manière optimale. La CMU et le Plan SESAME doivent être renforcés et élargis. Le Secteur privé est également appelé à jouer sa partition, notamment en matière de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
De même, les ONG, les partenaires au développement et les ménages sont particulièrement interpellés par une nouvelle culture de l’épargne et de l’investissement dans ce domaine. L’ère est révolue où la santé et l’éducation étaient considérées comme des secteurs non productifs. La bonne santé de l’économie est fonction de l’économie de la santé (ressources qui lui sont allouées).
Fondamentalement, la santé n’est pas que curative, elle est aussi préventive surtout pour nos pays en développement. Ne dit-on pas qu’il vaut mieux prévenir que guérir ? Nous devons accorder plus d’attention et de considération à la recherche et la formation médicales (endogènes et ouvertes) pour prévenir les nombreuses maladies qui nous menacent et nous affectent (Sida, cancer, paludisme, cardiopathie, diabète, AVC, insuffisance rénale, etc.).
Aujourd’hui, des efforts accrus doivent être consacrés surtout à l’alimentation, la pratique sportive, l’environnement, la lutte contre la pollution, le tabac, l’alcool, la drogue afin que notre santé collective sorte des urgences et ne finisse pas dans l’agonie ou le coma.
Ballé Preira
souye76@gmail.com