Sommet Afrique-France de Montpellier : questions sur un projet de « relégitimation » de la politique africaine de Paris

Dimanche 10 Octobre 2021

Ouestafnews – Dans un contexte où son « autorité » et sa « puissance » ne font plus peur, la France veut entamer une refondation de ses rapports avec l’Afrique. Le temps d’un sommet, elle a laissé sur la touche les partenaires traditionnels que sont les chefs d’Etat pour dialoguer avec des sociétés civiles capables de lui prolonger une influence en déclin.

Le Sommet Afrique-France tenu le 8 octobre à Montpellier (700 kms de Paris) a dérogé à une règle classique : supprimer le traditionnel face-à-face entre le président de la République française et ses homologues africains, parsemé de discours et de huis-clos, sanctionné par un communiqué final. Contraints par plusieurs événements survenus ces deux dernières années – amplification de la contestation anti-française sur le continent, Covid-19, entre autres – l’Elysée et le Quai d’Orsay ont imaginé un format nouveau.

Pendant trois tours d’horloge, Emmanuel Macron a dû écouter les invités et répondre aux « revendications » d’une dizaine de contradicteurs d’Afrique et de la Diaspora censés lui répercuter les préoccupations majeures d’un continent exaspéré par les comportements d’une ex-puissance coloniale qui ne veut pas voir « son empire mourir ». L’un des objectifs de la rencontre est décliné ainsi par les autorités françaises : « envisager ensemble les perspectives et les premières actions concrètes à mener pour le renouveau de la relation entre notre pays et le continent africain. » Un espoir de refonder des rapports tumultueux, mais le schéma ne convainc pas tout le monde.

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Un « rebranding » qui passe mal

« Non, avec (ce sommet), il ne s’agit pas de refondation mais de rebranding.  Pour ma part, Montpellier rassemble un «espace public françafricain», donc c’est un faux espace public. Les dirigeants africains alliés de la France sont peut-être devenus une sorte de face honteuse qu’il faut rendre invisible avec de nouveaux artifices », corrige Ndongo Samba Sylla, économiste sénégalais, chercheur à la Fondation Rosa Luxembourg, auteur de plusieurs ouvrages sur les questions monétaires ouest-africaines.

Pour sa part, Samir Bouzidi, fondateur de la startup solidaire « Impact Diaspora », juge illusoire tout « vrai nouveau départ entre la France et l’Afrique (…) sans la reconnaissance des blocages structurels » que sont : « le passif mémoriel transgénérationnel », l’état d’esprit des penseurs et exécutants d’une stratégie africaine de la France « trop souvent verticale, dogmatique et déconnectée comme le prouve leur incapacité à renouveler leurs réseaux », et « la stigmatisation en France de l’Afrique et des musulmans » qui est perçue comme une « marque d’hostilité » à l’endroit de l’Afrique et des croyants. 
Entre les « ingérences » des réseaux officiels ou occultes de Paris dans les processus électoraux ouest-africains, le démantèlement souhaité des infrastructures militaires françaises, le sujet brûlant du franc CFA, la coopération économique et financière, etc., les débats entre Macron et ses invités africains avaient les allures d’un pugilat dont les protagonistes connaissaient déjà le verdict. Mais pour certains intellectuels, tout aggiornamento dans la relation franco-africaine passe par la fin d’un certain jeu de dupes.

« S’émanciper des névroses coloniales »

« L’élite politique française est prisonnière de vieux schémas de développement cruellement inopérants. Elle gagnerait pourtant à s’émanciper de ses névroses coloniales et à comprendre qu’une Afrique libre et performante est son véritable intérêt – et cela indépendamment des origines des investisseurs qui y financeraient la formation du capital humain, des infrastructures et d’institutions efficaces », suggère l’économiste camerounais Célestin Monga, enseignant à Harvard School et professeur associé à Paris I-Panthéon Sorbonne, dans une tribune parue dans le journal Le Monde du 9 octobre.
Dans une des annonces sorties de la hotte macronienne de Montpellier, figure la création d’un « Fonds d’innovation pour la démocratie en Afrique » d’un montant de 30 millions d’euros (environ 19,6 milliards de francs CFA) sur trois ans. Selon le Président français, « la France n’en fixera pas les bénéficiaires : cette tâche reviendra à un conseil d’orientation composé de personnalités africaines et de la diaspora. » Si les participants ont applaudi l’idée, d’autres Africains comme le politologue Gilles Yabi conseille une autre démarche.

« Dans les sociétés africaines, on doit penser la démocratie en fonction des types de société que l’on veut construire pour demain. Et cela, ce n’est pas simplement une affaire de millions d’euros : c’est une question d’idée, de choix de société. Cela requiert, d’abord, une discussion, une réflexion articulée au niveau des pays africains eux-mêmes », estime le fondateur du think-tank ouest-africain Wathi dans un entretien avec la chaîne TV5 Monde.

« Devenir maître de son destin »

La question monétaire est aujourd’hui l’un des points d’attaque des mouvements progressistes africains contre la volonté de Paris de perpétuer la zone CFA comme espace intouchable de son influence économique en Afrique de l’Ouest. Pour Ndongo Samba Sylla, le statu quo français voulu par la France et soutenu par ses alliés africains est un révélateur.
« Je ne pense pas que le gouvernement français ait invité des mouvements comme le Frapp qui a développé la plateforme « France Dégage », un slogan né d’une revendication simple : que la France sorte totalement des affaires monétaires des pays CFA, qu’il soit mis fin à la tutelle française. C’est une revendication qui remonte aux années 1960. »

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Le Front révolutionnaire anti-impérialiste panafricain et populaire (Frapp France Dégage) est un mouvement de lutte pour une refondation globale des rapports, notamment économiques, entre la France et l’Afrique. Le combat de Frapp est particulièrement orienté contre le franc CFA, une monnaie commune à huit pays ouest-africains dont la nature et le mode de fonctionnement sont considérés comme un handicap majeur à tout projet de développement. D’où la revendication d’une « indépendance économique et financière totale » de ces pays à l’égard de la France.

Cette posture de « Frapp France Dégage » est en phase avec la tribune intitulée « Montpellier, la Françafrique à bout de souffle » de l’essayiste Boubacar Boris Diop et publiée quelques jours avant le Sommet Afrique-France. « Un rendez-vous tel que celui de Montpellier n’aura de sens que le jour où nos pays seront maîtres de leur destin. »
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