TANOR DIENG : Le Timonier d’un parti en crise d’orientation

Lundi 7 Novembre 2016

Des militants désabusés, désorientés, tiraillés entre des lignes politiques qui semblent irréconciliables en l’état actuel des contradictions internes. Des responsables qui semblent se suffire de leur maîtrise de l’appareil du parti et qui, à l’occasion, ne se privent pas d’étaler la légitimité et l’efficacité de leur gestion rassurer leurs ouailles et alliés. Un pouvoir, celui du président de la République Macky Sall, qui a besoin de gages et de certitudes quant aux capacités d’Ousmane Tanor Dieng à imprimer ordre et autorité à la marche du parti tout en lui conservant la base politique et affective qui lui a permis de survivre après la défaite cuisante de 2000.
 
Le Parti socialiste est aujourd’hui plus que jamais à un moment compliqué de son histoire – pour dire le moins. La bataille qui se joue à travers les médias par militants et responsables interposés des deux côtés de la ligne de démarcation peut être considérée comme un rendu assez fidèle des joutes internes. Il ne fait plus de doute que Khalifa Sall se pose en exact contraire de Tanor Dieng. La discordance entre les deux hommes ne tient pas seulement de la posture officielle d’engagement tous azimuts du parti aux côtés du président de la République. Elle est à la fois historique et actuelle, avec des implications conceptuelles du pouvoir totalement opposées.
 
Lecture matérialiste de la situation
La plupart des socialistes savent gré à Ousmane Tanor Dieng d’avoir sauvé le Ps de deux scénarios mortels dans tous les cas : une disparition à petit feu après la cinglante défaite d’Abdou Diouf face à Abdoulaye Wade, ou la mutation du parti en une sorte de mouvement résiduel dont les franges significatives, corrompues ou intègres, étaient promises à la dissolution dans un appareil politique de pouvoir en vogue ou en construction. Il ne s’est rien passé de l’apocalypse entrevue. C’est cette performance indiscutable qui a servi à assurer une légitimité durable à celui qu’on a assimilé à l’ombre de Diouf. Il en jouit à sa manière, après avoir pris part à la chute du Pds d’Abdoulaye Wade.
 
Pour Tanor Dieng et sa garde rapprochée, la lecture naturellement politique et matérialiste qu’il fallait tirer de l’arrivée au pouvoir de Macky Sall (avec son appui) ne devait souffrir d’aucune ambiguïté, et ce pour tous les socialistes : on ne sort pas d’une traversée du désert de douze ans un dimanche de victoire pour être encore dans…l’opposition le lundi. L’exercice du pouvoir, même parcellaire ou périphérique, est substantiellement préféré à une nouvelle galère à durée indéterminée.
 
La base militante actuelle du Ps ne semble d’ailleurs pas insensible à ce dessein qui dure depuis bientôt cinq ans – à moins qu’elle soit tétanisée à outrance. Elle en tire certainement profit à travers les dividendes de natures diverses qu’elle est en mesure de capteren fréquentant légitimement les lieux de pouvoir: gouvernement, Assemblée nationale, administration d’Etat, collectivités locales, entreprises publiques ou parapubliques, etc. (voir Nouvel Hebdo n°26). A l’interne et à ce moment-ci des rapports de forces conflictuels, le Ps est condamné à rester cloîtré dans l’immobilisme aussi longtemps que le verrouillage radical des instances exécutives opéré par Tanor Dieng et ses amis ne pourra être pulvérisé par la mouvance Khalifa Sall.
 
Neutralisé pour un bon bout de temps
C’est ce parti en crise ouverte qui a décidé d’aller aux législatives de juin 2017 avec la coalition Benno bokk yaakaar et renouveler ainsi, en cas de victoire, son allégeance à Macky Sall. Sa direction pro-pouvoir est allée tellement loin dans le compagnonnage avec le président de la République qu’il n’est pas évident qu’elle dispose aujourd’hui de ressorts crédibles et opérationnels pour faire machine arrière. A ce rythme, il est même plus que probable que, sauf circonstances exceptionnelles de grande ampleur, le Parti socialiste ne pourra pas opposer au chef de l’Etat un candidat à la présidentielle de 2019. Toute la crise, essentiellement d’orientation, qui secoue le plus vieux parti politique sénégalais est dans cet engagement à la hussarde d’Ousmane Tanor Dieng.
 
Ce dernier, venu au parti notamment par le truchement de ses compétences diplomatiques, n’a presque rien de commun avec son principal opposant non déclaré. A l’instar par exemple d’un Dominique De Villepin jamais élu et toujours nommé jusqu’à son éloignement de la politique partisane, Tanor Dieng a longtemps dédaigné les fonctions électivespour être à l’ombre, en posture d’influence et, souvent, d’irresponsabilité politique. Ses échecs aux présidentielles de 2007 et 2012 lui ont inculqué réalisme et repli sur le bastion politique qu’est le Ps, dans l’attente d’un coup du sort hypothétique qui le réinstallerait dans ses ambitions suprêmes. Il n’a plus son destin entre ses mains…
 
D’alliances en aliénation
Khalifa Sall,lui, a encore une carte à jouer. Figure historique du Ps, il se voudrait un anti-Tanor conceptuel de la politique même s’il a longtemps été un de ces apparatchiks dont la seule légitimité provenait d’une proximité opportunément entretenue avec les décideurs de l’ex parti-Etat. Patron des jeunesses socialistes, secrétaire aux relations internationales, chargé de la vie politique, député, ministre et maire de la capitale depuis 2009, Sall s’est placé dans une posture de recours ultime pour remettre dans le sens de l’histoire un parti que ses alliances «contre-nature» ont jeté dans l’aliénation. Pour lui et ses partisans, le Ps n’a de chance de revenir un jour au pouvoir et de cesser d’être un parti de contribution périphérique qu’à la seule condition de se débarrasser de son patron actuel et de s’inscrire dans une opposition visible au régime.
Ousmane Tanor Dieng, remarque un vieux militant socialiste, aurait dû aider le Ps à grandir mieux et en sécurité après lui avoir évité les griffes mortelles d’Abdoulaye Wade. «Aider équivalait à laisser la place à une équipe dirigeante renouvelée, et sûrement pas à rester aux manettes après avoir perdu deux élections présidentielles capitales.» (Momar DIENG)

 
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