TARIQ RAMADAN : Monstre ou victime ? (par Cheikh Mbacké Diop)

Vendredi 23 Février 2018

Que d’hommes célèbres soient accusés, à tort ou à raison, de mœurs légères est loin d’être un fait rare. L’histoire récente peut nous fournir de cas de célébrités qui, au summum de leur art, se voient accuser de telles inconduites et ainsi tomber de leur piédestal. L’ancien président américain Bill Clinton tout comme l’ex-directeur du FMI Dominique Strauss Khan en sont des cas très connus. Pour  Clinton, l’affaire n’a pas vraiment eu d’incidence sur sa vie politique, car il avait déjà entamé son deuxième et dernier mandat. Alors que pour Khan elle a coûté son poste de directeur du FMI et, certainement, une carrière politique dans son pays. Tous les deux sont sortis de leurs ennuis avec une image vilainement écornée.
 
L’homme dont il est question ici n’est pas un politique,  mais  un intellectuel de premier plan mondialement connu et reconnu. Mais avant d’aller plus loin, entendons-nous bien. Mon propos ici n’est pas de juger encore moins donner un verdict. Mais simplement de livrer mon sentiment profond par rapport à un homme dont j’ai suivi la pensée et l’action pendant plusieurs années, et qui se trouve être aujourd’hui entre les mains de la justice française.
 
En fait, Tariq Ramadan, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est tout un symbole. Il représente pour beaucoup de musulmans le visage moderne de l’islam tel qu’ils aimeraient le voir: une religion suffisamment forte et éclairée pour faire face aux valeurs matérialistes de l’Occident ; suffisamment ancrée dans la pure tradition pour ne pas la renier, mais également ouverte aux vents de la modernité.
 
Tariq Ramadan s’est révélé tout au long de sa vie un fervent militant de la cause musulmane. Doté d’un charisme indéniable, il s’est construit à travers les média la réputation d’un polémiste redoutable, un fin dialecticien rompu aux méthodes du débat contradictoire. Sur les plateaux de télé, il donne l’image d’un boxeur sur un ring, un Muhammad Ali dirait-on, prêt à en donner et en recevoir. Ceux qui l’ont affronté ont dû s’en souvenir pendant très longtemps. Parce que Tariq Ramadan est un maître de la rhétorique. Dans ses pugilats intellectuels il sait placer les arguments imparables et les attaques foudroyantes, le tout accompagné de mimiques qui désarçonnent ses interlocuteurs.
 
A travers lui, les musulmans européens, sujets à l’exclusion sociale et la stigmatisation religieuse et culturelle, ont trouvé un héros qui a l’audace, l’éloquence, le background, et surtout la science de porter leur voix et mener leur combat. Car être musulman en Occident, c’est être confronté à des préjugés et représentations sur l’islam aussi tenaces que le terrorisme, l’asservissement de la femme, la lapidation, etc. Tariq Ramadan s’est révélé être un destructeur de clichés, un intellectuel engagé et un militant dévoué à la cause musulmane.
 
Il serait, selon la presse française, un gourou qui, par son aura et son éloquence, a réussi à se créer un réseau d’inconditionnels pour promouvoir un islam politique. Mais l’homme est loin de se limiter à une simple image médiatique. C’est un penseur de haute facture, qui a produit une bibliographie riche et puissante qui est d’un apport considérable pour le renouveau de la pensée islamique.
Tel est l’homme qu’on s’apprête à mener à la guillotine !
 
Il y a dans cette affaire tragi-comique de quoi dérouter tout esprit lucide. L’image de Tariq Ramadan qui apparait de ces accusations est tout simplement effarante, et mériterait qu’on en rigole si la chose n’était pas si grave. Monsieur serait un tartuffe qui, en public, prêche la chasteté et la bonne conduite, mais en privé, serait un prédateur sexuel, une brute qui use de la violence barbare sur des femmes déjà très vulnérables (l’une de ses présumées victimes est, dit-on, une femme portant un lourd handicap !!!). Une image qui présente un contraste sidérant avec la finesse intellectuelle et l’élégance morale et physique de Tariq Ramadan.
 
Comment Tariq Ramadan, suspecté d’être un agent de l’islamisme en Occident et, de ce fait, objet d’une surveillance étroite de la part des services de renseignement, tout comme d’adversaires de tous bords se serait montré si grossier et naïf pour prêter le flanc de manière aussi flagrante ? Au nom de quoi ce penseur réformiste se serait abaissé à sacrifier l’œuvre militante et intellectuelle de toute une vie sur l’autel de désirs bassement primaires ? C’est difficile à concevoir !
 
Une chose est certaine. Tariq Ramadan est sans aucun doute une figure emblématique de l’islam contemporain. Son œuvre est là pour témoigner d’un engagement sans faille au service des grandes questions de l’heure qui agitent le l’islam et le monde musulman. Le disqualifier c’est éteindre une grande voix musulmane, un interlocuteur valeureux et surtout rendre orphelins des milliers de femmes et d’hommes en Occident à qui son discours a rendu la fierté d’appartenir à l’islam. Ce qui ne profite à personne. Sauf aux islamophobes.
 
CHEIKH MBACE DIOP
Enseignant/Ecrivain
dcheikhmbacke@yahoo.fr
 
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