Togo : l’urgence de mettre en œuvre les réformes de 2006

Samedi 16 Septembre 2017

Après 50 ans de pouvoir des Gnassingbé, le Togo reste le seul pays en Afrique de l’Ouest à n'avoir pas encore connu d’alternance démocratique. En 2015, Faure Gnassingbé et l’ancien président de la Gambie, Yahya Jammeh, avaient bloqué l’adoption de la proposition de la Cedeao limitant le nombre des mandats présidentiels dans la région. Jammeh parti, le président togolais, qui est au pouvoir depuis 12 ans, fait maintenant cavalier seul.


Par Jeannine Ella Abatan et Paulin Maurice Toupane (*)
 
Plusieurs semaines après une première manifestation le 19 août qui a fait deux morts, les partis d’opposition du Togo maintiennent la pression sur le gouvernement. Les marches de protestations, organisées dans plusieurs villes du Togo et dans la diaspora, en août et en septembre, ont conduit à l’adoption par les autorités d’un avant projet de révision constitutionnelle, le 5 septembre. Ce document comporte un certain nombre de réformes dont les plus emblématiques concernent la limitation des mandats parlementaire et présidentiel ainsi que la modification du mode du scrutin présidentiel en un vote à deux tours.
 
 
Le débat sur la mise en œuvre de ces réformes remonte à l’Accord politique global (APG) de 2006. Signé sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), après les violences post-électorales survenues à l’issue de la victoire de Faure Gnassingbé aux présidentielles de 2005, cet accord avait permis d’apaiser les tensions, notamment parce qu’il prévoyait la mise en œuvre de réformes dans l’esprit d’un retour à la Constitution de 1992.
 
Cette Constitution avait été modifiée en 2002 pour permettre au père de l’actuel président, Eyadéma Gnassingbé, frappé par la limitation de mandat, de se représenter. Il sera remplacé à la tête de l’État, après 38 ans de pouvoir, par son fils. La révision avait supprimé la limitation de mandat, introduit le scrutin à un tour et changé le mode de nomination des membres de la Cour constitutionnelle en conférant le pouvoir au président de la République d’en nommer le président. Onze ans après la signature de l’APG, la mise en œuvre des réformes se fait toujours attendre.
 
Le gouvernement, sous la pression des acteurs politiques et de la société civile, se dit ouvert à l’application des réformes. Toutefois, le manque de volonté politique du pouvoir en place ainsi que les divergences avec l’opposition (et en son sein) sur les modalités de leur application ont empêché leur mise en œuvre effective. Ce blocage a été à l’origine des crises politiques récurrentes que le Togo connaît depuis 2006. Deux obstacles principaux persistent : la rétroactivité de la limitation du mandat présidentiel et les réformes institutionnelles qui sont principalement liées à la Cour constitutionnelle.
 
La Constitution de 2002 stipule en effet que « le président de la République est élu au suffrage universel direct et secret pour un mandat de cinq ans. Il est rééligible ». Alors qu’en 2015, certains partis de l’opposition étaient prêts à accepter une dernière candidature du chef de l’État, cette option, qui traduirait une forme de compromis politique, est aujourd'hui exclue par une partie de l’opposition.
 
Pour l’opposition, la limitation du mandat ne suffit plus : elle doit être rétroactive et prendre en compte les trois mandats déjà effectués par le président afin de l’écarter de la course à la présidentielle en 2020. Au sein même du parti du président, l’Union pour la République (UNIR), la question de la limitation fait aussi débat. Si le principe semble être accepté, la question de sa rétroactivité toutefois ne l’est pas.
 
Le deuxième point susceptible de bloquer les discussions est lié aux réformes relatives à la Cour constitutionnelle. Les partis de l’opposition continuent de dénoncer le manque de neutralité de cette institution, au regard de sa composition et du mode de sélection de ses membres. La participation du président de la Cour constitutionnelle – nommé par le président de la République – à la marche du parti au pouvoir le 29 août, a renforcé l’opposition dans sa position.
Un retour à la Constitution de 1992, selon l’opposition, donnerait plus d'indépendance à la Cour constitutionnelle, en particulier dans le cadre du processus électoral. Cette Constitution élargit le pouvoir de nomination des juges de la Cour à la magistrature, au barreau et aux universités, et prévoit l’élection du président de la Cour par ses pairs.
 
L’opposition, par ailleurs, n’a pas oublié le rejet, le 30 juin 2014, par l’Assemblée nationale, du projet de loi portant sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles, lui aussi proposé par le gouvernement. Cette mouture suggérait des modifications dont certaines sont actuellement en discussion. Ce rejet rappelle qu’aucune réforme n’est envisageable sans la volonté politique du parti au pouvoir qui dispose d’une majorité confortable au parlement avec 62 sièges sur les 91.
 
Après 50 ans de pouvoir des Gnassingbé, le Togo reste le seul pays en Afrique de l’Ouest à n'avoir pas encore connu d’alternance démocratique. En 2015, Faure Gnassingbé et l’ancien président de la Gambie, Yahya Jammeh, avaient bloqué l’adoption de la proposition de la CEDEAO  limitant le nombre des mandats présidentiels dans la région. Avec le départ de Yahya Jammeh en janvier dernier, le président togolais, qui est au pouvoir depuis 12 ans, fait maintenant cavalier seul.
 
En tant que président en exercice de la CEDEAO, Faure Gnassingbé a une double responsabilité. Il lui incombe d'une part, sur le plan national, d’assurer la mise en œuvre effective des réformes constitutionnelles et institutionnelles tant attendues et, d’autre part, sur le plan régional, de suivre le processus de consolidation démocratique et de stabilité politique en cours dans la région, au risque d’ouvrir la voie à une vague de violence dans une région déjà en proie à l'insécurité.
 
(*) Chercheurs, Institut d’études de sécurité, ISS,  Dakar. Article disponible sur issafrica.org
 
 
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