Touba : L’insécurité atteint des proportions jamais égalées

Mardi 14 Février 2017


La recrudescence de l'insécurité, de la délinquance et du grand banditisme dans la capitale du Mouridisme préoccupe au plus haut niveau. Meurtres, agressions, braquages et vols à mains armées se sont multipliés ces dernières années et semaines, au grand dam des populations. La faute à une expansion trop rapide et non contrôlée de cet ancien village devenu métropole, aux moyens limités en forces de sécurité, au grand dam du silence des populations confinées à un refus de collaborer avec les enquêteurs de la police et de la gendarmerie. Les autorités locales annoncent beaucoup de mesures mais leur efficacité reste à évaluer.
 
 
Depuis plusieurs années, la ville sainte de Touba, pôle économique très étendue, est constamment en expansion. Mais les forces de l’ordre qui y sont présentes sont insuffisantes et manquent cruellement de moyens logistiques et matériels pour assurer une surveillance large et efficace de la circonscription. Une difficulté aggravée par le fait que les populations résignées n’ont pas le réflexe du renseignement. Cependant, les autorités locales ont désormais décidé d’accorder une priorité soutenue à la lutte contre ce fléau.
 
A Touba et à Mbacké, les braquages à bord de véhicule, notamment 4x4, et autres types d’agression sont devenus monnaie courante. Au registre des faits divers les plus fantastiques : des banques cambriolées (on se rappelle toujours le cambriolage de la Cbao de Touba, en 2014), des dizaines de stations d’essence et magasins braqués, plusieurs cantines attaquées, des commerçants dépossédés et dépouillés de leur biens, des centaines de millions Cfa emportés (c’est le cas du négociant en arachide, Balla Gaye, dont ses 29 millions ont été emportés de son domicile, ainsi que le Libanais de Mbacké qui a perdu 80 millions Cfa lors d’un cambriolage par «le gang de la fameuse 4x4»).
 
Un tableau impressionnant d’agressions
Tous ces forfaits sont perpétrés entre 2014 et 2016. Toutefois, la tendance se poursuit et semble s’accentuer en 2017. Le 30 janvier dernier, les éléments de la brigade spéciale de gendarmerie de Touba ont mis hors d’état de nuire un gang de malfaiteurs qui semait la terreur et le désarroi sur l’axe Touba-Mbacké et dans les villages environnants.
 
Il s’agit de 4 hommes armés de fusils de chasse, de gourdins, de couteaux, qui venaient d’opérer une attaque d'une extrême violence en faisant irruption dans une maison d'un grand commerçant à Mbacké. Ces bandits qui habitent Touba, plus précisément à Ndindy, ont roué de coups leur victime en lui cassant la jambe. L’épouse de ce dernier n’a même pas été épargnée : elle a passé un sale quart d’heure et s’est retrouvée avec des blessures graves.
 
Ensuite la même bande a pris d'assaut une maison close à Mbacké, sur la route de Kael, où ils ont violé des prostituées. Les malfrats ont d’abord muselé puis blessé le gardien des lieux, avant de déposséder les filles de leurs recettes de 600,000 Cfa. Des éléments de la gendarmerie qui étaient en patrouille sont tombés nez à nez sur la bande. Après avoir capturé deux des malfrats, ils ont pris en chasse les trois autres qui avaient pris la fuite et ont pu les neutraliser. Les bandits sévissaient en utilisant un véhicule portant une fausse immatriculation. 
 
Auparavant, plus précisément le 24 janvier 2017, un chef de famille venait d’être agressé à mort devant son épouse, à coups de machettes par un trio de malfaiteurs au quartier Dianatoul Nahim. Malgré l’enquête ouverte par la gendarmerie, ces derniers se sont fondus dans la nature. Les bandits s’étaient introduits nuitamment dans un domicile appartenant à un petit-fils de feu Serigne Saliou Mbacké. Ils ont tenu en respect tous les occupants des lieux, avant d’emporter du matériel électronique. Deux jours après ce forfait, le 26 janvier, le gang a fait une décente chez Sidy Dieng, délégué au marché Occase de Touba.
 
La même nuit, la bande a rendu visite à une commerçante à Touba Alieu. La dame a été tabassée et dépouillée de ses biens. A ces forfaits, il faut ajouter le meurtre d’un taximan en début d’année 2016, sur la route de Darou Mouhty, ainsi que les nombreux braquages de voitures et de personnes sur les routes menant à la ville sainte.
 
A côté de ce grand banditisme, prospère également une petite délinquance qui a pour théâtre d’opération les marchés et les quartiers périphériques mal éclairés, terreaux fertiles et niches par excellence des bandits, dont 90% sont constitués de jeunes, la plupart désœuvrés et drogués. Ce n’est pas pour rien que Touba demeure une ville échappatoire, où les grands bandits sont souvent en cavale.
 
Plusieurs mesures pour juguler le fléau…
Les autorités locales ont décidé de prendre désormais en charge l’insécurité dans la ville sainte de Touba. En collaboration avec les forces de l’ordre, ces dernières ont pris la ferme résolution d’aller en croisade contre le grand banditisme et la délinquance dans la capitale du Mouridisme. Ainsi, d’importantes mesures ont été prises pour préserver la quiétude des populations.
 
A en croire le sous-préfet de Ndame, Modou Mbacké Fall, tous les moyens nécessaires seront déployés pour faire face à ce fléau, à travers le renforcement du maillage sécuritaire de la ville, notamment des zones périphériques, repaires par excellence des bandits et des malfaiteurs.
 
Face à cette insécurité récurrente, les autorités ont suggéré, en effet, de mettre en place une Task Force à la sous-préfecture de Ndame, présidée par le sous-préfet et comprenant le maire, les forces de sécurité, quelques délégués de marché et de quartier. «Cette Task Force doit se réunir une fois par mois pour réfléchir sur les réalités de la sécurité publique à Touba», a expliqué le sous-préfet, qui a annoncé d’importantes mesures conservatoires et ponctuelles pour juguler le fléau.
 
Ainsi, selon Modou Mbacké Fall, il est prévu de procéder à une élimination des véhicules taxis clandos irréguliers, communément appelés «Goana». Car, ajoute-t-il, «les délinquants et les malfaiteurs utilisent ces véhicules, étrangers sans matricule, ou disposant d’une plaque d’immatriculation d’une autre région pour commettre leur forfait et se fondre dans la nature».
 
Il a également indiqué qu’il sera procédé au nettoyage drastique du réseau du marché Occase qui est également une niche d’insécurité. La police est même très avancée sur ce dossier. Sans oublier l’élimination de la circulation des «Jakarta» dans la ville sainte. Mais également utiliser utilement les constructions de Gare bou Mag, des zones périphériques, en les faisant occuper par des gens vraiment sûrs et réguliers, pour que les constructions irrégulières ne soient plus des refuges de bandits.
 
Ensuite, concernant la grande artère de Madyana, il est retenu d’enlever ce qu’on appelle les «Mbaar», où se passent beaucoup de phénomènes. Enfin, des patrouilles de police seront régulièrement organisées à travers la ville. En même temps, il est retenu de monter incessamment des brigades de vigilance dans les quartiers qui vont servir de relais et d’auxiliaires aux forces de sécurité pour l’alerte et pour la prévention des crimes et délits.
 
Dans le même sillage, s’agissant des marchés, à en croire le sous-préfet, il a été retenu d’installer des points focaux, car, selon lui, il existe aujourd’hui 28 marchés quotidiens dans Touba. «Et chaque marché doit avoir un point focal comprenant un certain nombre de personnes qui, en cas de besoin, pourront rapidement alerter les forces de sécurité, mais également prévenir beaucoup de situations», a-t-il informé. Il est aussi prévu de «revoir le système de gardiennage, en relation bien sûr avec les délégués de marché, mais également avec une société de gardiennage, en les plaçant sous l’autorité des forces de sécurité, notamment la Police et la Gendarmerie, pour qu’au moins ces gardiens puissent se sentir surveillés et travailler correctement avec les forces de l’ordre».
 
Entre autres mesures destinées à contrecarrer l’appétit des agresseurs, le chef de l’exécutif local a exhorté les commerçants et autres hommes d’affaires à procéder à des dépôts au niveau des banques. «Il est prévu des opérations de sensibilisation des opérateurs économiques sur l’importance de ne pas garder trop d’argent à la maison et dans les magasins». Pour Modou Mbacké Fall, il est certain que si quelqu’un garde par devers lui des dizaines voire des centaines de millions Cfa chez lui, il s’expose ipso facto au danger et à l’insécurité.
 
A cet égard, l’idée de faire confiance aux établissements bancaires et financiers, au-delà de la sécurité qu’elle procure, peut être un levier dans l’effort de développement économique du pays, tout en permettant de rendre plus fluide la circulation de la monnaie. En plus, elle aide l’Etat à mieux contrôler le mouvement des devises.
 
Enfin, face à ce besoin impérieux de chasser les malfaiteurs de la ville sainte de Touba, Abdou Lahad Kâ a pris de fermes résolutions pour entretenir l’éclairage public. Le maire a en outre promis de poursuivre l’extension de l’électrification pour que les quartiers périphériques mal éclairés le soient moins et que la sécurité y règne en maître.
 
Des goulots d’étranglement
Les responsables de la sécurité de Touba déplorent le manque de moyens roulants et l’insuffisance des effectifs qui favorisent, selon eux, la poussée et la prolifération de l’insécurité dans la cité. Pour le commissaire de police et le commandant de la brigade spéciale de gendarmerie, l’urgence est surtout de développer le plaidoyer pour un maillage sécuritaire complet et diligent de la ville, afin de mieux faire face au fléau de l’insécurité.
 
Pourtant, à en croire le commandant Madiodio Niang, des patrouilles nocturnes sont régulièrement organisées, des systèmes de rotation systématiquement instaurés, ce qui permet un meilleur encadrement de la ville. Ces mesures, selon lui, ont porté leurs fruits certes, mais elles auraient été plus satisfaisantes si des moyens roulants conséquents leur étaient accordés, et surtout si les populations collaboraient sincèrement avec les forces de sécurité.
 
A cet égard, un sous-officier de gendarmerie nous a expliqué qu’au-delà du manque de moyens matériels et logistiques, il existe un déficit criard de collaboration de la part des populations souvent réticentes à fournir des renseignements aux enquêteurs et aux forces de l’ordre lors de leurs interventions. Ce qui, selon lui, ne participe pas à lutter contre l’insécurité.
 
Sur le même registre, un élément des forces de sécurité, qui a requis l’anonymat, a indiqué que la difficulté majeure se situe dans l’étendue de la circonscription à surveiller. A en croire notre interlocuteur, «Touba est une grande agglomération dont l’expansion et la croissance dépassent la norme. Il est donc difficile de couvrir une telle superficie en une nuit avec des moyens réduits, en terme d’effectifs et de logistiques». Et comme solution, il estime urgent de «multiplier les brigades de gendarmerie et les postes de police à travers le territoire communal de Touba et environs, tout en pensant également à augmenter les effectifs et les moyens logistiques». (Abdoulaye FAM)

 
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