Un Nouvel Ordre Africain

Dimanche 11 Décembre 2016

Par Adama Gaye (*)
Rebelote. En 1914, le banal assassinat d’un membre d’une des familles régnantes dans les Balkans précipitait le monde dans une longue période de turbulences ponctuées par deux guerres dites mondiales suivies d’une troisième, froide celle-là, et d’une ère de modération consensuelle autour du libéralisme politico-économique.
 
100 ans plus tard, revoici que, agité par des secousses inattendues, le monde se trouve contraint, illico presto, de se définir un ordre structuré pour ne pas sombrer dans le désordre qui pourrait le rejeter dans ses démons antérieurs.
Surprise : l’éclaircie pourrait venir de l’Afrique ! Nul autre continent n’a en effet autant qu’elle des cartes majeures pour, à la fois, forger son propre ordre et se positionner en pivot de celui planétaire en gestation.
 
Avec d’énormes potentialités qui mendient une prise en charge endogène par ses décideurs publics, privés et ses peuples, elle a de quoi se distinguer des inquiétantes, parfois déroutantes nouvelles que le monde vit en mode accéléré depuis quelques semaines.
Citons-en quelques-unes : tueries en Syrie ; flots de réfugiés moyen-orientaux et africains vers l’Europe ; élection de l’imprévisible Trump ; menace d’une faillite de la plus grande banque allemande ; délitement des processus d’intégration économique ; réveil des autoritarismes en Chine et en Russie ; retrait de dinosaures politiques: les Clinton, Sarkozy, Juppé, Hollande, ou encore, plus près de nous, l’Angolais Dos Santos, sans oublier la mort de Castro...
 
’La scène mondiale est dans un chaos’’, résume Matteo Renzi, (futur ex premier ministre Italien), en constatant que son pays est dans la tourmente tandis que l’Autriche, inspirée par la Grande Bretagne, est, elle aussi, tentée par la sortie de l’Union Européenne.
Tous les projets qui structuraient l’ordre mondial de l’après-guerre froide s’effondrent : le bilatéralisme revient en force, les barrières douanières redressent la tête, les instances multilatérales sont contestées, parfois désargentées.
 
L’Europe, vieillissante, est en déclin ; l’Amérique retrouve ses nauséabonds réflexes racistes avec un Président entoure de…suprémacistes blancs ; l’Asie vit le passé de l’Europe avec les risques de conflagrations en son sein entre des rivaux dépourvus de ressources naturelles. L’Amérique latine reste l’élève passable qu’elle est depuis qu’il y a 150 ans elle s’est laissée distancée. Et le Moyen-Orient n’en finit pas de dérouler ses éternels conflits.
 
Reste dans ce contexte maussade l’embellie d’une Afrique que ses malheurs passagers ne doivent pas occulter (...) Se risquer à préconiser que ce siècle peut être africain, comme je le fais dans mon nouveau livre (Demain, la  nouvelle Afrique, paru aux Editions L’Harmattan), est un pari audacieux mais légitime.
 
Jamais deux sans trois, dit le proverbe : après la victoire de Trump et la défaite de Jammeh (ndlr: ce texte a été écrit avant le revirement de l'homme fort de la Gambie), je suis convaincu que la prochaine frontière du développement est africaine. Découvertes de pétrole et gaz, deux tiers des ressources minières de la planète, terre de prédilection des investissements extérieurs en quête de paradis profitables, jeunesse abondante et branchée sur les meilleures pratiques mondiales du fait de l’internet (mais aussi connectée aux forces interlopes extrémistes, celles des desperados), et peuples rétifs aux excès des dirigeants qu’ils tiennent à l’œil !
 
Transformer l’essai commence certes par une amélioration de la gouvernance des Etats, piliers de tout projet continental, mais il ne peut se consolider sans l’élection d’un nouveau President de la Commission de l’Union africaine capable d’impulser la dynamique vertueuse. Sa mission sera d’unir le continent, de stimuler ses forces, de minimiser ses faiblesses, d’influencer en le démocratisant le mode de formulation et d’application d’un agenda continental, en plus d’être la personne qui sera le visage de l’Afrique et le point de contact vis-à-vis de partenaires extérieurs pour leur imposer une intelligente et mutuellement gagnante relation.
 
C’est dire que le QUI est ici aussi important que le QUOI. Cinq candidats sont en lice, pour succéder à la Sud-africaine Nkosazana Dlamini Zuma : la Botswanaise Pelonomi-Venson-Moitoi, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, l’Équato-guinéen Mba Mokuy, le Sénégalais Abdoulaye Bathily et la Kenyane, Amina Mohamed.
 
Après quatre Ouest-africains à la tête de l’instance continentale (Diallo-Telli, Ide Oumarou, Amara Essy, Alpha Konaré), trois d’Afrique centrale (Nzo Ekangaki, Eteki Mboumoua, Jean Ping), il est évident que les deux régions d’Afrique de l’Ouest et du Centre doivent comprendre qu’a trop vouloir tout prendre, elles font le jeu de la division du continent.
 
Savoir s’effacer est aussi un acte de leadership diplomatique pour faciliter la mise en œuvre d’un ordre africain dont la crédibilité passera aussi par une plus grande inclusion de l’autre moitié des Africains dans ce processus. En un mot, une dame, Amina ou Pelonomi, devrait être élue à la tête de l’Union africaine en janvier 2017. Ce ne serait que justice : en soixante ans d’intégration africaine, ce choix équitable n’en serait que le deuxième ! 
(*) Journaliste et consultant
 
 
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