« Un coude sur les dossiers compromettants des membres du clan, un autre pour envoyer violemment les adversaires politiques au tapis »*. (Mody Niang)

Vendredi 1 Décembre 2023

On sait d’un adage walaf que «  ku aj, buggul ku séenu kaw ». En d’autres termes, le larron qui a caché son butin dans le feuillage d’un arbre craint qu’on lève la tête. Le brave Ousmane Sonko a osé se livrer à cet exercice pour y voir plus clair et nous éclairer la lanterne. Mal lui en a pris : le décret de révocation lui est tombé dessus pour lui clouer le bec, lui et tous les lanceurs d’alertes potentiels. Le message du fameux décret est clair : « Fermez-les, la bouche et les yeux ! Bouchez-vous hermétiquement les oreilles et laissez-nous jouir tranquillement de notre nguur ! »

 

Cette révocation de notre compatriote ne surprend pratiquement personne. Le régime marron avait déjà annoncé la couleur. Le Président de la République en particulier ne supporte pas les critiques. Il ne supporte aucune critique et veut nous imposer ses choix. On se souvient que, à l’occasion d’une cérémonie organisée pas sa tonitruante majorité au Grand Théâtre, le jeudi 3 mars 2016, il fit cette déclaration surprenante : « Que ça plaise ou non, l’opposition doit subir ma politique ! » Pour grave qu’elle fût, cette déclaration n’avait pourtant pas suffisamment retenu notre attention. C’est peut-être parce qu’il nous avait déjà habitués à de telles déclarations péremptoires. On se rappelle ainsi que, face aux critiques relatives à sa volonté exprimée alors d’envoyer des troupes sénégalaises en Arabie saoudite (peut-être au Yémen), il avait sèchement répondu : « C’est moi qui décide ! » Avec le même ton, il a toujours répondu aux critiques sur ses nominations (dont certaines laissent carrément coi) : « C’est moi qui nomme ». On l’entendra également plusieurs fois « siffler la fin de la récréation ».
 

C’est donc lui qui décide, nomme, dégomme. Et il a dégommé sans état d’âme Ousmane Sonko. Si aucune résistance ne lui est opposée, il va continuer allègrement de taper sur l’opposition et sur toutes autres personnes qui osent fouiner dans sa gouvernance. Si la révocation de notre brave compatriote passe comme lette à la poste, nous ne connaîtrons plus de répit : il va frapper, frapper, jusqu’à l’atteinte de son objectif final : le calme plat. 

 

On lui prête d’ailleurs la déclaration selon laquelle, c’est avec la dictature qu’on gouverne les Sénégalais. S’est-il laissé influencer par ses deux « honorables » députés dont l’un appelle à la radiation tous azimuts des lanceurs d’alertes et l’autre, le très compétent président du Parlement de la CEDEAO (Moustapha Cissé Lo), à nous gouverner comme le sont nos voisins gambiens ? Nous devons en tout cas le prendre très au sérieux et nous préparer à lui faire face. Sa réélection  n’est pas, à ses yeux, négociable. Il va tout mettre en œuvre pour y arriver. Les solutions sont d’ailleurs déjà toutes trouvées : massification du parti notamment en recourant à la détestable transhumance, achat de consciences, nominations à-tout-va d’hommes et de femmes souvent venus de nulle part à des stations importantes, politique politicienne à outrance se manifestant par des poses de premières pierres, des inaugurations d’infrastructures, accaparement sans état d’âme des médias dits de service public, etc. 

 

Auparavant, il devra gagner haut la main les prochaines élections législatives qui constituent un enjeu de taille et il le sait. Á cet effet, il a déjà mis en ordre de bataille son ministre de l’Intérieur (Abdoulaye Daouda Diallo) qui n’inspire aucune confiance. N’est-ce pas ce ministre partisan et dévoué qui, « sur simple instruction au Directeur général du COUD », y a fait recruter 400 jeunes de Podor (« Décryptage », ‘’Walfadjri’’ du 30 octobre 2014, page 7) ? Le seul fait de savoir qu’il est fortement impliqué dans l’organisation des élections et que, en particulier, le fichier électoral est entre les mains de ses services donne froid au dos. Depuis le Code électoral consensuel de 1992, nos autorités administratives se sont comportées, pour l’essentiel, de façon républicaine lors de l’organisation des différentes élections. Avec ce ministre de l’Intérieur de Macky Sall, on fait état de plus en plus de tentatives de les caporaliser. J’espère que si cette information est avérée, elles ne se laisseront pas embarquer dans une telle aventure. Nous vivons quand même plus d’un demi-siècle d’indépendance, avec deux alternances à la clé, même si celles-ci n’ont pratiquement rien changé de substantiel dans la gouvernance du pays.

 

Ousmane Sonko, pour revenir à lui, a donc servi de cobaye. La main du Président de la République lui est tombée lourdement dessus. Pourtant, pour une première faute – si faute il y a –, il y avait quand même des sanctions intermédiaires. Le Président Sall le sait parfaitement mais il tenait à frapper fort, manière de dire aux lanceurs potentiels d’alertes : « Vous savez maintenant de quel bois je me chauffe ! A bon entendeur ! » Il a donc frappé fort et avec diligence notre jeune et brave compatriote qui a vraiment bon dos. Des hommes et des femmes de sa majorité et surtout de son parti sont tous les ans sévèrement épinglés, pour des fautes gravissimes, par les rapports de nos différents organes de contrôle. Des fautes qui, dans le meilleur des cas, devraient leur coûter leurs stations. Peut-être même la prison.  Voilà plus de quatre ans que Macky Sall est président de la République ; il n’a jamais levé le plus petit doigt sur aucun d’eux, sur aucune d’elles. Ils continuent ainsi tranquillement leurs pillages et descendent pratiquement tous les vendredis sur le terrain, les poches bourrées de fric. C’est, du moins, l’information qui circule avec insistance dans leurs différentes localités.

 

L’initiative de la révocation viendrait, dit-on, du Directeur général des Impôts et Domaines (DGID) et du Ministre de l’Économie, des Finances et du Plan. Ces deux hauts responsables peuvent-ils lever la main droite et jurer devant DIEU et devant les hommes que, tout au long de leurs longues carrières, ils n’ont jamais commis un délit qui pourrait leur coûter au moins la sanction qui frappe aujourd’hui leur jeune collègue? Il y a quelques années, un « papier » circulait dans les couloirs du Bloc fiscal de Dakar et faisait allusion à l’immense fortune du DGID d’alors et actuel Ministre de l’Économie, des Finances et du Plan (Amadou Ba), fortune qui serait bien plus importante que celle accumulée par un ancien « argentier » du Sénégal pendant de longues années. Que vaut ce « papier » ? Je n’en sais rien. En tout cas des observateurs avancent que si la CRÉI avait décidé de fouiner dans ces deux fortunes supposées (et dans d’autres d’ailleurs), il y en a qui en perdraient sûrement le sommeil.

 

Notre jeune et brave compatriote a été donc trop facilement révoqué. Il l’a été moins pour le manquement qu’on lui a reproché, que pour intimider et réduire au silence tout autre fonctionnaire, tout autre Sénégalais qui serait tenté de lui emboîter le pas. Je crois sincèrement que c’est peine perdue. Le candidat Macky Sall avait pris des engagements fermes pour lesquels 65 % des suffrages exprimés le 25 mars 2012 lui ont été accordés. Au contact avec le pouvoir, il les a pour l’essentiel reniés. Sa gouvernance n’est ni transparente, ni sobre, encore moins vertueuse. Aucune des ruptures que nous attendions légitimement de cette gouvernance n’est au rendez-vous. Nous vivons le même système que son prédécesseur avait mis en place, avec pratiquement les mêmes hommes et les mêmes femmes. Nous sommes bien donc fondés à nous faire entendre, à exprimer notre profonde déception, à dénoncer les actes de mal gouvernance caractérisés qui nous crèvent les yeux tous les jours. Cette obligation de réserve ou de discrétion professionnelle qu’on fait planer sur la tête des fonctionnaires comme une épée de Damoclès n’y changera rien. Elle ne les réduira jamais au silence. Ni eux, ni les autres bonnes volontés qui, ensemble, auront les yeux rivés sur la gouvernance des Sall et la dénonceront toujours avec vigueur, tant qu’elle ne se sera pas débarrassée des toxines qui annihilent tous nos espoirs d’un lendemain meilleur. Pour l’exercice de ce droit citoyen non négociable, nous sommes prêts à rejoindre la prison de Kédougou, dont le président-politicien et ses faucons peuvent  durcir d’ores et déjà les conditions d’existence.

Dakar le 1er septembre 2016

Mody Niang

* Tribune déjà parue dans Sud quotidien, Le Quotidien, L’AS du 2 septembre 2016)
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