Un ancien ambassadeur des États-Unis, Victor Manuel Rocha, a été inculpé pour avoir espionné pendant « plus de 40 ans » au profit de Cuba, ennemi historique de Washington, a annoncé lundi le département américain de la Justice.
Cette affaire est « l’une des infiltrations parmi les plus longues, et touchant à des niveaux les plus importants, d’un agent étranger au sein de l’État américain », a fait savoir dans un communiqué le procureur général Merrick Garland.
Selon l’accusation, « pendant plus de 40 ans, M. Rocha a travaillé comme un agent sous couverture de l’État cubain », a déclaré M. Garland à la presse.
L’ancien diplomate « a cherché et obtenu des postes au sein de l’appareil d’État américain qui lui donneraient accès à des informations non publiques et une capacité à influer sur la politique étrangère des États-Unis », a-t-il ajouté dans le communiqué.
Arrêté vendredi à Miami au terme une enquête du FBI impliquant un agent sous couverture, il est attendu pour une première audience lundi devant un tribunal fédéral de Floride.
« Chaleureuses salutations »
Victor Manuel Rocha, 73 ans, a occupé de très hauts postes au sein de la diplomatie américaine : avant de terminer sa carrière au département d’État comme ambassadeur en Bolivie de 2000 à 2002, il a notamment été membre du Conseil de sécurité nationale, organe de la Maison-Blanche, de 1994 à 1995, sous le président Bill Clinton.
Il a aussi été en poste dans de nombreuses ambassades des États-Unis en Amérique latine, dont justement celle de La Havane, selon un document judiciaire.
Né en Colombie et naturalisé américain, M. Rocha a commencé à travailler pour le gouvernement communiste de Cuba dès 1981 au sein de sa principale agence de renseignement, d’après l’accusation.
Selon le département de la Justice, même après avoir quitté le département d’État en 2002 au terme d’une trentaine d’années de service, il a poursuivi son travail d’espionnage pour Cuba. M. Rocha a notamment été conseiller pour le US Southern Command, l’organe qui coordonne les forces armées américaines en Amérique latine, dont Cuba.
M. Rocha a été confondu par un membre de la police fédérale américaine (FBI) qui s’est fait passer, en 2022 et 2023, pour un agent des services cubains de renseignement, selon un document judiciaire.
Après avoir reçu un « message Whatsapp » de l’agent sous couverture, M. Rocha s’est rendu (en évitant soigneusement d’être suivi) à un rendez-vous avec ce faux agent cubain, qui cachait micro et caméra pour recueillir ses confidences.
Il y évoque sa fausse vie d’une « personne de droite », parle de ses « camarades » à Cuba, demande au faux agent de liaison d’envoyer ses « chaleureuses salutations » à la direction du renseignement à La Havane ou parle du « grand sacrifice » que fut pour lui sa vie d’agent secret.
Ce qu’il a fait pendant « près de 40 ans » pour le gouvernement communiste de La Havane fut « énorme », « plus qu’un Grand Chelem », se félicite-t-il lors d’un second rendez-vous à Miami avec cet agent du FBI sous couverture.
L’ancien ambassadeur, vivant à Miami, « faisait toujours référence aux États-Unis comme “ l’ennemi ” et utilisait le mot “ nous ” pour décrire Cuba et lui-même », a souligné le département de la Justice.
D’autres affaires d’espionnages
Vendredi 1er décembre, interrogé libre par le service de sécurité de la diplomatie américaine avant son arrestation, il a menti « de façon répétée » et nié avoir rencontré l’agent du FBI sous couverture, relève encore le document judiciaire.
Le département d’État va « étudier » avec les agences de renseignements les « conséquences de long terme sur la sécurité nationale » de cette affaire, a déclaré lundi son porte-parole Matthew Miller.
De nombreuses affaires d’espionnage ont émaillé les relations entre les deux pays, ennemis depuis la révolution communiste à Cuba en 1959, en pleine guerre froide.
En 2001, Ana Belén Montes, analyste des services de renseignement militaires, avait été arrêtée pour espionnage, reconnaissant avoir recueilli des renseignements pendant près d’une décennie pour Cuba.
La CIA, les services secrets américains, a tenté à de nombreuses reprises d’assassiner des dirigeants cubains, après l’échec du débarquement dans la baie des Cochons en 1961.
La relation entre Washington et l’île communiste, soumise à l’embargo américain depuis 1962, reste tendue. Avant de quitter ses fonctions début 2021, Donald Trump a réinscrit Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme — une inscription toujours en vigueur malgré les échanges relancés par l’administration du président Joe Biden. [AFP]