Une jeunesse sénégalaise piégée.

Jeudi 8 Juin 2023

 
72 heures de folie meurtrière. Un pays à l’arrêt, à feu et à sang.  Un cataclysme de grande ampleur. Des regrets, des pleurs, de la désolation, de l’insouciance, des complaintes, une psychose, de la colère, de la terreur pour certains, et pour d’autres de la haine, une jubilation perfide. Des voix tremblantes, suffocantes, terrifiées par l’ampleur des dégâts. Une foule en furie. Une jeunesse abandonnée à son propre sort, désœuvrée, désemparée, insouciante, manipulée de part et d’autre, au cœur des manifestations, à l’assaut des forces de défense et de sécurité armées jusqu'aux dents, prêtes à l'affrontement. Une descente aux enfers. Une guérilla urbaine en action. Une accalmie ? Un retour à l’ordre public ? Qui sait ? Et cette jeunesse aux abois ? Que dire voire que penser de la responsabilité de la nation envers cette jeunesse ? Aujourd’hui, est-ce qu’il n’est pas temps  de  nous interroger en toute lucidité sur le pourquoi d’une telle descente aux enfers, de cette volonté farouche et soudaine à vouloir tout détruire, jusqu’aux communs que nous partageons et qui appartiennent à l’ensemble de la nation ?
 
Ce qui est apparu au grand jour, c’est la colère d’une certaine jeunesse qui en veut à mort à la société dans son ensemble et en particulier à nos autorités étatiques. La colère, elle est certes inhérente à la nature humaine. La jeunesse sénégalaise a le droit et la légitimité d’exprimer son mécontentement. Cependant, cette colère destructrice, incontrôlable  est–elle acceptable ? Peut-on cautionner une telle furie sauvage dans une société civilisée ou à tout le moins dans un cadre de vie où la présence de l’autre, du prochain est admis, acté et doit être pris en considération dans nos échanges quotidiens ? Non. Que se passe-t-il donc ? Qu’est-ce qui nous a échappé dans l’éducation et dans le processus de socialisation de nos enfants ? Il y a manifestement des failles. Mais où et à quel niveau ? Quelles instances doivent être passées au crible et  appelées par voie de suite au banc des accusées ? Toute la société.
 
** La Famille. C’est le premier lieu par excellence de la socialisation de l’enfant. Le jeune sénégalais, surtout dans les classes populaires entassées dans des agglomérations urbaines surpeuplées, est très vite jeté dans la rue. Personne ne s’occupe réellement de son éducation. Issu de parents paupérisés, qui tirent le diable par la queue et qui ne savent plus par où donner la tête pour une certaine survie, sont aux abonnés absents. Leur socialisation se passe principalement dans la rue ou mieux dans cette jungle urbaine qu’est devenue la banlieue dakaroise. Et beaucoup de nos enfants passent pratiquement toute leur vie ou une bonne partie de et leur vie à sillonner les rues, à se confronter au quotidien aux dangers, aux attaques de toutes sortes et à la merci d'adultes au ban de la société.
 
Nous assistons effarés, in fine, à une certaine forme de  reproduction sociale. Un nivellement par le bas. Les enfants de la rue, les talibés, sont l’exemple le plus édifiant de la démission, de la fuite de responsabilité de certains parents. Et ce sont ces enfants là qui vont grossir pour l’essentiel le bataillon des laissés pour compte, les parias de la société, qui pour survivre, vont s’accoutumer à la délinquance. N’est-il pas possible de penser que les jeunes ou certains d'entre eux, présents sur le terrain des opérations, viennent des bas fonds de la société ? Très souvent, mobiliser de tels jeunes ne demande aucun effort. Ils peuvent être attirés par la foule, la meute pour espérer en tirer même un moindre profit. Ces taudis que pour rien au monde nous ne voulons voir, ni constater afin de ne pas mettre en branle notre conscience morale. Cette jeunesse-là est aux oubliettes et constitue au demeurant un danger pour l'avenir de ce pays.
 
** L'École. Un autre lieu d'apprentissage et de socialisation pour nos enfants. L'école républicaine, c'est quoi au juste, aujourd'hui, son rôle dans la société ? Accumuler seulement des connaissances, passer des diplômes. Si elle se réduit à ça ou si c'est seulement en quelque sorte les deux attentes de la population, nous pouvons dire sans ambages que cette vision réductrice de sa mission nous a conduits à cette impasse. L'école républicaine a failli dans sa mission de construire un  modèle de citoyen sénégalais. La citoyenneté doit être au cœur de l'école républicaine. La citoyenneté ne doit pas être seulement circonscrite au seul fait de voter, de participer à une élection, de choisir librement ses représentants pour conduire les destinées de sa nation ou dans une moindre mesure  de son lieu de résidence La citoyenneté commence de prime abord par le respect de la sacralité du bien public, qui au demeurant, doit être protégé et sauvegardé, de l'intérêt général qui nous regroupe et nous unit. L'école républicaine a le devoir d'inculquer à nos enfants les valeurs qui fondent et harmonisent la vie en société. Qu'avons-nous fait de l'instruction civique ? Du respect de l'autorité ? Rien.
 
Aujourd'hui, tout part en vrille. Le système éducatif sénégalais est devenu un grand corps malade. Nos enfants sont confiés parfois à des  adultes qui ne sont obnubilés que par la quête du gain et qui ne se préoccupent nullement de leur éducation. Ne parlons même pas de leur réussite. Tel est l'état du niveau de délabrement de notre école dite républicaine. Elle produit et continue encore à produire certes des résultats, à dévoiler quelques singularités. Mais, pour l'essentiel, force est de constater qu'elle a failli à sa mission première : façonner un modèle de citoyen dans une république démocratique. Tout le contraire de ce que nous vivons et que nous constatons avec effroi suite à la mise en abîme du temple du savoir : l' Université en toute impunité. Ces pilleurs ou une partie d' entre eux sont les produits de l'école dite républicaine. Une double faillite du système éducatif sénégalais. Ces jeunes - là et d'autres, pour une raison ou pour une autre, par le surgissement de la foule, ont délibérément choisi la voie de la destruction, la seule issue pour eux de manifester et de contester une décision judiciaire pour le moins tendancieuse.
 
Valoriser l’enseignement religieux
 
Par ailleurs, ce serait une erreur monumentale de penser que l'école ou l'enseignement, la transmission de savoirs doivent être circonscrits seulement à l'école dite républicaine parce que organisée et gérée par la puissance publique. Pour sortir le pays de cet étau, de cette menace sournoise, l'enseignement religieux doit être valorisé également. Mais, pour créer, in fine, quel type de sénégalais ? C'est une question majeure et cruciale que nous pourrons éluder. Nous savons tous que l'enseignement religieux de surcroît coranique est à la coupole exclusive des tarikha et de quelques autres organisations islamiques. Ainsi, plusieurs modèles d' éducation et de socialisation sont en jeu et par ricochet se retrouvent sur le champ social. Cette pluralité doit être de mise ? Pourquoi plus de 60 ans après les indépendances, l'État du Sénégal reste toujours cantonné dans la reproduction systématique du système colonial français de l'enseignement ? Pourquoi l'Etat du Sénégal refuse d'intégrer en son sein l'enseignement religieux coranique ? Pourquoi, une passerelle n'a vu le jour où est envisageable présentement ?  Aujourd'hui, il urge de nous arrêter un moment et de nous interroger en toute responsabilité sur le prototype du citoyen sénégalais que nous voulons construire. Ces événements malheureux nous interpellent et tous les acteurs de la société ( l'État, les parents d'élèves, les enseignants, le corps académique, les religieux, les membres de la société civile etc.) doivent se réunir et faire un état des lieux exhaustif pour trouver une orientation et une dynamique pour cette jeunesse - là. Le salut du pays y dépend largement.
 
** L'État et les autorités politiques. Qu'est-ce que l'Etat ou la puissance publique fait aujourd'hui pour désarmer cette bombe sociale qui plane sur nos têtes : le chômage de masse endémique ? L'Etat du Sénégal semble être dépassé par la situation et se complait à pointer le curseur sur la question de l'employabilité de nos jeunes alors qu'en amont rien n'a été fait dans la mise en œuvre des politiques publiques pour éviter voire contrecarrer cet écueil.
 
Chaque année, beaucoup de diplômés arrivent sur le marché du travail, grossissent le rang des chômeurs et au même moment la puissance publique via ses démembrements sous la coupole de politiciens professionnels procèdent tout azimut à des recrutements partisans et discriminatoires au lieu de résorber le chômage par une politique de sélection et de recrutement efficiente, responsable, équitable, basée uniquement sur le mérite. L'Etat central ou ses démembrements s'affranchissent des limites d'une une bonne gestion de nos ressources humaines et préfèrent de loin le copinage, la partisanerie, le bradage de l'argent public comme moyens d'exploitation, de corruption et de domination des couches les plus vulnérables de la société.
 
Halte aux politiciens professionnels
 
Cette façon abjecte de faire de la politique ou cette ignominie en matière de gestion des ressources humaines dont dispose le pays, ne sont pas uniquement de l'apanage du régime du chef de clan Macky Sall, mais également d'une certaine classe politique de l'opposition sénégalaise, sortie victorieuse des dernières élections municipales, qui recase des militants ou sympathisants sans aucune qualification. Le mal est dans le fruit, au cœur même de cette caste de politiciens professionnels qui vit et qui se nourrit de la souffrance et du désœuvrement de cette jeunesse-là. Et c'est cette classe politique dans son ensemble qui manipule par le discours, qui se jette des anathèmes, qui discrédite la justice en autres en cautionnant des actes voire des comportements illégaux (instrumentalisation de dossiers judiciaires, impunité accordé à certains acteurs, défiance et attaques en règle de l' institution judiciaire). Et c'est cette classe politique là qui utilise à dessein une certaine jeunesse pour assouvir ses besoins et nous plonger dans une série de violences insoutenables et sordides. Cette jeunesse - là est juste un pain de singe à sucer à satiété et à jeter dans les poubelles de l'histoire pour les nantis voire les puissants ou qui se prennent comme tels.
 
Et de cette jeunesse là, sortent des nervis, recrutés, entretenus, payés avec l'argent public par des politiciens professionnels proches du pouvoir, armés et à bords de pickup blancs aux alentours du siège de l'APR, des images relayées par la presse locale et les médias en ligne, sèment le désordre et tirent sur des manifestants. Cette jeunesse - là, ces nervis ou  ces gros bras, c'est selon, sont présents dans une bonne partie de la classe politique sénégalaise. Leur présence aux côtés des leaders politiques est désormais largement admise, voire tolérée, par nos concitoyens. Et c'est cette jeunesse-là qu'on envoie aux devants des scènes d'affrontement  et que des individus armés abattent de sang froid en plein jour ? C'est encore cette jeunesse - là dont la justice enterre les dossiers par peur et par lâcheté pour ne pas chercher ni inquiéter les assassins. Un déséquilibre. Une fracture sociale aux conséquences incalculables qui se projette à l'horizon et qui guette le pays pour des lendemains incertains.
 
Aujourd'hui, nous assistons impuissants à la prolifération d'une certaine forme de violence physique et verbale, qui prend ses quartiers et étend ses tentacules dans presque toutes les couches de la population. Et que dire également de cette jeunesse ou de quelques adultes sans scrupule, qui se saisissent des moyens d'information à grande échelle, la toile comme outils de propagande, de communication ou de désinformation, pour procéder à des attaques ad personam, des insultes à l'encontre d'autorités religieuses, de politiciens, de simples citoyens. Personne n'est épargné. Un torrent d'insanités qui se déversent sur beaucoup de nos concitoyens, pour une raison fallacieuse : ne pas appartenir au même camp, et être réduits au statut d'ennemis, à cette certaine approche schmittienne ( Carl Schmitt)  ami / ennemi à l'intérieur d' un même espace géographique, d'une même nation, d'une même société. Cette jeunesse - là est circonscrite entre le marteau et l'enclume (le pouvoir et une opposition dite radicale et assumée). 
 
Desserrer l’étau sur la jeunesse
 
Quels moyens pour desserrer l'étau et sauver cette jeunesse - là ? La seule voie possible passe par l'éducation de nos enfants que nous avons eu tort d'abandonner et de les confier à des personnes même adultes n'ont pas su voire pu réussir une socialisation épanouie et responsable reposant sur des valeurs éthiques et morales. Cette jeunesse - là est le reflet dans équivoque de la maladie de la société sénégalaise. Le chantier est immense et je reste persuadé que la solution aux maux dont souffre la population, ne viendra pas de nos politiciens professionnels de tous bords de l'opposition comme du pouvoir. Car, tout compte fait, ils ont raté le train de l'histoire et ne sont mus que par des intérêts crypto personnels, ceux de leur clan ou de leur appartenance et non de l'intérêt général de toute une nation. Ces événements malheureux et regrettables de mars 2021 (affaire Adji - Sarr - Ousmane Sonko) à juin 2023 (combats de rue, destructions massives, meurtres…) en sont la parfaite illustration.
 
Qui, pour sortir cette jeunesse - là de cet engrenage infernal ? Le politique et non le politicien qui est enfoui en chacun (et) d'entre nous. Il est partout et nulle part. Seuls une abnégation indéfectible, une quête effrénée de la justice sociale et de la  la vérité, la détermination, un sens élevé du patriotisme et de l'intérêt général peuvent nous permettre même dans la diversité des opinions et des choix politiques de changer le visage du Sénégal dans la paix , dans la prospérité et dans le respect intrinsèque des droits des uns et des autres.
Le Sénégal doit être placé au cœur de nos vies et  au-dessus de toutes les contingences.
massambandiaye2012@gmail.com
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