Venezuela - Des bars et des piscines dans une prison reprise par les autorités

Lundi 25 Septembre 2023

(Caracas) « Steak house. Enjoy », peut-on lire sur les murs d’un des restaurants et bars de la prison de Tocoron, dans le centre-nord du Venezuela, dont le tentaculaire gang criminel Tren de Aragua avait fait son quartier général.

 

Le « steak house » est situé à côté de la piscine, un double bassin circulaire enjambé par un petit pont à colonnes… Plus loin, une aire de jeux avec des toboggans.

« La vie était plus agréable et plus sûre dans la prison qu’en dehors », affirme à l’AFP sous couvert de l’anonymat la femme d’une ancien-détenu, désormais transféré.

 

Dans le cadre d’une opération de démantèlement du gang Tren de Aragua, 11 000 membres des forces de sécurité ont investi mercredi la prison, désormais vidée de la plupart de ses détenus. Samedi, les autorités organisaient une visite guidée, très encadrée et très partielle du site, « désormais totalement sous contrôle ».

 

La trentaine de journalistes invités ne verront pas ainsi les tunnels bétonnés creusés par le gang dont les images circulent sur les réseaux ou le zoo avec ses flamants roses. Encore moins les cellules.  

 

Sur une porte en bois, on peut lire « Garde nationale bolivarienne : le Tren de Aragua, c’est fini ». Un message pour les journalistes, mais sans doute destiné à être relayé à travers le pays.  

 

Le Tren de Aragua, qui compterait quelque 5000 criminels, est apparu en 2014, opérant dans des activités mafieuses « classiques » : enlèvements, braquages, drogue, prostitution, extorsion.

Il a étendu son emprise à d’autres activités, certaines légales, mais aussi à l’exploitation minière illégale. Il est présent dans huit pays d’Amérique latine, notamment la Colombie, le Pérou ou le Chili.  

 

Le racket de la population carcérale était une des principales activités de la bande.  

 

Pendant la visite, des bulldozers détruisent un petit « quartier » de maisons de briques, de bois et de tôles. Les autorités ne donnent pas d’explication, tandis que les machines broient murs, literies rideaux, seaux…  

 

À la morgue

Rencontrée mercredi, Rubeles Mejias, 25 ans, en couple depuis 7 ans avec un détenu, condamné à 13 ans de prison pour homicide, a vécu 7 mois dans la prison.  

 

Elle ne l’a quittée que quand sa fille de 4 ans a dû aller à l’école. Son « homme » avec qui elle devait se marier dans 15 jours, fait partie des « Baptisés ». Dans la prison, ces chrétiens qui s’habillent en blanc étaient une caste à part que les « malandros » (bandits) n’embêtaient pas.  

 

« C’était tranquille, il y avait une piscine, un zoo. Mon mari travaillait dans un petit magasin de la prison », expliquait cette jeune coiffeuse. « C’est lui qui m’aide » financièrement.  

 

Les quelques rues parcourues dans la prison sont désormais transformées en un cimetière de bouteilles de bière, des piles de vêtements, des restes d’appareils électro-ménager (télévision, appareil CD), des peluches… Sur un mur, un dessin du dessin animé « Le Tigre de Tasmanie ».

 

Dans la rue de la piscine et du terrain de basketball, des échoppes aux présentoirs vides se succèdent les unes aux autres. Mercredi, des journalistes de l’AFP ont constaté que police évacuait airs conditionnés, télévisions et autres motos.

 

Trois des derniers rares détenus de la prison, habillés en tenue jaune, balayent les abords du pénitencier.

 

La prison, prévue pour 750 personnes, comptait officiellement 1600 détenus, quelque 2500 selon des estimations indépendantes. Les autorités ont annoncé 88 arrestations de membres du gang.  

 

Le chef de la bande « El nino Guerrero » a, lui, disparu, et a bénéficié de complicités voire négocié avec le gouvernement, selon l’ONG Observateur vénézuélien des prisons.

 

Dans la rue, la foule de proches désirant des nouvelles de détenus a diminué par rapport à la veille et l’avant-veille mais pour ceux qui sont là, c’est toujours l’inquiétude.

 

Claribel Rojas pleure. Elle n’a pas de nouvelles de son frère. Nesbelis Mavares, elle, cherche son compagnon auteur d’un féminicide. « Le dernier message que j’ai eu est une note vocale de mercredi où il me dit “Je t’aime. Que Dieu te bénisse” ».  

 

« Ce sont des détenus mais pas des animaux. Un garde nous a dit “cherche à la morgue ou un mort dans les collines” », dit-elle. [AFP]

 
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